Cet article fait partie d’une série portant sur le premier plan d’urbanisme pour la Ville de Québec commandé par le maire Lucien Borne réalisé par Jacques Gréber, Edouard Fiset et Roland Bédard entre 1949 et 1956.
Ce texte est une contribution de Réjean Lemoine, historien, chroniqueur urbain à la radio et à la télévision et conseiller municipal du quartier Saint-Roch à la ville de Québec de 1989 à 1997.
Le rapport des urbanistes Jacques Gréber et Édouard Fiset est rendu public à la fin du mois de mai 1956. Le journal L’Action catholique titre en page éditoriale « Les urbanistes ont foi en l’avenir de Québec ». Le journal se réjouit de constater que le plan directeur n’est pas rigide et qu’il peut se plier au changement. Son application va dépendre de la bonne volonté de la municipalité et de l’opinion publique. L’éditorialiste fait le constat de la pauvreté de la législation en matière d’urbanisme au Québec.
Avec le rapport Gréber-Fiset débute le règne des spécialistes à Québec au détriment de l’expertise des citoyens. Le journal L’Action Catholique souligne que ce rapport est : « une solution objective, basée sur des études conduites scientifiquement pendant plusieurs années par des hommes d’une compétence reconnue ».
Le plan d’aménagement s’appuie, dans un premier temps, sur la conviction que la grande région de Québec comptera à la fin du XXe siècle une population de plus d’un demi-million d’habitants. Cette croissance rapide doit se faire de manière contrôlée, en évitant une urbanisation exagérée. Ce projet vise ensuite à améliorer le bien-être de la population. Pour les auteurs : « La ville monstre est une ville antisociale et antiéconomique et elle offre des dangers du point de vue stratégique ». Ce point de vue s’explique par le contexte de guerre froide et de peur d’une attaque nucléaire qui régnait à l’époque.
Les auteurs veulent planifier le développement résidentiel, industriel et commercial de la région de Québec. Il prévoit que les futurs développements résidentiels se poursuivront sur le plateau dans la continuité des quartiers Montcalm et Saint-Sacrement. Par la suite se développera les vastes terrains autour de Charlesbourg, Beauport et Ancienne-Lorette. L’île d’Orléans et la rive-sud suivra après la saturation des territoires de la couronne de Québec sur la rive-nord. La construction du pont Pierre-Laporte en 1970 va plus tard confirmer ce mouvement.
Gréber et Fiset ont également vu juste en prévoyant que le développement industriel se ferait dans la continuité du parc industriel Saint-Malo, le long du futur boulevard Charest dans la Basse-Ville. Le parc industriel Saint-Malo est créé à la fin de la guerre par la ville de Québec. Celle-ci achète les anciennes usines de guerre du gouvernement fédéral afin de créer des emplois manufacturiers pour compenser les 12,000 emplois perdus avec la fin de la guerre.
Une quarantaine d’industries s’y installent en quelques années. Le développement du boulevard Charest, dans les années 1960, entraîne la création de nombreux parcs industriels de part et d’autre de cette artère. Entre les zones industrielle et résidentielle, on prévoyait aménager des parcs et doter la ville de Québec d’une ceinture verte. Ces projets ne se sont jamais réalisés.
Le jugement des urbanistes est pris en défaut sur la question du développement commercial. Ils pensent que le quartier Saint-Roch va demeurer le cœur commercial de la ville. Ils affirment : « Que les centres commerciaux actuels n’auront guère tendance à se déplacer, pourvu qu’on leur facilite les moyens d’accès et de fonctionnement ». Ils ne peuvent prévoir le déclin de Saint-Roch au détriment des centres commerciaux de banlieue. Place-Sainte-Foy ouvre ses portes en 1958 et les centres commerciaux Laurier et Canardière en 1961. Les auteurs ne peuvent imaginer l’ampleur que prendra l’étalement urbain dans les années 1960-1970.
Des quartiers anciens à rénover
Le rapport Gréber-Fiset propose une série de nouveaux projets d’habitation sur le bord de la rivière Saint-Charles et sur les terrains des anciennes voies ferrées éventuellement démantelées. Ces propositions ouvrent la porte aux grandes opérations de rénovation urbaine qui vont provoquer la démolition de milliers de logements dans Saint-Roch et Saint-Jean Baptiste.
Les auteurs proposent de transformer des quartiers entiers en remplaçant « les constructions délabrées, dépréciées qui constituent un danger physique et social par des maisons d’appartement munies de tout l’équipement domestique et urbain désiré ». Ils ajoutent que dans ces quartiers délabrés, il ne faut pas craindre de bousculer l’ordre établi.
Pour réaliser de manière rationnelle ces transformations, les auteurs souhaitent une enquête sur l’habitation. Cette enquête sera réalisée en 1961 par la Ville de Québec. Présidée par Jean-Marie Martin, elle fera le constat que 40% des logements de la ville de Québec sont insalubres. Le rapport divise les quartiers de la ville en zones de réaménagement. Comme à l’époque, le recyclage et la rénovation de bâtiments n’étaient pas dans l’air du temps, l’ère des démolitions peut commencer.
Il y a cependant une exception à cet esprit de renouveau et de modernité, c’est le quartier du Vieux-Québec. Dans ce secteur, « les constructions anciennes ont une qualité propre due à leur simplicité, leur honnêteté et leurs proportions ». Les urbanistes reconnaissent que l’ensemble de ce quartier possède une qualité urbaine indéniable.
L’arrondissement historique du Vieux-Québec, en 1956, n’est protégé par aucune législation. Ainsi, le propriétaire de la maison Montcalm a réussi à obtenir, en 1955, un permis de démolition pour cette maison dont la construction remonte à 1677. Dans les faits, le rapport constate que toutes les constructions anciennes du Vieux-Québec sont menacées de démolition. Comme ce patrimoine appartient à toute la province et pas seulement à la ville de Québec, le rapport Greber-Fiset recommande que la Commission provinciale des Monuments historiques s’occupe de la protection du VieuxQuébec.
La commission devrait se charger de faire un inventaire des bâtiments, de les classer et de les protéger. Les urbanistes ouvrent de cette manière la porte à la création d’un arrondissement historique protégé en 1963. Cependant, hors du Vieux-Québec les considérations patrimoniales ne comptent aucunement. Cette mentalité marque encore aujourd’hui profondément les esprits des décideurs et de la population de Québec.
17 mai 2011 à 13 h 18
Merci à Réjean Lemoine et Nicolas Roberge. Cette série de billets est extraordinaire pour savoir d’où l’on viens et mieux comprendre où on va.
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17 mai 2011 à 14 h 19
Merci à toi Gérald.
En connaissant mieux les débuts difficiles de l’urbanisation moderne à Québec, j’espère que ça va amener un regard différent sur les décisions prises à l’époque. Les problèmes était grands. C’est ça que j’ai constaté dans mes recherches.
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18 mai 2011 à 01 h 34
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