Québec Urbain

L’Urbanisme de la ville de Québec en version carnet…


Dossier du Soleil: Circulation à Québec (3 de 3)

Par Envoyer un courriel à l’auteur le 13 septembre 2004 6 commentaires

2 textes d’opinions pour finir le dossier.

Différente des autres villes, la circulation de la région de Québec ? A certains égards, oui. Nos heures de pointe sont, par exemple, beaucoup plus tolérables que celles que vivent les automobilistes montréalais. On compte par ailleurs, ici, un plus grand nombre de kilomètres de route pour chaque véhicule en circulation. Québec a également la particularité d’être historique : une bonne partie de son centre-ville a été construite avant l’avènement de l’automobile, ce qui nous vaut aujourd’hui bon nombre de rues étroites et sinueuses, aussi jolies soient-elles.

Comme si ce n’était pas assez, la ville est géographiquement particulière, avec sa haute et sa basse ville et, d’un point de vue climatique, Dame Nature qui lui réserve des hivers souvent très neigeux. Mais cela dit, Québec vit les mêmes enjeux circulationnels que les autres villes de son calibre et la vie d’automobiliste et d’usager de la route est, chez nous, ni mieux ni pire qu’ailleurs.

Ici comme partout ailleurs, pour une majorité de citoyens, on part de loin pour se rendre au travail le matin… et le soir, le retour est loin vers la maison. Quatre autoroutes dans l’axe nord-sud, incluant le futur prolongement de du Vallon, projet qui a reçu récemment l’aval du BAPE, plusieurs artères d’importance dans l’axe est-ouest, deux ponts et un service de traverse fluviale suffisent à peine à une demande toujours croissante.

Si le transport en commun s’avère acceptable en zone urbaine densément peuplée et sur certains trajets, il peine ailleurs à assurer un service à la hauteur pour tous les citoyens. Si l’étalement doit aujourd’hui être apprivoisé de toute urgence, il faut bien se faire à l’idée : on ne pourra jamais revenir en arrière. Et dans un tel contexte, l’automobile compte parmi les solutions : la propriété partagée des véhicules, le covoiturage, les stationnements incitatifs encourageant le transport en commun, etc., voilà des choses qui sont appelées à être plus présentes dans le quotidien des automobilistes au cours des prochaines décennies. A Québec comme ailleurs.

Même si on parvient un jour à endiguer l’étalement urbain, il faudra tout de même vivre avec notre réseau actuel. Mais parlons-en, de ce réseau dont on néglige l’entretien depuis des années. Comme les automobilistes de partout au Québec, ceux de la région de la capitale ont bien raison de se plaindre, la suspension de leurs véhicules aussi. De leurs poches sont prélevées, chaque année et bien malgré eux, des sommes faramineuses qui sont loin d’être retournées sur la route pour son entretien. Année après année, la situation se dégrade.

La popularité croissante d’Info Nids-de-poule, programme saisonnier mis en place par CAA-Québec qui a pour but de permettre la dénonciation des trous sournois qui affectent chaque printemps nos routes, montre bien le ras-le-bol des automobilistes à ce sujet : un sérieux rattrapage est urgent, pour la réfection et l’entretien des routes. Notre sécurité en dépend, tout comme la santé de l’économie. A Québec comme ailleurs.

Avec les calèches en plus toutefois, les routes d’ici sont empruntées par des autos, des camions, des motos, des cyclistes, des piétons, des patineurs à roues alignées et parfois même par des trottinettes ! Les automobilistes ont bien sûr un mea culpa à faire, les infractions sont encore nombreuses et les policiers n’hésitent d’ailleurs surtout pas à les rappeler à l’ordre. Des efforts devraient cependant être également déployés auprès des autres usagers de la route pour qu’eux aussi respectent les règles du jeu.

Les interventions de ce côté sont pour le moment timides, voire inexistantes. Particulièrement au centre-ville, le partage de la route consiste trop souvent à vivre avec des piétons qui traversent impunément la voie, avec des camions stationnés témérairement pour les livraisons, des patineurs qui surgissent, etc. Tous les usagers de la route ont à faire leurs devoirs. A Québec comme ailleurs.

