Source: Charles Côté, La Presse
Sans pétrole, la banlieue telle qu’on la connaît n’existerait pas. Sans essence à bas prix pour les voitures, sans bitume pour les rues, sans pesticides pour les pelouses, sans plastique pour la myriade de bidules chers à la vie banlieusarde, il faudrait trouver un autre cadre pour le rêve américain. Et peut-être serons-nous forcés de le faire, si le prix du pétrole triple, comme certains le prédisent.
C’est le propos de The End of Suburbia, du documentariste de Gregory Greene, un Torontois de 37 ans. La question est fascinante. Le mois dernier, 600 personnes se sont rendues à l’Université Concordia pour voir le documentaire lors de sa première projection publique à Montréal, près d’un an après sa sortie.
Le documentaire plonge dans les origines sociales et économiques de la banlieue nord-américaine, mode principal d’habitation depuis les années 50. Aujourd’hui, la moitié de la population nord-américaine habite en banlieue.
Mais la banlieue n’était pas le point de départ du documentariste. Il y a deux ans, M. Greene était simple caméraman pigiste séjournant à Paris quand un producteur torontois lui a demandé d’aller interviewer des experts participant à une conférence internationale. Le sujet: l’étude du pic pétrolier. C’est le moment où la production mondiale de pétrole, en augmentation depuis 150 ans, commencera à s’essouffler et à diminuer, faute de nouvelles réserves. À partir de ce moment, le prix du pétrole commencera une spirale ascendante, que certains croient déjà déceler ces derniers mois.
Pétrole et banlieue
Quel rapport avec la banlieue? «Le pic du pétrole est un sujet méconnu mais important pour l’avenir de l’humanité, dit-il. J’étais convaincu que si on voulait en parler à une audience plus large, il fallait rattacher cela au quotidien des gens.»
D’où l’idée de ce documentaire à deux volets, qui tente de tisser le lien entre les mystères de la géologie pétrolière et le mode de vie le plus répandu sur notre continent. Car le sujet du pic pétrolier peut en mystifier plus d’un.
L’idée revient à un géologue américain, King Hubbert, qui avait prédit dans les années 50 que la production pétrolière aux États-Unis atteindrait son apogée en 1970 et déclinerait ensuite inexorablement. M. Hubbert était un scientifique respecté, mais son idée a été battue en brèche, à l’époque. En 1970, l’industrie pétrolière se targuait de produire plus de pétrole que jamais. Justement, elle n’en n’a plus jamais produit autant par la suite, en dépit des découvertes en Alaska et dans le golfe du Mexique.
Depuis que M. Hubbert a énoncé sa théorie, d’autres experts ont essayé de l’appliquer à la production pétrolière mondiale. C’est un exercice plus compliqué, parce que les données sont moins fiables, notamment au Moyen-Orient, où se trouve environ 60 % du pétrole de la planète.
M. Greene a interviewé certains de ces experts il y a deux ans à Paris. Ils font partie de l’ASPO (Association for the Study of Peak Oil). Ce sont des géologues et économistes pétroliers à la retraite. Et leurs travaux sont de plus en plus suivis. La Presse en faisait d’ailleurs état, l’automne dernier, dans une série sur l’énergie.
Pic imminent
Depuis, d’autres indices se sont ajoutés qui vont dans le sens d’un pic imminent de la production pétrolière mondiale.
Fin mars, la banque d’affaires Goldman Sachs évoquait la possibilité d’une flambée des prix et d’un baril à 105 $ US.
Début avril, ChevronTexaco a offert 16,4 milliards de dollars américains pour acheter Unocal (Union Oil of California) et ses réserves pétrolières. Un prix jugé beaucoup trop élevé par les analystes, sauf ceux qui croient que le pic est imminent. David O’Reilly, grand patron de ChevronTexaco, peut-il se tromper à ce point? demandait récemment un chroniqueur économique de San Francisco.
Puis, fin avril, le président George W. Bush affirmait, quelques jours après avoir reçu chez lui le prince Abdallah d’Arabie Saoudite, que la production d’énergie ne réussissait pas à répondre à la demande.
Récemment, dans le Globe and Mail, le chroniqueur financier Eric Reguly relatait les propos d’un autre vieux routier de l’industrie pétrolière, Henry Groppe, qui ajoute sa voix à ceux qui croient que le pic est imminent.
Le documentaire The End of Suburbia cite un autre expert, Matthew Simmons, un grand financier de l’industrie de l’énergie. Sa firme, dont le siège se trouve à Houston, au Texas, compte certaines des plus grandes sociétés pétrolières et gazières de la planète. M. Simmons publie ces jours-ci un livre (Twilight in the Desert: The Coming Saudi Oil Shock and the World Economy) qui prédit que l’Arabie Saoudite sera incapable de hausser sa production de pétrole, un signe sans équivoque du pic de production mondiale.
La thèse de la venue prochaine d’un tournant majeur dans l’industrie pétrolière- et dans l’histoire de la civilisation industrielle- commence donc à prendre du poids.
