Cet article fait partie d’une série portant sur le premier plan d’urbanisme pour la Ville de Québec commandé par le maire Lucien Borne réalisé par Jacques Gréber, Edouard Fiset et Roland Bédard entre 1949 et 1956.
Ce qui frappe en lisant le rapport d’urbanisme de Gréber, Fiset & Bédard déposé en 1956 à la Ville de Québec est sa vision. Les paramètres ont tout de même changé énormément depuis un demi-siècle. L’étalement urbain s’est réalisé et le centre-ville a souffert du déplacement de l’activité commerciale vers la banlieue avec la venue des centres d’achat et plus récemment des « power-centers ». En le comparant au plan de mobilité durable de la Ville de Québec publié en juin 2010, on constate qu’ils ont beaucoup de similitudes. En regardant les dernières réalisations et les derniers projets développés pour la région, on dirait même que le plan de Gréber est toujours d’actualité.
Une urbanisation de misère
Comme décrite par Réjean Lemoine, l’urbanisation de la Ville s’est beaucoup accélérée au cours du 20e siècle à Québec. Les problématiques de grandes villes sont venues hanter Québec dès les années 30. On était pris avec des problèmes d’ordures, de pollution, de santé publique et de transport. Notre vieille ville à cette époque était perçue comme un obstacle à notre épanouissement collectif. Le manque de vision et d’action des décideurs de l’époque au niveau municipal et provincial a repoussé les problématiques aux années 60 jusqu’à les rendre intolérables. L’aspect patrimonial de notre vieille ville était donc éclipsé par la misère et la pauvreté qui l’habitait.
Une capitale sans le sou
Les solutions pour régler ces problèmes criants demandaient des sommes importantes. Les finances de la Ville souffraient à cette époque. Les nombreuses institutions publiques comme les édifices du gouvernement, l’université et celles du clergé ne contribuaient pas aux taxes foncières. Pourtant, ils représentaient environ 30 % de la valeur foncière de la Ville et ces dernières étaient les plus grandes consommatrices des services municipaux (eau potable, accès routiers, etc.). Tout au long du siècle, les maires de la Ville ont réclamé des budgets spéciaux au gouvernement provincial pour récupérer ce manque à gagner.
Le premier gouvernement provincial à répondre réellement à cette demande fut les libéraux d’Adélard Gobout à la demande du maire Lucien Borne entre les années 1939 et 1944. Toutefois, le retour de Maurice Duplessis de l’Union nationale en 1944 a mis fin à cette aide financière récurrente. Duplessis ne croyait pas à l’urbanisation et allait même jusqu’à encourager le retour à la terre pour les citadins dans la misère. Cette insensibilité aux problèmes urbains les a tout simplement repoussés à la période qu’on a nommé la Révolution tranquille.
Les solutions radicales
L’arrivée au pouvoir de Jean Lesage (1960) et plus tard l’élection du maire Gilles Lamontagne (1965) ont finalement fait avancer les choses. Toutefois, la situation était devenue pressante. Les problèmes s’étaient accumulés. Par exemple, on pouvait lire des histoires d’enfants morts gelés dans des taudis mal chauffés en hiver dans les journaux. On a refusé aussi de construire une école dans Limoilou à cause du niveau de pollution de la rivière Lairet. Québec n’arrêtait pas d’augmenter en population, en déchets, d’eaux usées et trafic automobile. Elle s’était toutefois peu modernisée depuis une cinquantaine d’années pour faire face à ces changements.
On a donc été forcé de mettre de côté la conservation patrimoniale pour régler ces problématiques rapidement. On a bétonné la rivière St-Charles, on a rasé les taudis de plusieurs quartiers défavorisés pour construire des habitations à loyer modéré (HLM) dispersés à travers la Ville pour déménager les résidents touchés, entre autres. Le modernisme de l’architecture et la hauteur des bâtiments étaient sans doute une forme d’assouvissement face au dégoût ressenti pour les habitations délabrées (et parfois historiques) qui représentait 40 % des logements dans la Ville.
