Cet article fait partie d’une série portant sur le premier plan d’urbanisme pour la Ville de Québec commandé par le maire Lucien Borne réalisé par Jacques Gréber, Edouard Fiset et Roland Bédard entre 1949 et 1956.
Ce texte est une contribution de Réjean Lemoine, historien, chroniqueur urbain à la radio et à la télévision et conseiller municipal du quartier Saint-Roch à la ville de Québec de 1989 à 1997.
En mai 1956, la ville de Québec se dote de son premier plan d’urbanisme de son histoire. Ce plan va profondément transformer le visage de la région de Québec et influencer les décideurs politiques encore aujourd’hui. À cette époque, Québec entre de plein pied dans la société de consommation nord-américaine. Les 170,000 résidents des vieux quartiers quittent en masse leurs logements vétustes pour éduquer les enfants du baby-boom dans des bungalows neufs construits sur d’anciennes terres agricoles à Beauport, Charlesbourg et Sainte-Foy.
Dans cette dernière ville, il se construit dans les années 1950, plus de 2,000 bungalows par année. Le nombre d’automobiles immatriculées à Québec augmente de 10,000 à 60,000 au cours de la décennie 1950. Québec adopte définitivement le mode de vie nord-américain d’après-guerre.
La ville de Québec vit alors des problèmes de croissance anarchique et de congestion automobile majeure. Le plan d’urbanisme vise à gérer ce développement et proposer une transformation radicale du réseau routier existant. C’est Lucien Borne, maire de Québec de 1938 à 1953, qui décide de doter la Ville d’un premier d’un plan d’urbanisme, inspiré par celui en préparation à Ottawa.
Dans un discours prononcé en juillet 1952, il explique sa démarche. Québec, contrairement à des capitales comme Washington n’a jamais possédé de plan d’ensemble. Il poursuit en disant : « Sans trop se préoccuper de l’avenir, nos ancêtres français bâtissaient un peu trop au hasard et fatale conséquence, ils nous ont laissé une ville aussi pittoresque que pratiquement impossible à remodeler ».
Borne dit avoir voulu demander à de « savants urbanistes de dessiner la nouvelle ville du futur tout en conservant au Vieux-Québec son aspect d’un autre âge ». Pour se faire, il embauche deux consultants en 1949, soient l’urbaniste français Jacques Gréber et l’architecte Édouard Fiset. Il crée un nouveau service d’urbanisme avec à sa tête Roland Bédard, fraîchement diplômé de l’Université Cornell aux États-Unis.
Jacques Greber, né à Paris, a d’abord fait carrière aux États-Unis comme architecte et aménagiste. Il réalise en 1917 le Benjamin Franklin Parkway. Il retourne travailler en France au plan d’aménagement de Belfort, Lille et Marseille dans l’entre-deux guerre. Il réalise entre 1946 et 1950 le plan d’aménagement de la ville d’Ottawa qui donnera naissance à la Commission de la Capitale nationale.
Quant à Édouard Fiset (1910-1994) après des études aux beaux-arts à Québec et Paris, il travaille avec Greber au plan d’aménagement d’Ottawa. Par la suite, il réalisera de nombreux bâtiments du nouveau campus de l’Université Laval et de la Colline Parlementaire. Il a également été l’architecte en chef de l’Exposition universelle de Montréal en 1967.
Le trio Greber-Fiset-Bédard va travailler pendant sept années de 1949 à 1956 pour préparer le plan d’urbanisme. Au départ, on prévoyait réaliser le projet en trois ans. Selon eux : « Québec pose un problème d’urbanisme à peu près unique au Canada. La capitale se double d’une ville des plus actives au niveau de l’industrie, du tourisme avec de nombreuses reliques du passé ».
Ce plan devait être aussi un plan d’urbanisme régional avec la participation des 28 municipalités de la région formant l’actuel territoire de la ville de Québec. Devant le refus des autres villes de participer au financement, la ville de Québec va assumer les 100 000 $ que coûtera le plan d’urbanisme. Quant à Greber et Fiset, ils recevront chacun 20 000 $ pour leur travail.
