Villes Régions Monde
Claudia Larochelle
Interview avec Étienne Berthold, professeur en géographie à l’Université Laval
Vous avez récemment mené des recherches sur le processus de patrimonialisation. Pourriez-vous nous en dire plus sur la recherche, son contexte et les principaux objectifs ?
Mon objet d’étude est le patrimoine urbain. Je m’intéresse à l’ensemble des processus qui accompagnent les transformations, la requalification des quartiers. Comment un quartier devient-il quartier historique ? Le processus de patrimonialisation est un objet d’étude qui est déjà très bien documenté à l’échelle du bien public. Mais à l’échelle de la propriété privée, je me demande de quelle façon un quartier historique peut devenir patrimonial pour les propriétaires. Autrement dit, comment « une maison » peut-elle devenir un symbole patrimonial ?
Au fil des années, je me suis penché sur les mécanismes qui sous-tendent le déploiement de l’idéologie patrimoniale à l’échelle de la propriété privée. En 2015, nous avons repéré des maisons à travers le Vieux-Québec (Figure 1) qui ont été restaurées par les propriétaires privés. Ensuite, nous avons fait l’analyse du discours des propriétaires à l’égard de cette restauration afin de savoir dans quelle visée celle-ci avait été effectuée. Effectivement, plusieurs de ces maisons ont été restaurées en fonction de l’idéologie patrimoniale, c’est-à-dire pour valoriser la dimension historique du bâtiment.
Il y a un discours voulant que les Québécois soient dépossédés de leurs biens par les propriétaires non-résidents (les absentee owners) dans le Vieux-Québec, nommément les Américains. L’objectif de la recherche était de se demander comment ce discours a pu se construire ? Et est-ce qu’il fait du sens par rapport à la réalité ? Qui sont ces propriétaires étrangers ? De quelle façon les discours se sont construits autour des propriétaires non-résidents dans le Vieux-Québec ? Qu’est-ce que ces discours cherchent à nous dire ? Est-ce que ces discours disent la vérité sur le phénomène des propriétaires non-résidents ? Voilà des questions qui animent mes plus récents efforts de recherche.
(…)
Est-ce que vous avez des résultats ? Quels seraient les premiers résultats que vous tirez de cette enquête de terrain ?
Une des premières choses qui nous a surpris, c’est que la proportion d’Américains est extrêmement basse : 90% des propriétaires non-résidents sont des Québécois qui vivent dans un rayon de 3 km2. Autrement dit, l’idée – largement répandue – que l’augmentation du nombre de propriétaires américains soit reliée à une hausse des valeurs immobilières n’est pas une équation à systématiser, même si cela peut arriver en fonction de la demande. Il y a plusieurs sens à la notion de spéculation, mais dans le cas du Vieux-Québec, le constat est qu’il n’y a pas de grands propriétaires qui possèdent des grands ensembles. Le phénomène en cours correspond plutôt à de la petite spéculation, à l’échelle individuelle.
Au niveau théorique, le constat est que nous sommes en présence d’une pratique discursive, qui s’est immiscée dans l’espace public et qui ne correspond pas complètement à la réalité. En tant que chercheur en histoire culturelle, je cherche à comprendre comment ce discours s’est construit et le comparer avec la réalité effective. En ce sens, les collaborations avec des collègues ayant développé des approches méthodologiques qualitatives et quantitatives offriront un contexte de recherche pluridisciplinaire nécessaire à la compréhension du phénomène des propriétaires non-résidents.