Tel est le titre de la longue missive que je viens de recevoir, dont voici l’introduction. J’ai pensé qu’il était tout à fait pertinent de la reproduire dans son intégralité en regard de ce récent billet… et pour l’amour de la musique à Québec!
Bonjour Monsieur Cazes,
voici un texte d’opinion co-signé par une vingtaine d’employés/musiciens concernant la fermeture du Café-Bar. Nous l’avons fait parvenir aux principaux médias écrits francophones, mais croyons qu’il est susceptible de vous intéresser puisque vous avez précédemment abordé la question sur Québec Urbain.
L’Emprise du jazz à Québec…
La fermeture envisagée du Café-Bar L’Emprise de l’Hôtel Clarendon, à Québec, a de quoi surprendre. Ce lieu, qui servit de décor au long métrage de Léa Pool, La femme de l’hôtel, est surtout réputé pour avoir présenté, durant plus de 25 ans, des artisans du jazz s’étant inscrit dans l’univers musical de plus d’une génération. Cette petite Mecque du jazz a ainsi reçu, au fil du temps, des artistes tels Vic Vogel, Steve Amirault, François Marcaurelle, Diana Krall, John Zorn, Ray Downes, Dave Douglas, Garrisson Fewell, Michel Donato, Jan Jarcyk, Maurane, Renaud et bien d’autres. La fermeture probable secoue d’autant plus le milieu du jazz québécois, que tous ont à l’esprit l’achalandage de l’endroit, son ambiance unique mais surtout la qualité des performances qui s’y déroulent. Pourtant, il ne serait pas si inusité que culture et commerce ne fassent pas, une fois de plus, bon ménage. Mais il est tout de même saisissant de constater qu’un endroit aussi envoûtant, non pas seulement par l’éloquence de son architecture art-déco ou son ambiance feutrée, que par sa légendaire diffusion des musiciens jazz québécois, en vienne à remettre en question l’existence même de ce petit joyau culturel. Petit, certes, mais pourtant de renommée internationale.
Les administrateurs de l’Hôtel Clarendon jonglent avec l’idée de mettre fin à la programmation jazz du Café-Bar L’Emprise dès le mois d’octobre. Or, il y a fort à parier que la réaction du public de la Vieille Capitale ou de la clientèle touristique et locale qui fréquente son restaurant gastronomique, Le Baillairgé, ainsi que les charmantes chambres de cet hôtel quatre étoiles, tous surpris par la rumeur, puissent leur rappeler que le jazz est exactement ce qui distingue le Clarendon de ses compétiteurs. Il n’est pas rare d’entendre les clients de l’hôtel dire qu’ils ont choisi d’y loger parce qu’on leur avait recommandé les soirées jazz qui s’y déroulent. Et nombreux sont les clients qui préfèrent fréquenter la plus vieille salle à dîner au Canada afin de pouvoir bénéficier des premières notes du spectacle, tenu dans le bar adjacent. Nous questionnons ainsi l’impact qu’aurait la fermeture du bar sur l’achalandage de l’hôtel et de ses différents services. Car il n’y a pas que dans l’imaginaire collectif des gens de la région que Clarendon rime avec Jazz : presque tous les week-ends, musiciens et mélomanes canadiens, américains et européens passent prendre le pouls de la vivacité du jazz québécois à L’Emprise…
Mais alors, pourquoi attenter à une tradition si solidement ancrée, à une expérience des plus inédites à l’époque des hôtels-boutiques et autres formules axées sur une approche distinctive plutôt que sur une consommation homogène de masse ? Il semble bien que ce soit dû à une récente diminution des recettes. L’idée d’exiger un coût d’entrée, aussi séduisante puisse-t-elle paraître, pourrait aussi ne pas entraîner les résultats escomptés : se réfugiant derrière ce prétexte, plusieurs clients seraient tentés de diminuer leur consommation prétendant, non sans raison, avoir déjà acquitté leur juste part. Adjoindre le bar à la salle à dîner, afin d’ainsi accroître l’auditoire potentiel pour les soirées jazz, ou encore augmenter la visibilité de ce lieu de diffusion par de la publicité ciblée, voire même renouveler un mobilier vieillissant sont autant de solutions envisagées par les habitués de L’Emprise. «Malgré le fait que la majorité de la clientèle du Clarendon bénéficie d’un accès Internet, raconte un client, il est toujours impossible de consulter la programmation à venir sur le site de l’Hôtel». Un sérieux coup de barre devient impératif afin de mieux accorder le lieu aux attentes et particularités de sa clientèle.
