Dans un commentaire fait sur un précédent billet, Jaco me demandait « quelle est ta stratégie pour que les gens acceptent de se laisser photographier; te caches-tu dans un buisson? J’aimerais bien faire de la photo de personnages, mais ça m’intimiderait… donne-moi ton truc ».
Lorsque vient le temps de faire de la photographie de rue mettant en vedette des inconnues, il y a deux façons de procéder : à la sauvette, ou en toute complicité.
Faire une photographie sans être vue, plus ou moins sans l’accord tacite du sujet est-il dangereux? Doit-on prévoir des réactions négatives si nous sommes surpris à surprendre? Pas si on sais comment si prendre. Je n’ai eu qu’une seule réaction vraiment négative. Je marchais dans les sentiers de la forêt des Compagnons de Cartier alors que j’aperçois une forme rouge entre les branches. Il s’agit d’une jeune demoiselle faisant son jogging. Je prépare mon appareil pour prendre la photo alors qu’elle sortira de la courbe et arrivera face à moi. De toute évidence, elle n’a pas aimé et elle me l’a laissé savoir. Je me suis excusé, et j’ai poursuivi mon chemin. Je suppose que c’est le fait de l’avoir pris par surprise qui l’a déplus. Elle m’a d’ailleurs réprimandé: « on demande avant de prendre les gens en photo ». J’avais oublié les conseilles de John Brownlow : « A smile, a wave, a conversation, even an argument. It’s normal stuff. Don’t sweat it. Be open about what you are doing. Don’t be sneaky. Being sneaky is what gets people in trouble. »
L’été passé, j’ai pris cet homme en photo. Je ne me suis pas « caché », mais j’ai tout de même pris le cliché assez rapidement pour ensuite poursuivre mon chemin. Quelques secondes plus tard, on me tapait sur l’épaule : C’était mon homme qui me demandait si c’était bien lui que j’avais pris en photo et, si oui, pourquoi. J’avoue avoir eu un peu peur, car c’était la première fois que l’on me confrontait et, comme vous le voyez sur l’image, il n’a pas l’air à être du genre à s’en laisser imposer. Je lui confirme qu’il était bien le sujet de ma photographie et je lui explique le projet des « scènes urbaines ». Je lui précise que mon appareil est numérique et que je peux donc effacer la photo sur le champ s’il le désire. Il m’a dit que « c’est OK, il voulait juste savoir ». Malgré son accord, je n’avais pas utilisé la photo pour différentes raisons avant aujourd’hui.
Avoir un bon zoom numérique ou une lentille de 200 ou même 300 mm aide bien sûr à voir sans être vue. Cela permet d’entrer dans l’intimité des gens, de capturer des scènes très personnelles sans influer sur celle-ci. Un peu comme un scientifique qui ne veut contaminer le sujet de son expérience. Des exemples? Un homme bien seul, une jolie petite fille, deux amoureux ou une pause pipe…
Lors d’une photo à la sauvette, il arrive qu’une fois repéré le sujet est flatté de s’être fait choisir comme modèle et devient alors très collaborateur. Lors de la fête Rockambolesque, je vois une dame qui semble s’amuser ferme. Je m’apprête à l’immortaliser sur pixel (ben oui, je suis en numérique alors je ne peux dire « immortaliser sur pellicule »), mais elle m’aperçoit. D’abord gênée, elle se cache derrière des amis, mais me sourit tout de même. Elle ose : « Tu veux prendre une photo? » Je lui fais signe que oui, et elle me dandine alors quelques petits pas de danse absolument mémorable. J’adore cette photo, autant pour la scène que pour les souvenirs qu’elle me rappelle!
Oui, il est plus gênant d’obtenir la collaboration d’un inconnu. Il n’est pas évident de viser quelqu’un qui nous regarde et qui est pleinement conscient que l’on s’apprête à le prendre en photo. C’est gênant la première fois, mais il sort de ces photos un regard particulier, une complicité, une ambiance bien différente qu’une photo prise presque en cachette. Pour preuve ce petit garçon bien intrigué ou ce musicien d’un autre âge.