Quand un même boulevard affiche deux ou trois limites maximales de vitesse, quand il faut étudier pendant près de 10 minutes la signalisation affichée pour savoir si on peut se stationner, quand un feu pour piétons condamne la circulation dans toutes les directions alors qu’elle pourrait être maintenue dans un sens sans danger, les automobilistes ont bien raison d’être irrités. La liste des exemples pourrait s’allonger. Et on parle là d’anomalies qui, au bout du compte, si elles étaient réglées, permettraient une circulation plus fluide et plus sûre. Il suffit de rouler un peu partout pour voir qu’on pourrait faire mieux… à Québec comme ailleurs.

Oui, la réalité des usagers de la route et des automobilistes de la région a quelque chose de commun avec celle que vivent la plupart des gens dans les agglomérations semblables à la nôtre. Ce qu’il y de surprenant, par contre, c’est que cette réalité, même si elle a beaucoup évolué depuis la naissance de CAA-Québec en 1904, est encore assez près de ce que recherchaient les premiers membres de l’association : concilier mobilité et sécurité.

A l’époque, tout était à faire, à revendiquer, à construire. On a aujourd’hui un réseau routier impressionnant, sauf qu’il tombe en désuétude. Notre Code de la sécurité routière est complet, mais on en néglige encore trop l’application. Les voitures n’ont jamais été aussi sécuritaires, sauf que le comportement de ceux qui les conduisent reste parfois à revoir.

Jamais la sécurité routière n’a été aussi omniprésente dans les médias comme dans nos vies et, pourtant, qui peut se vanter de ne jamais avoir traversé la rue au mauvais endroit ? Des changements de mentalité sont encore à souhaiter… et toujours possibles. Il n’y a pas si longtemps, on croyait par exemple les Québécois incapables d’adopter, eux aussi, le virage à droite aux feux rouges…


Paul A. Pelletier, Président-directeur général du CAA-Québec, 13 septembre 2004. Reproduit avec autorisation

Les automobilistes se plaignent-ils pour rien ?; Pour l’entretien routier, non, mais pour le reste…

Les automobilistes se plaignent-ils pour rien ? Il n’y pas de réponses toutes faites ni faciles à cette question. J’essaierai d’y répondre du point de vue de l’automobiliste, de l’usager des transports collectifs, du piéton, du voyageur à l’étranger que je suis à l’occasion et, finalement, comme scientifique.

L’automobiliste n’a pas raison de se plaindre du point de vue de la place que l’automobile occupe dans l’ensemble des modes de transport, bien au contraire. Ainsi, par exemple, dans la région du Montréal métropolitain, la part de l’automobile conducteur par rapport à tous les modes, y compris les déplacements à pied, était de 55 %.

On observe une proportion encore plus grande dans la région du Québec métropolitain, avec 61 % du total des déplacements, et cela parce qu’elle est moins dense et donc plus motorisée, faute d’une infrastructure en transports collectifs aussi denses qu’à Montréal. Par ailleurs, la part de l’automobile a beaucoup augmenté au cours des dernières années au détriment des transports collectifs : par exemple, dans la région métropolitaine de Montréal, selon les données des enquêtes ménages Origine-Destination disponibles, la part de l’auto-conducteur était de 40 % en 1982 et elle a progressé régulièrement depuis lors ; celle des transports collectifs était de l’ordre de 23 % en 1982 et n’atteignait que 13,5 % en 1998.

Dans la région Québec métro, on observe des tendances analogues : la part des transports collectifs est passée de 12 % en 1991 à seulement 7 % en 2001. A noter que cette diminution en parts relatives des transports collectifs s’accompagne généralement d’une baisse aussi de l’achalandage, ce qui met les transports collectifs dans une position très vulnérable. On devrait s’attendre à ce que les taux actuels soient encore plus défavorables aux transports collectifs.

Ce phénomène est dû à plusieurs facteurs, notamment à un phénomène de richesse et d’accès facile à l’automobile. Comparé à de nombreux pays du Nord, et même du Sud, le coût du véhicule, des assurances, de la vignette, du stationnement, du combustible est nettement plus faible ici, au Québec. Un examen des statistiques sur l’usage de l’automobile pour les conducteurs au Québec nous montrerait que dès que les jeunes ont atteint l’âge de conduire, la plupart d’entre eux se motorisent et délaissent les transports collectifs, qui se destinent alors principalement aux écoliers et à certaines clientèles captives.

A ce premier facteur s’ajoute un facteur de génération qui accentue la motorisation. Ainsi, les générations futures qui ont eu accès à l’automobile depuis leur jeunesse continueront de conduire à des âges très avancés. Bien que la marche à pied reprenne de l’importance avec le vieillissement, c’est le mode auto-conducteur qui dominera jusqu’à la fin du cycle de vie.

