Enfant, Gilles Néron déménage sur la première Avenue et découvre le tramway, qui sera le fil conducteur de ce récit de sa jeunesse. Un incroyable témoignage.
Épisodes précédents:
L’avenue du tramway – Chapitre 1: Le déménagement
L’avenue du tramway – Chapitre 2: la machine à perche et la 1ere avenue
J’ai toujours trouvé curieux que le tramway nous véhicule là où quelque chose d’intéressant se produisait. Ce fut le cas lorsque j’ai assisté à ma première joute de hockey professionnel. Effectivement, nous avons pris ce moyen de transport, un dimanche où mon père était de bonne humeur, un p’tit 10 onces dans sa poche. Notre destination était le Colisée, appelé depuis le Petit Colisée, afin d’assister à une partie de hockey et subir ainsi mon initiation au jeu national des Canadiens. C’était du temps des As de Québec. Je ne m’étais jamais encore trouvé dans une foule emballée par ce sport. L’amphithéâtre était bondé, les gens chantaient, se levaient, gesticulaient et fumaient au point où un nuage bleu flottait sur la glace. J’étais étourdi par le bruit et l’excitation générale. La foule criait sans arrêt Béliveau! Béliveau! Moi, je croyais qu’il s’agissait d’un crie de ralliement ou d’encouragement et je m’égosillais à scander: Bel Vo! Bel Vo! Papa m’a dit que ce n’était pas Bel Vo, mais Béliveau, le nom du grand gars qui venait d’apparaître sur la glace. Il ajouta que c’était le meilleur joueur, bien qu’encore jeune. Je n’ai plus crié. La rondelle a été lancée et je me demandais pour quelle couleur de chandail je prendrais. J’optai pour celui que portait Béliveau, même si le blanc n’était pas habituellement mon premier choix.
Pendant de longues minutes je tentais de savoir ce que faisaient ces patineurs rapides avec leur bâton. Uns chose était certaine, ils cherchaient à s’enfoncer dans la bande de bois qui ceinturait la patinoire et le sifflet des arbitres se faisait entendre souvent. Alors tous les joueurs s’arrêtaient pendant que les gens dans les estrades se déchaînaient. Curieuse façon de s’amuser. Les spectateurs continuaient de crier une fois le jeu repris comme si leur voix pouvaient aider les joueurs.
Je commençais à comprendre que le jeu consistait à s’arracher une petite rondelle noire que papa appelait la pock, quand une sirène se fit entendre. Tout le monde se lève sur le champ et quitte sa place aussi rapidement que les joueurs sortaient de la patinoire. Persuadé qu’il se passe quelque chose de grave je jette un œil alarmé sur mon père qui reste paisiblement assis. Sans manifester la moindre inquiétude, il sort son précieux flacon pour une rasade en catimini. Je le tire par la manche et lui dis qu’il faut partir parce qu’il y a le feu.
–Quoi le feu? Où est le feu? Il n’y a pas de feu ici, dit il avec un air détaché.
–Mais oui, tout le monde a couru dehors. Il n’y a presque plus personne sur les bancs.
Je ne comprends pas la passivité de mon père et je m’inquiète. Je répète que tout le monde est sorti, que même les placiers ont fui la place. Je me convaincs que mon paternel ne se rend pas compte du danger, absorbé par sa minuscule bouteille. Alors je lui annonce que moi je sors en lui disant une fois de plus que la sirène a fait fuir tous les gens. Il part à rire et m’explique que c’est la fin de la première période et que les spectateurs sont allés tout bonnement prendre une bière ou se rendre aux toilettes. C’est ça une partie de hockey, précise-t-il sur un ton qui ne souffre pas de réplique.
Effectivement, peu de temps après, les fuyards rejoignaient leur siège et un autre hurlement de sirène ramenait les joueurs sur la glace. Je n’ai pas du tout aimé mon erreur. J’en étais mortifié. Cela allait décider de mes loisirs futurs, car c’est sûrement à la suite des rires prolongés de mon père que mon enthousiasme pour ce sport tomba net pour la vie. Curieusement, pour me venger le hasard a voulu que le Petit Colisée fut rasé par un incendie peu d’années plus tard, soit en mars 1949. Heureusement ce n’était pas au cours d’une joute de hockey.
Demain: Chapitre 4: L’Hôpital et le magasin de jouet
11 juillet 2011 à 18 h 09
[…] L’avenue du tramway – Chapitre 3: Jean Béliveau au Petit Colisée | Québec Urbain […]
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