Les marchés publics, c’est bien plus que des étalages de fraises et de carottes. Au-delà d’une simple place commerciale, ils jouent un rôle rassembleur dans la communauté et sont de plus en plus perçus comme des moteurs de revitalisation des quartiers. Un peu partout ils connaissent un essor considérable. Et Québec ne fait pas exception à la règle.
Vague bio, goût accru pour les produits locaux et pour l’ambiance conviviale des marchés publics, les habitudes des consommateurs changent, confirme Pierre Beaudoin, professeur au département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation de l’Université Laval. « Les gens sont de plus en plus conscients de la qualité et on voit un impact sur la demande pour des produits différents », explique ce spécialiste du commerce au détail. Des goûts qu’il calcule notamment par le succès des commerces de type halles comme celles du Petit Quartier ou de Sainte-Foy.
Quant au centre-ville, la capitale aurait, en principe, tout pour satisfaire avec son Marché du Vieux-Port, installé depuis 1987 en bordure du Saint-Laurent. Or, malgré ses efforts, l’établissement n’est pas exempt de critiques. Plusieurs lui reprochent son accès difficile et un certain manque de dynamisme.
Au premier chef, la Corporation des gens d’affaires du centre-ville de Québec (CGACVQ) qui lançait, le 22 mars, l’idée de doter Québec d’un marché public au coeur de la basse ville, à l’angle des boulevards Langelier et Charest. Si la Ville s’est montrée peu réceptive à ce projet évalué à 10 millions $, la sortie aura toutefois permis de soulever le débat et de mesurer l’intérêt de la population pour un marché plus central.
Au-delà d’une critique de l’actuel Marché du Vieux-Port, les arguments invoqués par la CGACVQ concernent un désir de poursuivre la revitalisation de la basse ville amorcée par le sérieux coup de jeunesse donné au quartier Saint-Roch.
Et côté revitalisation, l’organisme new-yorkais Project for Public Spaces (PPS) a sa petite idée sur la question. Depuis 1975, ce regroupement d’urbanistes, d’architectes et d’intervenants sociaux travaille à améliorer les places publiques en Amérique du Nord et dans le monde. Pour ce groupe, il ne fait aucun doute : les marchés publics peuvent contribuer à dynamiser un quartier négligé. En 2003, l’organisme a d’ailleurs publié les résultats d’une vaste étude où il conclut que les autorités municipales doivent investir dans les marchés publics aux rôles multiples. « Ce sont des endroits rassembleurs des communautés, des incubateurs de petites entreprises et des fournisseurs d’aliments ‘sécuritaires’ « , peut-on lire dans le site Internet de l’organisme.
Il y a deux ans, le chroniqueur urbain et ex-conseiller municipal, Réjean Lemoine, a assisté à un colloque du PPS portant sur la place des marchés publics, ce qui lui a permis de visiter divers quartiers résidentiels de New York. « Aux États-Unis, les marchés sont en pleine croissance, note-t-il. Ils sont installés dans des entrepôts et des condos se contruisent tout autour. Ils sont un facteur de revitalisation important. » Sa tournée new-yorkaise lui aura permis de voir des exemples dont plusieurs villes devraient s’inspirer. Et dans tous les cas, la clé est que le marché soit accessible à pied ou bien desservi par le transport en commun. Ce qui n’est pas le cas du Marché du Vieux-Port. « C’est le bordel pour y aller à pied ! » lance le chroniqueur.
Et pas toujours besoin d’aller très loin pour voir des exemples de dynamisme insufflé par la présence de marchés publics. Pour M. Lemoine, le Marché Centre de Saint-Hyacinthe n’est rien de moins que « le plus beau marché au Québec ». Sa force ? Aménagé dans un bâtiment historique datant de 1830, il est situé directement au « centre du centre-ville », explique Sylvain Gervais, directeur général de la Corporation de développement commercial de Saint-Hyacinthe. Pour Réjean Lemoine, cet exemple montre l’importance pour un marché d’être doté d’un bâtiment central ancré dans la tradition des places publiques.