Étalement urbain

Enfin, la tendance générale à l’étalement urbain augmente le besoin de l’automobile, lequel se manifeste par l’acquisition d’une seconde et parfois d’une troisième automobile de la part des ménages et par une augmentation des distances parcourues. En 1998, dans la région du Montréal métropolitain, 32,5 % des ménages avaient deux autos ou plus. En banlieue, ce taux était nettement plus élevé (53,2 % dans la couronne Nord). Dans la Communauté métropolitaine de Québec, en 2001, ce taux était de 41 % en moyenne et nettement plus élevé en périphérie. L’impact négatif sur l’environnement en est d’autant accentué.

Compte tenu de cette tendance, les transports collectifs n’arrivent pas à maintenir leurs clientèles et leur rentabilité en est affectée. On se retrouve donc dans une situation de déficits chroniques des transports collectifs avec, souvent, un mauvais entretien des infrastructures et une baisse de service, ce qui à son tour a un effet négatif sur l’achalandage. C’est, à mon avis, davantage l’usager des transports collectifs qui aurait raison de se plaindre. Ce pourrait être d’ailleurs de plus en plus le cas dans un proche avenir avec le vieillissement de la population. De nombreuses personnes âgées, tout comme les jeunes, sont souvent captives des transports collectifs, mais ont souvent de la difficulté à les emprunter faute d’une offre suffisamment conviviale et accessible.

Le piéton

Et que dire du piéton ? Tout d’abord, rappelons que l’usager des transports collectifs est aussi un piéton et que si l’on veut rendre attractif le transport en commun, cela doit s’accompagner de mesures qui lui sont favorables. Ces mesures devraient, à mon avis, être axées sur la sécurité. Inutile de faire de longues études pour se rendre compte, au moins dans le cas de la région du Grand Montréal, que le marquage des aires délimitées aux piétons aux intersections laisse souvent à désirer, parce que mal entretenu et très souvent délavé.

Ceci contraste avec de nombreuses villes du Nord, où la plupart des villes moyennes, comme c’est le cas en France ainsi qu’à Paris, ont un niveau de qualité d’entretien de l’espace urbain nettement supérieur au nôtre, et cela sans parler du Japon, qui pourrait aussi nous servir d’exemple. Le piéton pourrait aussi se plaindre que l’automobiliste est peu respectueux du piéton aux intersections s’il se compare à ses voisins de l’Ontario. Une étude faite récemment par l’INRS sur la comparaison des comportements des automobilistes face aux piétons, à Toronto en comparaison avec Montréal, corrobore ces affirmations. On pourrait aussi se comparer au Japon, où, même dans des méga-agglomérations de plus de 10 millions, le piéton se sent en parfaite sécurité grâce à un entretien de la signalisation urbaine impeccable et à une autodiscipline des conducteurs, lesquels sont respectueux des piétons.

Se comparer aux meilleurs

Je crois qu’il est grand temps, ici au Québec, d’arrêter de se pâmer en disant que nous sommes les meilleurs et que tout va bien. Bien qu’il puisse être réconfortant de se comparer aux pires, il vaudrait mieux se comparer aux meilleurs. A mon humble avis, en comparaison avec beaucoup de grandes villes du monde riche ou développé, nous perdons du terrain sur le plan de l’entretien de notre réseau routier, de la signalisation, de la propreté, bref de la qualité de vie urbaine. De ce côté, l’automobiliste a raison de se plaindre mais il pourrait aussi se plaindre, de lui-même car les autres usagers des différents modes, à savoir les piétons et les usagers des transports collectifs, sont beaucoup plus vulnérables, en partie à cause du comportement au volant souvent délinquant des Québécois.

Note de l’auteur : Les enquêtes ménages transport

Origine-Destination sont une source privilégiée pour étudier la mobilité urbaine. De nombreuses statistiques sont disponibles dans le Web, notamment dans le site : www1.mtq.gouv.qc.ca/fr/services/documentation/statistiques/enquetes/index.asp


Yves Bussière, L’auteur est professeur à INRS-UCS (Urbanisation, Culture et Société), l’Institut national de la recherche scientifique, 13 septembre 2004. Reproduit avec autorisation

Voir aussi : Étalement urbain, Transport en commun.

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