Qu’est-ce que cela veut dire pour la banlieue? «Les gens vont se sentir pris au piège, comme dans une embuscade», affirme Howard Kunstler, un urbaniste cité dans The End of Suburbia.
Dur constat, mais pas exagéré ni extrémiste, selon M. Greene. «Les anarchistes se réjouissent en attendant cette crise, dit-il. Pas moi. Je ne suis pas anarchiste. Je ne suis pas un militant anti-auto. Mais je pose des questions. Je crois qu’on peut s’en sortir, ça dépend de notre intelligence et de notre rationalité. Mais actuellement, il est clair que les Américains ne sont pas prêts à faire les gestes nécessaires.»
Depuis un an, il a présenté son film deux ou trois fois par semaine. «Les gens sont soulagés d’avoir une information sur cette crise à venir, dit-il. Quand je me mets à en parler avec eux, souvent, ils hochent la tête. Ils savent que ça s’en vient. J’espère qu’ils voient dans mon film une représentation équilibrée de quelque chose qui est peut-être déjà là. Nous n’avons fait que rassembler les morceaux.»
«Je participe à beaucoup de tribunes téléphoniques ouvertes à la radio, dit-il. Souvent, les gens m’accusent de faire partie d’une conspiration dont le but serait de maintenir élevé le prix du pétrole. Je leur dis: vous avez raison d’être sceptiques. Investissez une heure de votre temps et informez-vous. Moi aussi j’étais sceptique au début. Je ne suis pas militant, je suis caméraman et documentariste.»
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www.endofsuburbia.comLe film sera bientôt disponible en DVD et en VHS. Il est possible de le commander à partir du site Internet.
10 mai 2005 à 10 h 45
Henry Ford a été à l’origine de la non-ville…
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10 mai 2005 à 20 h 36
Article très très intéressant. Merci Jean-Baptiste Maur. Cela rejoint l’article cité par Piglet le 22 avril dans le forum de Q.U. « Les VUSionnaires ».
Et ça rejoint le commentaire que je viens juste d’ajouter sur le Lac Saint-Augustin: ce dernier était le refuge des hydravions et de quelques centaines d’habitations de villégiatures, jusqu’au prolongement de l’autoroute 40, qui a incidemment fait exploser Saint-Augustin et son lac, démographiquement parlant, dans les années 70.
Assisteront-nous de notre vivant à un étalement urbain « à l’envers » dans les 20, 10… ou 5 prochaines années? Seules les réserves de pétrole nous le diront car les solutions de remplacement ne semblent pas tout à fait au point dans notre civilisation, c’est le moins qu’on puisse dire.
Retenez-bien ceci: que les prédictions sur le sujet soient alarmistes ou optimistes, il y a une donnée qui est en train de changer la donne: la demande insatiable pour les produits pétroliers par la FULGURANTE industrialisation chinoise.
Prêtez-vous à l’exercice suivant: lisez les étiquettes chez Rona, chez FabricVille, chez Dollorama, dans les boutiques de souvenirs, dans les magasins d’appareils ménagers, de pièces d’ordinateur, de CD et DVD, etc. Ce qui est fabriqué en Chine et dans les pays environnants ne coûte pas très cher… pour le moment.
Un banlieusard averti en vaut deux. Et un consommateur occidental, de façon générale.
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13 mai 2005 à 19 h 37
Je viens de regarder ce documentaire. Celui-ci ratisse très large et c’est sa grande qualité.
On commence par parler de l’origine de la banlieue, de ce qui l’a justifié et du fait que l’on est dépendant d’une énergie à bon marché, autant pour notre agriculture que pour importer les produits bon marchés asiatiques. On parle ensuite du pic imminent de production de pétrole et de ses conséquences: mise à pieds massive, banlieues éloignées transformée en ghetto, guerres pour assurer des approvisionnements stables, etc.
On termine avec une description du « nouvel urbanisme », de sa popularité et de ses avantages dans un monde en crise énergétique. On parle aussi du recyclage éventuel des banlieues en des secteurs mieux adaptés.
J’ai trouvé ce film un peu trop apocalyptique à mon goût, mais je vous en conseille tout de même son visionnement. Je vais prêter le DVD à quelques M. et Mme Banlieue afin de connaître leur réaction.
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13 mai 2005 à 22 h 34
Une des questions qui se poserait: au-delà des diverses études alarmistes, est-ce que quelqu’un quelque part, quelqu’un « en autorité » possède une vision à long terme? Genre: a t’on prévu quelque chose pour nos sociétés dans plus ou moins vingt ans, lorsque les réserves pétrolières s’amenuiseront dangereusement? Je parle autant des gouvernements que des pétrolières, en particulier.
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7 mai 2007 à 18 h 55
Je recherche des gens prêts à discuter de la problématique du pic pétrolier dans la région de Québec.
Mon blog en traite amplement depuis 6 mois au
http://lephoenix.wordpress.com/
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