Après la tempête
En très peu de temps, on a modernisé Québec. On peut considérer que pratiquement tout s’est fait en l’espace de 10 ans (1964-1974). On ressent un essoufflement à la fin des années 70 et un vent d’opposition à tous ces projets quelque peu insensibles à la vie citadine.
Par exemple, en 1978, des groupes de citoyens s’organisent pour réclamer l’arrêt des travaux de remblaiement des battures de Beauport pour de l’autoroute Dufferin-Montmorency. Ils réussissent à sensibiliser le gouvernement du Parti Québécois nouvellement élu de l’époque à mettre en place une audience publique sur ce grand projet de construction du Ministère des Transports. Le Bureau d’audience publique sur l’environnement (BAPE) a ainsi vu le jour pour la première fois.
On réalise que les solutions envisagées depuis les années 60 étaient peut-être trop radicales et insensibles à la vie urbaine des citoyens. L’urbanisme avait donc été bousculé par cette urgence d’agir. A-t-on trop réagi?
On redonne la Ville au citoyen
Il n’est donc pas étonnant que la grande partie des chantiers des dernières années aient été en quelque sorte des retours en arrière sur les décisions prises pendant la Révolution tranquille.
En voici quelques exemples :
- La promenade Samuel-de-Champlain avec un boulevard Champlain avec vitesse réduite et des stationnements en bordure fait moins de place à l’automobile qui dominait l’ancien boulevard.
- La renaturalisation des berges de la rivière St-Charles avec des espaces verts ressemble à la vision de Jacques Gréber.
- Les projets de réaménagement de l’avenue Honoré-Mercier, de la place de l’Assemblée-Nationale et de la promenade des Premiers-Ministres ont redonné la Colline Parlementaire aux piétons sur les axes Honoré-Mercier (Dufferin) et René-Lévesque (St-Cyrille)
- Le prolongement de l’autoroute Robert-Bourassa en boulevard urbain est en quelque sorte un désaveu du tronçon entre Ste-Foy et Lebourgneuf
- L’aménagement de la baie de Beauport par l’autorité du port de Québec est une correction d’une erreur historique où les citoyens avaient perdu l’accès au fleuve lors des projets de remblaiement pour l’extension du port et pour la construction de l’autoroute avoisinante.
C’est sans compter l’intention de réaménagement l’autoroute Laurentien dans le secteur Vanier/Limoilou en boulevard urbain pour le nouvel amphithéâtre et le prolongement de la promenade Samuel-de-Champlain à Beauport en transformant Dufferin-Montmorency en boulevard accessible aux piétons et aux cyclistes.
Le plan de mobilité durable de la Ville de Québec identifie St-Roch comme le moteur du développement futur. Jacques Gréber considérait St-Roch comme le pôle commercial de Québec. Les deux rapports identifient les secteurs Vanier et d’Estimauville comme des pôles complémentaires. Les parallèles sont nombreux et on ne peut que constater la justesse de ce plan qui a été publié il y a 55 ans. On se doit de souligner la vision de ses auteurs alors que pourtant tout était à faire à cette époque.
23 mai 2011 à 12 h 42
Pendant que l’on cherche à comprendre les erreurs du passé, on poursuit quand même les démolitions sur la Grande Allée, quasiment comme dans les années 70. On laisse se dégrader la maison Pollack, le monastère des Dominicains est en train de tomber et j’en passe…
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23 mai 2011 à 12 h 53
[…] suite Une vision de Québec toujours à jour 55 ans plus tard — Québec Urbain. Publier sur Twitter Tags: histoire, local, […]
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29 mai 2011 à 15 h 50
Je ne comprends pas pourquoi tu parles de désaveu pour Robert-Bourassa…
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2 juin 2011 à 11 h 50
À l’époque, il était prévu pour être prolongé comme une autoroute. On a plutôt créé un boulevard urbain accessible aux vélos et aux piétons.
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