Québec Urbain

L’Urbanisme de la ville de Québec en version carnet…


Trente escaliers racontent l’histoire de Québec

Par Envoyer un courriel à l’auteur le 8 novembre 2004 10 commentaires

On compte près de 30 escaliers qui relient la basse ville à la haute ville de Québec et vice versa. La ville en répertoriait déjà 28 en 1986. Une vingtaine d’entre eux ont été baptisés officiellement par la Commission de toponymie et portent pour la plupart des noms évocateurs. Tous sont des témoins souvent privilégiés de l’histoire locale. Et plusieurs peuvent être vus comme des beaux objets du patrimoine bâti.

Yves Beauregard est directeur de la revue Cap-aux-Diamants. Il regarde la ville, ses meubles et ses habitants avec des yeux d’historien. Il dit en entrevue : « Québec n’est pas Québec sans ses côtes et ses escaliers. » Et il ajoute : « Les escaliers de Québec représentent l’un des plus beaux exemples de l’adaptation de l’Homo Quebecensis à son milieu. »

On ne peut pas prétendre bien connaître cette ville et ses habitants si on n’a pas emprunté au moins une fois dans sa vie, en descendant ou en montant, la plupart de ses escaliers. Parce que chacun d’eux a une personnalité propre, une clientèle particulière et une petite histoire originale.

Québec est une ville qui se marche à pied sec. Le nombre d’escaliers en est la preuve évidente. Cette ville cache des secrets. C’est par ses escaliers qu’on peut les découvrir. A lui seul, l’architecte et ingénieur Charles Baillairgé (1836-1906) a signé les plans d’une dizaine des escaliers les plus pittoresques de Québec.

Le plus vieux et le plus jeune

Curiosité de l’histoire locale qui n’en manque pas, le plus vieil escalier de Québec se trouve à quelques pas du plus jeune. Le premier, l’escalier Casse-Cou, conduit de la côte de la Montagne à la rue du Petit-Champlain. Il a presque l’âge de la ville. En effet, il apparaît sur un plan de 1660. Le fondateur a très certainement emprunté ce qui était à l’origine un sentier naturel qui conduisait à l’Abitation de Champlain. L’architecte et ingénieur Charles Baillairgé l’avait restauré en 1889. Il a été rénové au moins deux fois depuis. Ce sont les gens du quartier qui lui ont trouvé ce nom qui lui va si bien quand on constate la raideur de la pente à monter ou à descendre.

Le passage du Roi, un peu plus bas dans la côte de la Montagne, date de quelques années à peine. Il traverse à ciel ouvert les maisons Hazeur et Smith et fait partie du tout nouveau Centre

d’interprétation de Place-Royale. Il pénètre dans les entrailles de la plus vieille place publique de Québec et permet une lecture de l’histoire locale à travers son architecture et ses objets domestiques. C’est l’escalier le plus didactique de Québec, selon l’expression d’Yves Beauregard.

Le plus long et le plus court

Le plus long en nombre de marches est sûrement l’escalier du Cap-Blanc qui relie, 398 marches plus haut, le quartier si typique du même nom aux plaines d’Abraham. Il a été construit en 1868, toujours en bois et toujours épuisant. Il permettait à la population ouvrière du Cap-Blanc d’aller travailler à pied aux usines de munitions des Cove Fields, dont la Long Rifle, qui ont longtemps occupé une partie des Plaines. Situé dans une pente propice aux éboulis, il a été reconstruit plusieurs fois, dont, en 1894, selon les plans de Charles Baillairgé. Une centaine d’années plus tard, on refera l’escalier en aménageant des paliers pour le repos des grimpeurs. Aujourd’hui, les meilleurs clients de cet escalier pas comme les autres sont les joggeurs et autres champions de la forme physique qui vont y tester l’état de leur cardiovasculaire.

Le plus court est probablement l’escalier du Quai-du-Roi (30 marches anti-dérapantes été comme hiver) à la limite est de la rue du Petit-Champlain. Dans son indispensable guide du Vieux-Québec, publié chez Septentrion, Jean-Marie Lebel décrit ainsi cet escalier et son voisin jumeau, l’escalier du Cul-de-Sac : « Deux sombres et pittoresques petits escaliers, insérés entre les vieilles maisons, permettent aux passants de descendre de la rue du Petit-Champlain au boulevard Champlain. » Ces deux escaliers de fer ont été refaits à la fin du XIXe siècle. L’historien pense au roman Quai des brumes, de Pierre Mac Orlan, chaque fois qu’il descend ces marches qui mènent au bateau de la Traverse.

Le plus bel escalier

Quel est le plus bel escalier de Québec ? Bonne question. C’est selon. Selon que l’on attache le plus d’importance à l’esthétique, à l’histoire ou à la situation géographique dans la ville.