A Montréal, Marché By, auquel on attribue en partie la revitalisation de la basse ville d’Ottawa. Le président de la CGACVQ, Stéphane Boutin, voit quatre raisons principales qui font que le Marché By peut servir d’inspiration à Québec. « Les deux villes ont un statut de capitale et leur population se ressemble, dit-il. Aussi, comme Québec, Ottawa a une haute ville et une basse ville. » Enfin, un éventuel marché public au centre-ville doit s’inspirer d’un modèle nord-américain, poursuit M. Boutin. « Québec est une ville où les gens utilisent beaucoup la voiture. Géographiquement, il est donc plus réaliste de regarder du côté de modèles nord-américains qu’européens. »
L’idée de l’axe Langelier-Charest a beau être intéressante, elle ne serait pas pour autant l’emplacement idéal, croit pour sa part Pierre Larochelle, professeur à l’École d’architecture de l’Université Laval qui connaît bien les enjeux reliés à la basse ville de Québec. A l’instar de l’actuel Marché du Vieux-Port, dont il critique la mauvaise intégration dans le tissu urbain, le quartier Saint-Sauveur n’échapperait pas à la morphologie typique de la ville, selon lui. « L’inconvénient principal demeure la falaise. Cette barrière naturelle pourrait empêcher par exemple les gens du quartier Saint-Jean-Baptiste de descendre la côte », estime le spécialiste de l’aménagement urbain. Où verrait-il un éventuel marché plus central, donc ? Difficile à dire. Mais une chose est sûre, les marchés doivent être situés à proximité des résidences, dans un rayon de cinq minutes de marche.
Se prêtant aussi volontiers à l’exercice d’imaginer l’emplacement idéal pour un marché central, Réjean Lemoine pense spontanément au stationnement derrière l’ancienne gare d’autobus du boulevard Charest Est [Photo Bernard Bastien], bordé par les rues Saint-Vallier et Caron. « On pourrait imaginer que le bâtiment de l’ancienne gare serve de moteur central pour un marché en plein milieu de Saint-Roch, ce qui consoliderait la vocation commerciale de la rue Saint-Vallier ».
De son côté, le professeur Pierre Beaudoin verrait les quartiers Saint-Jean-Baptiste ou Montcalm au lieu de Saint-Sauveur comme hôte d’un marché central. Ces secteurs, estime-t-il, sont à proximité d’une vie de quartier plus naturelle et « réelle » pour ce type de commerce. « Il y a là une vraie clientèle qu’on ne peut pas créer artificiellement du jour au lendemain. »
Valérie Gaudreau, 19 avril 2004. Reproduit avec autorisation
19 avril 2004 à 17 h 12
Étrange (non, en fait, pas si étrange) ce silence total sur l’expérience des marchés Atwater et Jean-Talon, des incontournables dans la métropole, et même du marché Maisonneuve, réouvert il y a quelques années.
Ces trois marchés sont situés en quartiers très modestes, et correspondent à ce que l’on attend d’un marché : situés au centre d’un quartier, accessibles (deux lignes de métro et six lignes d’autobus se rencontrent à trois minutes de marche du marché Jean-Talon). Les espaces du marché proprement dit sont utilisés par les producteurs et s’il y a plusieurs commerces qui gravitent tout autour, ils sont aménagés sur les rues adjacentes.
Évidemment, ces marchés ne sont pas importables à Québec, mais il est bon d’essayer de comprendre pourquoi après avoir connu un certain déclin, ils sont maintenant en plein essor (Maisonneuve avait même été fermé).
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19 avril 2004 à 23 h 53
Je vais finir par croire qu’ils ne sont pas importables justement, car on n’en parle jamais du marché Jean-Talon (à Montréal) par exemple.
Mais pourquoi est-il impossible d’avoir à Québec un marché rempli de kiosques de producteurs (et non de revendeurs… ça prends des allures de centre d’achat quand il y a trop de revendeurs) qui vendent leur denrées à la *moitié* du prix du supermarché? C’est pourtant le cas au Marché Jean-Talon, comme dans d’autres villes Nord-Américaines, ou même Adelaide ou Melbourne en Australie… (j’dois mentionner que pour une agglomération urbaine d’un million d’habitants, Adelaide a un marché impressionnant!)
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