Les coûts relatifs à la tenue de soirées jazz sont sommes toutes assez limités comparativement aux nombreux bénéfices pour les autres services offerts par l’hôtel, notamment en ce qui concerne l’image distinctive que projette ce type d’événements. Il s’agit certes d’un bénéfice symbolique, intangible à première vue et difficilement quantifiable. Mais considérant qu’il y a plus de vingt-cinq ans que l’Hôtel Clarendon œuvre dans le milieu du jazz de la Vieille Capitale, parions que c’est exactement cette particularité qui enveloppe le plus vieil hôtel de Québec d’un esprit si vivant. Ainsi que le disait un musicien américain, qui se produit chaque année à L’Emprise depuis près de dix ans : «Jazz gives a soul to this place!». Et les musiciens locaux ne peuvent qu’être de son avis.
Il est effectivement surprenant à quel point le nombre de musiciens jazz de qualité s’accroît dans une région où l’on retrouve pourtant si peu de scènes consacrées à leur art. La fermeture de L’Emprise viendrait donc assombrir le milieu du jazz, ne pouvant désormais plus compter sur un diffuseur régulier et capable d’offrir une visibilité qui va parfois bien au-delà des frontières. «Avant même d’entreprendre ma formation, je rêvais de jouer au Clarendon» me disait une des plus charmantes voix de la région. Trouver une scène sur laquelle promouvoir son talent exige souvent un niveau d’organisation et des ressources auquel trop peu de musiciens de la région peuvent aspirer. Consciemment ou non, c’est exactement cette mission de diffuseur du jazz local que joue le Clarendon. Mais il est dommage que ce ne soit qu’acculée au pied du mur, une fois menacée de fermeture, que l’on doive s’apercevoir du rôle primordial de cette petite scène sise au cœur du Vieux-Québec.
Bien au-delà de ces solutions envisagées, un fait demeure; l’existence de ce temple du jazz repose d’abord et avant tout sur ceux et celles qui ont contribués à ce que s’y forge, durant plus d’un quart de siècle, une tradition. C’est-à-dire sur vous, mélomanes/clients de tous statuts, de toutes origines ayant pour trait commun d’aimer se laisser envoûter par les ambiances jazz.
Par : Dave G. Pelletier, Vincent Gagnon, François Côté, Guillaume Bouchard, Raynald Drouin, Michel Côté, Renaud Paquet, Pierre Côté, Danielle Viens, Virginie Hamel, Annie Poulain, Danya Ortmann, Jasmin Cloutier, Denis Pouliot, Simon Lévesque, Martine Bouinot, Mireille Boily, Dominic Gobeil, Philippe Côté, Yves Jacques…
14 septembre 2006 à 09 h 33
M. Cazes,
merci de vous soucier de la culture dans ces hauts lieus de la musique à Québec. Il est grand temps que certains organismes s’y impliquent aussi. Que fais la Guilde des musiciens dont j’en fait moi-même partie? Pas grand chose à ce que je vois. Pourtant, cette chère guilde n’est elle pas là pour aider les musiciens?
Je souhaite de tout coeur que la musique jazz ne cesse pas au Bar L’Emprise. L’âme d’une société est la culture.
Clément
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