Je connais des vieux Québécois enracinés et amoureux de leur ville qui ne jurent que par l’escalier Lépine. Pourquoi ? Parce que cet escalier qui relie la côte d’Abraham au quartier Saint-Roch est signé. Il rappelle, à ses pieds, à l’aide d’une arche en fer forgé finement travaillée, le nom du grand Charles Baillairgé, son architecte. L’escalier porte aussi les noms du maire Langelier et des principaux conseillers municipaux de l’époque. Ces mêmes vieux Québécois disent qu’en descendant l’escalier qui porte le nom de l’entrepreneur de pompes funèbres voisin, on pouvait, à l’époque, assister certains beaux jours d’été, au spectacle insolite du lavage, à grande eau et en plein air, des morts les plus récents. Mais il s’agit sûrement de fabulation ou d’une légende urbaine.

Pour Yves Beauregard, le plus bel escalier est l’escalier du Faubourg, appelé aussi, un temps, par les gens du quartier, l’escalier Sainte-Claire ou l’escalier du SOLEIL. Restauré tout récemment, ce bel escalier de fer est aux yeux de l’historien de Cap-aux-Diamants, « le plus gracieux, le plus aérien ». Il a aussi l’avantage d’offrir l’un des plus beaux points de vue de Québec et d’être le témoin privilégié de la renaissance du quartier Saint-Roch.

L’incontournable journaliste Monique Duval nous apprend aussi que c’est le maire S.-N. Parent qui, en 1888, a demandé à Charles Baillairgé, toujours lui, de dessiner les plans d’un escalier de fer pour remplacer l’escalier en bois désuet. A l’époque l’escalier de 98 marches, sur trois paliers, avait coûté une petite fortune : 1486 $. L’ascenseur voisin date de 1942 et s’appelait à l’origine l’ascenseur Gosselin, du nom du propriétaire du terrain. La ville a pris l’ascenseur à son compte à partir de 1978.

Le plus invitant

On attendra jusqu’en 1980 avant de nommer un escalier du nom du grand Charles Baillairgé. L’architecte et ingénieur ne perdait rien pour attendre. L’escalier Charles-Baillairgé (l’ancien escalier Buade) a été remarquablement bien restauré sous l’administration Pelletier en s’inspirant des plans de 1893 signés par l’architecte lui-même. Il s’emprunte par l’Impasse du Chien d’Or, face au vieux bureau de poste, et conduit à la côte de la Montagne. Outre son esthétique, il offre une vue imprenable sur le parc Montmorency et sur le monumental escalier Frontenac, construit en 1978, et qui permet un raccourci spectaculaire entre la terrasse Dufferin et la côte de la Montagne. A noter que pas moins de quatre escaliers desservent cette artère pentue originale si riche d’histoire.

Des escaliers et des hommes

On ne peut raconter ici la petite histoire de chacun des escaliers du centre-ville de Québec. Ils sont trop nombreux. Ils mériteraient pourtant un livre en couleur. Certains sont incontournables.

– L’escalier de la Chapelle date de 1937. Il reliait le faubourg Saint-Jean-Baptiste au quartier Saint-Roch et aux grands magasins de la rue Saint-Joseph, à partir de la côte d’Abraham. Aujourd’hui, il traverse la coopérative Méduse au niveau du sympathique café l’Abraham-Martin.

– L’escalier Badelard longe la côte du même nom. Les gens du quartier Saint-Jean-Baptiste disent aussi « de la Négresse » pour désigner la côte et l’escalier. Cela ferait référence à l’époque où Québec était une ville de garnison. Les bordels étaient nombreux dans le quartier, disent les historiens, et l’un d’entre eux était tenu par une négresse flamboyante, dit-on.

– L’escalier Colbert date de 1890. Il mène du milieu de la côte Salaberry à la rue Colbert, derrière l’église Notre-Dame-de-Grâce, à Saint-Sauveur. L’escalier a connu son heure de gloire au début des années 1970. Une statue de la Sainte Vierge y faisait des miracles, selon les propriétaires des lieux qui faisaient la quête. Des milliers de croyants, de partout au Québec, y ont cru dur comme fer. Des foules en prière s’y sont rassemblées durant presque tout un été. Au bas de l’escalier, il reste la statue de la Vierge, la grotte, toujours entretenue, et les vestiges d’un temple marial qu’on voulait y construire.

L’escalier le plus à l’ouest est l’escalier Joffre, au pied de la rue du même nom. Dans le secteur de la côte Belvédère, deux petits escaliers en auraient long à dire : les escaliers de la Pente-Douce, nommée ainsi en hommage à l’oeuvre de Roger Lemelin, et des Braves, du nom de l’attachant parc qui rappelle la dernière victoire française à la fin de la guerre de la Conquête.