Alors Jaco? Comment faire pour déjouer la gêne? Voici à nouveau les mots de John Brownlow:
Some aspiring street photographers are afraid of getting into confrontations, or even getting hit.
Well, good. You should be afraid of getting hit. if you’re not afraid of that, you’re an idiot, or possibly an ice hockey player.
However, this is not the same as being afraid of photographing on the street.
(…)
You have to lose that, or you will simply be taking photographs of your own inability to loosen up.
There is only one way to lose that fear, and that’s to confront it.(…)
When you see something that looks like it might be a picture, get the camera to your eye, focus, compose and click as fast as you can. It will be gone in a fraction of a second! You do not have time to worry about what people think, if they are watching etc etc.
(…)
Never pass a shot and think « i’ll get that later ». It won’t be there later. It NEVER is. The light changes, or the sun moves a degree, and it’s gone for reasons you will never know. When you see it, shoot it.
3 juin 2004 à 22 h 20
je sais pas si je suis plus avancé,mais au moins je vois mieux,francis.
Le conseil de John broownlow se résume à: » FONCE »,
fonce mon gars!
Les 2 réactions négatives que tu as vécues sont compréhensibles: juste à voir le gars , et on comprend…ou on devine. Quant à la fille , le contexte(seul en forêt): explique facilement sa réaction:c’est plus le syndrome du petit chaperon rouge rencontrant le loup ;elle s’inquiétait surement d’autre chose que la photo!
Présentement ,j’ai pas d’appareil photo, j,ai vendu mon 50mm k-100, à Presto-photo.
Vu les résultats que tu obtiens avec le numérique, ca me tenterait même si je commencerais par ‘un bas de gamme » juste pour voir si j’ai la piqure.
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4 juin 2004 à 10 h 11
Un billet sur la photo sans celle du nain vert de Montréal c’est pas vraiment un billet sur la photo…:(
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4 juin 2004 à 12 h 44
Dans le milieu de la photo, on ne préconise pas l’usage de longues focales, qui applatissent les perspectives et créent un effet de distance avec le sujet, malgré un recadrage serré.
Vous pouvez voir les deux type de photo de rue (loin et recadrées, et celles proches) dans l’exple ci-dessous… Les photos prisent de proche semblent beaucoup plus vivantes, de par leur volumétrie apparente, on se sens moins spectateur, plus engagé dans l’action.
http://www.cmaq.net/upload/extra/cmi2003/photo/neo1/
J’aimerais bien piquer une jasette photo avec toi Francis, entre autres te refiler des trucs de cadrage qui te seraient utiles.
Bye!
Bernard (neonyme)
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4 juin 2004 à 17 h 16
Sans vouloir refroidir tes ardeurs, Francis, il faut que tu saches qu’il existe une loi sur la vie privée qui a modifié considérablement la manière de travailler des photographes ces dernières années.
Tu remarqueras d’ailleurs que les photos d’ambiance urbaines comme les tiennes, qui étaient jadis fréquentes dans les quotidiens, en sont pratiquement disparues aujourd’hui.
Il y a quelques années, un « sujet » (une jeune femme de Montréal je crois) a déjà poursuivi – avec succès – un photographe pour avoir publié une photographie de scène urbaine dans une revue québécoise qui n’existe plus aujourd’hui. Ce cas fait maintenant jurisprudence.
C’est pourquoi les photographes traînent désormais avec eux des décharges qu’ils font signer aux sujets des photos qu’ils désirent publier. Ou encore ils se contentent de faire des photos ou personne ne sera reconnu…
Cela est valable pour les scènes urbaines « anonymes » et non pas pour les événements urbains dont les gens devraient s’attendre à ce qu’ils soient couverts par les médias: manifestations, spectacles en plein air, etc.
Il existe bien sûr plein de situations ambigües entre ces deux extrêmes…
Chose certane, à mon avis: la plupart des scènes urbaines que tu publies dans ces pages sont sujets à poursuite. Prudence, donc.
