Enfant, Gilles Néron déménage sur la première Avenue et découvre le tramway, qui sera le fil conducteur de ce récit de sa jeunesse. Un incroyable témoignage.
Épisodes précédents:
L’avenue du tramway – Chapitre 1: Le déménagement
L’avenue du tramway – Chapitre 2: la machine à perche et la 1ere avenue
L’avenue du tramway – Chapitre 3: Jean Béliveau au Petit Colisée
Ce n’était pas toujours des occasions d’amusement le long du chemin du tramway. Par exemple le séjour à l’hôpital que nous avons fait, mes frères et moi, deux ans après notre arrivée à Québec. Nous avions attrapé la galle, une maladie qui était encore présente en ces années dans les quartiers populaires. C’était peu de temps après notre passage à l’orphelinat. Ma mère disait que ce n’était pas surprenant avec tous ces enfants qui venaient on ne sait d’où. Il s’agissait d’une maladie à fortes démangeaisons qui envahissait tout le corps et le couvrait de plaies purulentes. Nous étions principalement affectés aux jambes. J’ai appris depuis que la galle est causée par des parasites qui se creusent des tunnels dans la peau. Mon Dieu, si j’avais su!
Mes parents avaient trop attendu pour voir le médecin de sorte qu’il a fallu un traitement à l’hôpital Saint François d’Assise. La première chose que les garde-malades ont faite c’est de nous attacher les pieds et les mains aux montants du lit afin de nous empêcher de nous gratter. Mes deux frères et moi étions couchés dans des lits côte à côte au milieu d’une vaste salle occupée par des enfants. À l’exception des odeurs âcres et des aliments fades, je n’ai pas gardé un souvenir détestable de mon séjour à l’hôpital. Au contraire, j’ai connu rapidement un apaisement à mes démangeaisons ce qui n’empêchait pas maman de dire que le spectacle de ses garçons attachés aux montants du lit lui crevait le cœur. Le mélange du rouge des plaies, du bleu de la teinture de méthylène et des bandages blancs nous avait assuré de la sympathie de tout le personnel. Nous nous sentions bien soignés. Ce fut l’affaire d’une semaine pour faire disparaître les bestioles qui nous grugeaient. Une fois débarrassé de mes liens et redevenu capable de résister à l’envie du grattage, j’ai pris plaisir à me trouver dans cette institution à cause des gâteries des infirmières. Le Dr Petitclair nous suivait de près afin de faire l’essai d’un nouveau remède qui s’est révélé efficace. Maman avait peur que les plaies laissent des traces à vie, mais ce ne fut pas le cas grâce à la mixture que ce médecin avait inventée.
Pour récompenser ses fils de leur bonne conduite à l’hôpital, notre père nous a amenés au département des jouets de la Compagnie Paquet. Nous devions choisir ce qui nous plaisait à condition que ça ne coûte pas trop cher. Nous étions tout excités quand nous avons pris le tramway pour nous rendre au magasin. Un cadeau quand ce n’était pas Noël, c’était exceptionnel. La vue de la section consacrée aux enfants valait la peine. C’était une vraie féerie même en ce temps de guerre. Il y avait des comptoirs remplis de tout ce à quoi un enfant rêve et plus encore parce qu’il y avait matière à découvertes. Cette section a contribué grandement à la renommée de Paquet durant ces années difficiles tellement elle débordait de surprises pour les enfants. C’était sûrement à cause de cette abondance de jouets que le Père Noël y plaçait son trône au mois de décembre. Même les adultes prenaient plaisir à y venir. L’émerveillement n’a pas d’âge, dit-on. Dans les années qui suivirent j’y suis retourné à plusieurs reprises, le plus souvent avec mon frère, pour me remplir les yeux et pour lancer mon imagination au pays des merveilles.
Après avoir fait deux ou trois tours des lieux, j’ai choisi un livre à l’étonnement de papa. Il s’agissait du Grand Catéchisme en images, celui-là même qui contient les belles images gravées de Gustave Doré. Le livre était en montre, ouvert sur l’illustration de David dansant devant le temple de Jérusalem. Comme j’avais pour second prénom David, hérité de mon parrain et grand-père, je ne pouvais faire autrement que de le vouloir. Jamais je n’ai regretté mon choix. J’ai tellement feuilleté l’ouvrage qu’il n’a pu être cédé à personne d’autre. Les pages étaient toutes froissées et tachées par les doigts. Je savais par cœur les textes qui accompagnaient les vignettes. Les illustrations du Paradis terrestre, de la tentation d’Ève par le serpent à cornes, des cochons habités par des démons qui se jettent dans la mer sur l’ordre de Jésus, de l’Enfer avec ses diables affairés à torturer les damnés sous l’image d’une horloge qui annonce inlassablement Toujours/Jamais, m’impressionnaient particulièrement. Ce cahier a rempli bien des soirs d’hiver et a peuplé mon imaginaire pour des années en plus de me donner des connaissances de la religion chrétienne pour la vie.
Demain: Chapitre 5: La politique et la religion
28 mai 2011 à 19 h 43
[…] L’avenue du tramway – Chapitre 4: L’Hôpital et le magasin de jouet | Québec Urbain […]
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