Pendant les deux premières années, les urbanistes amassent des plans, des maquettes, des photos aériennes et des données statistiques sur la région. Une grande enquête sur la population et les quartiers de Québec est réalisée par le professeur Jean-Charles Falardeau de l’Université Laval. À cette enquête, travaillent de jeunes étudiants en sociologie comme Fernand Dumont et Guy Rocher.
Au printemps de 1952, les urbanistes préparent une exposition itinérante composée de plans et de maquettes de leur projet. Cette exposition circule dans tous les quartiers de la ville et plus de 4,000 personnes la visitent. Malgré tout, plusieurs citoyens et membres du conseil municipal estiment que ce plan d’urbanisme est inutile et coûteux. De son côté, Jacques Greber croit que « l’exposition ambulante va faire progresser l’idée de l’utilité de l’urbanisme. Il faudra encore renforcer la propagande en ce sens, car les enthousiasmes se refroidissent vite ».
Par la suite Gréber et Fiset rencontrent le premier ministre Duplessis à son bureau, le 12 décembre 1952, pour lui présenter le projet de plan pour Québec. Monsieur Duplessis exprime son accord avec les objectifs du plan et leur délègue un représentant du ministère de la Voirie. Mais les deux urbanistes ne verront jamais la création d’une commission provinciale d’urbanisme qu’ils appelaient de leurs vœux.
Le projet de plan d’urbanisme tient beaucoup à la ténacité du maire Borne qui le défend au conseil municipal. En 1950, les urbanistes s’inquiètent de la santé et des chances de réélection du maire Borne. Il se félicite de sa réélection en novembre 1950. Le maire Borne, malade, quittera la vie politique un peu plus tard en novembre 1953. L’arrivée de Wilfrid Hamel va refroidir leurs ardeurs. Ils sentent à ce moment-là que leur plan risque d’être mis sur une tablette.
Le nouveau maire veut le plan d’urbanisme pour 1954. Les urbanistes expliquent qu’ils étaient une vingtaine de personnes à travailler sur celui d’Ottawa alors qu’ils ne sont que trois à Québec. Greber donne sa démission avant la fin des travaux. Le premier plan d’urbanisme est présenté en juin 1956. Il est rendu public de manière précipitée et ne reçoit pas un bon accueil du maire Hamel qui se dépêche de mettre fin au contrat de Fiset et de fermer le service d’urbanisme. Ce service renaîtra de ses cendres seulement en 1967.
Malgré l’absence d’enthousiasme lors de sa réception, le premier plan d’urbanisme va accompagner et inspirer le développement de la ville pendant plusieurs décennies. Le plan propose une transformation majeure de la circulation qui a donné naissance au réseau routier actuel.
Il établit également un plan d’aménagement et de zonage qui s’inscrit encore dans le paysage urbain actuel de Québec. Il ouvre la porte aux grandes opérations de rénovation urbaine et de démolitions des quartiers anciens de la décennie 1960. Il encourage et sensibilise à la protection du Vieux-Québec qui deviendra un arrondissement historique en 1963. Il nous aide à comprendre ce que la ville de Québec est devenue ou aurait pu devenir.
Réjean Lemoine
13 mai 2011 à 13 h 20
bonjour Réjean… Nous nous sommes croisés à plusieurs reprises dans le passé. Cordiales salutations. Et merci pour ce billet très intéressant. On attend la suite avec impatience !
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13 mai 2011 à 16 h 16
Dans la présentation d’hier, j’ai eu le droit à plusieurs surprises! J’ai été agréablement surpris d’apprendre l’existence de plusieurs rond points autoroutier ;) Mais surtout, le tunnel proche de Saint-Vallier m’a marqué! Puis-je espérer en apprendre plus dans un futur billet ?
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13 mai 2011 à 18 h 11
Oui on est reparle dans un billet sur le réseau des rues. Mais, on l’effleur car je n’ai pas beaucoup de renseignements sur ce tunnel. Il faudrait aller aux archives de la ville.
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14 mai 2011 à 01 h 34
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