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4 juin 2004 à 22 h 09
Je serais curieux de voir la plainte. Je paris qu’elle à été photographié de façon douteuse, dans une photographie qui pourrait par exemple supposer qu’elle était une prostitué ou quelque chose du genre.
Sinon, comment les bulletins de nouvelle pourrait avoir des images d’accident avec les curieux autours? Et les accusés filmé à la sortie du poste du police ou du palais de justice? Et que dire de l’émission J.E qui « pogne » les crosseurs un peut n’importe où et les montres à l’écran en train de fuire ou même de menacer le journaliste?
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7 juin 2004 à 11 h 19
Non, la photo était absolument sans malice, sans double sens, ni rien. Tout à fait dans le ton de tes photos en fait ;)
Les situations auxquelles tu fais allusion sont des événements « d’intérêt public » dans lesquels le droit à la vie privé tombe. La ligne est mince entre les deux, mais elle existe néanmoins. Tu demanderas à un photographe d’un quotidien, et tu verras comment leur pratique s’est considérablement compliquée depuis ce jugement.
J’ai retrouvé le jugement en question. Voici un extrait du journal du barreau à propos de ce jugement:
(…) En 1988, des compagnons hilares de Mme Aubry lui montrèrent un exemplaire de la revue Vice-Versa dans laquelle une photo d’elle apparaissait, la montrant assise pensive dans un escalier de Montréal. Elle fut choquée que la revue ait publiée une photo d’elle sans sa permission. Elle poursuivit celle-ci pour non respect de sa vie privée, en vertu de l’article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne. La Cour du Québec lui donna raison. Sa décision à elle fut confirmée et par la Cour d’appel2 et par la Cour suprême3.
« Ce qu’ont essentiellement dit la Cour d’appel et la Cour suprême, c’est que Mme Aubry n’a jamais renoncé à son anonymat », explique Me Sauriol. Les juges ont conclu à une violation du droit à l’image dont le droit à l’anonymat est une composante. La vie privée comporte aussi le droit de rester anonyme. Et ce droit est aussi important que le droit du photographe à faire connaître ses publications; ce dernier n’étant pas absolu. Sinon, la liberté du photographe serait étendue au dépend de celle des autres. »
Mais ces arrêts ont-ils pour effet d’empêcher, en toute circonstance, les photographes de presse de prendre des photos de simples citoyens sans leur consentement, comme les vitupérations des médias l’ont laissé croire depuis? « Bien au contraire, répond Me Sauriol. La Cour d’appel a clairement indiqué que, lorsque l’on participe à un événement public (artistique, sportif, etc.), on renonce implicitement à la protection de cette facette de notre vie privée, parce qu’on ne peut jamais savoir quand un événement comme celui-là va faire l’objet d’une couverture médiatique. » En plus, rajoute-t-elle, chaque situation doit être évaluée selon les circonstances qui l’entourent; une liberté ou un droit particulier pouvant avoir une valeur différente selon le contexte.
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7 juin 2004 à 11 h 33
Voici une adresse où est publié le texte du jugement: Aubry c. Éditions Vice Versa inc..
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7 juin 2004 à 11 h 43
Quelques textes sur l’affaire en question:
Journal du barreau 1
Journal du barreau 2
Éditorial du Devoir
Quartier Libre
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2 septembre 2004 à 15 h 38
Il faut faire attention avec la jurisprudence. Ce n’est pas une loi, c’est une ligne directrice qui aide à interpréter une loi dans des conditions bien établie. On le voie d’ailleurs dans la défense qu’ils ont tenté d’utiliser la jurisprudence pour se défendre sans succès. Les gens ont souvent tendance à penser que la jurisprudence et un jugement qui prévaut en toutes circonstance.
De plus dans cette situation on parle d’une personne mineur donc une personne pour qui les loi son quelques peut différente quand à leur interprétations. Les conditions pour considérer un refus à l’anonymat ne sont pas les même pour une personne majeure et une mineure. De plus il semblerait que cette photo a causé préjudice à la personne une autres chose qui est à prouvé par le plaignant.
Je suis présentement un cours de droit civile et il me fera plaisir de clarifier certains autres points si jamais j’en acquérais la capacité. :)
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