L’escalier des Franciscains, qui permet de rejoindre les quartiers populaires de la basse ville à partir de la rue de l’Alverne, en haut, compte 177 marches de bois. Comme l’escalier Victoria, son voisin, il est conservé en bon état par la ville. Même chose pour les escaliers Lavigueur et des Glacis. A noter que, l’hiver, tous ces escaliers sont déneigés à la petite pelle.

A retenir aussi que les escaliers de Québec qui n’ont pas encore été baptisés officiellement se trouvent tous dans le secteur de la terrasse Dufferin et de la Promenade des Gouverneurs. Le fédéral a juridiction sur certains escaliers de Québec.

Yves Beauregard croit que les escaliers de Québec ont un bel avenir devant eux. Les gens à la retraite reviennent au centre-ville et veulent laisser l’automobile au garage. Ils veulent pratiquer la marche en ville comme un sport. Ils veulent faire leurs courses à pied. La trentaine d’escaliers de Québec leur tendent les bras.


Louis-Guy Lemieux, 7 novembre 2004. Reproduit avec autorisation

Voir aussi : Message d'intérêt public.


10 commentaires

  1. Eric Alvarez

    8 novembre 2004 à 08 h 21

    Comme quoi l’Escalier proposé pour le 400ième avait un lien historique logique avec la Ville : )

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  2. Serge Alain

    8 novembre 2004 à 15 h 02

    Ouais, mais il y a des gens qui se scandalisaient et proposaient plutot un stade de foo-ball…

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  3. bunny

    8 novembre 2004 à 17 h 59

    Superbe cet article!
    J’emprunte une bonne partie de ces escaliers régulièrement: et je ne m’en lasse pas!
    Je ne les connais pas tous mais ça me donne le goût de les découvrir hiver comme été!
    A quand Francis un reportage photo de tous ces escaliers?
    A vos marques…prêt…grimpez!
    :))

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  4. Francis Vachon

    8 novembre 2004 à 18 h 08

    J’ai ajouté deux liens dans l’article. Merci à
    Jean Pierre Chamard :)

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  5. Serge Alain

    8 novembre 2004 à 19 h 46

    Article très intéressant!

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  6. jaco

    9 novembre 2004 à 00 h 30

    Contrairement à l’autoroute Dufferin qui « lisse le paysage », le projet de l’escalier aurait restitué la DIVISION haute-ville/basse-ville(ref Sylvain Lelievre: »La haute-ville ce n’est pas la basse-ville)
    Mais cette fois ci dans un geste d’ouverture et d’acceuil…et en plein coeur de la cité! Et non plus de maniere furtive ou à la dérobée…

    Plus symbolique qu’utilitaire dans ce cas ci…et en témoignage des 30 escaliers et en reconnaissance de l’histoire de la ville…
    Le projet était trop simple …

    En effet si on compare: » Ne pourrions-nous pas aménager cet espace pour en faire une sorte de gare pour accueillir les autocars touristiques, un espace percé par des puits de lumière avec, en surface, le point de départ d’une navette écologique…(maire Lamontagne) a suivre/

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  7. Bernard Bastien

    9 novembre 2004 à 16 h 09

    Peut-être je me trompe, mais l’escalier de la côte Badélard ne porte-t-il pas le nom d’escalier Baldimand? J’aime bien que l’auteur ait souligné le nom que cette côte porte encore chez les « indigènes » du quartier, la côte de la Négresse…

    Une côte maintenant rendue inutile par des travaux « d’embellissement » qui ont interdit son accès aux véhicules, sans que personne ne l’ait demandé.

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  8. pierre gravel

    14 août 2005 à 13 h 33

    eh oui j’ai conne toute ces escaliers quand j’étais jeune et surtout la grotte .
    l’escalier du cap blanc bin je l’ai déja montée
    avec des coups de pied au derriere marche apres
    marche dans le temps on etait espiegle mais il
    fesait bon vivre a québec avec nos escaliers,
    je les aient tous montées

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  9. Élise Chartrand

    7 mai 2008 à 09 h 29

    Bonjour, je viens de lire votre article sur les escaliers de la ville de Québec. J’aurais aimé connaître les adresses ou situation près de quelle rue ou boulevard. Un article qui permettrait aux gens de savoir où elles se situent pour aller les monter et descendre. Ce serait bon pour la santé et la ligne. J’aimerais recevoir une réponse. Merci pour l’attention portée à ma demande.

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  10. Gérald Gobeil Utilisateur de Québec Urbain

    7 mai 2008 à 18 h 24

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