Cet article fait partie d’une série portant sur le premier plan d’urbanisme pour la Ville de Québec commandé par le maire Lucien Borne réalisé par Jacques Gréber, Edouard Fiset et Roland Bédard entre 1949 et 1956.
Dans le dernier billet, nous avons exposé que la Ville de Québec dans les années 50 ne comprenait aucun grand axe routier. Seule la rue St-Vallier, la Grande-Allée/chemin St-Louis, le chemin Canardière et 1re avenue permettent de sortir de Québec.
Ce que Gréber appelle le réseau de routes est devenu très urbain de nos jours. Sachez, la Ville de Québec comprenait les quartiers Montcalm, le Vieux-Québec, St-Roch, St-Sauveur et Limoilou. Le reste c’était les voisins ou ce qu’on nommait le Québec métropolitain. On admirait de grands pâturages avant de se rendre à prochaine municipalité (Ste-Foy, Charlesbourg, Beauport, les Saules, Loretteville, etc.).
Dans le rapport Gréber déposé en 1956, on propose des solutions novatrices et visionnaires. La plupart ont été réalisées ou récupérées dans des plans successifs comme ceux de Talbot (1959) et Vandry (1968). On dessine un plan régional qui est inclus dans le rapport (excusez la qualité) :
Remarquez aussi certaines recommandations qui n’apparaissent uniquement dans cette carte :
- Point #6 : raccord du pont de Québec avec la rue Champlain élargie au pied de la falaise (il n’y a aucune boucle sous les ponts, mais plutôt un axe vers l’est qui longe la voie ferrée de la falaise dans Ste-Foy/Sillery)
- Point #8 : élargissement en partie du chemin Ste-Foy (la portion dans Montcalm)
- Point #11 : boulevard industriel longeant la ligne de transmission du Shawinigan Water & Power Co. (difficile à situer, c’est peut-être la rue Soumande ou le boulevard des Cèdres, mais ils sont quand même assez loin de ligne d’Hydro)
- Point #13 : pont dans le voisinage de l’Hôpital du Sacré-Coeur (le pont de Marie-de-l’Incarnation)
Prolongement du boulevard Charest jusqu’à la route du pont
Le boulevard Charest a vu le jour entre 1929 et 1933 dans St-Roch entre les rues St-Roch et Langelier. Il combinait les anciennes rues des Fossés (ou Desfossés) et la rue Charest en démolissant un ensemble de maisons. Il fut alors le premier boulevard conçu pour accommoder l’automobile à Québec. Gréber propose son prolongement dans St-Sauveur jusqu’à la route du pont ou l’axe nord-sud (boulevard Henri-IV).
Voici le schéma d’aménagement de l’extension du boulevard Charest par Gréber. On aperçoit les habitations qui ont dû être démolies pour élargir l’ancienne rue Morin dans St-Sauveur. On remarque aujourd’hui qu’on aperçoit les cours arrière de maisons sur le côté nord du boulevard Charest dans ce secteur. Aussi, appréciez le petit rond-point au milieu de l’intersection de Langelier et Charest.
Ce prolongement ambitieux et nécessairement coûteux s’est fait progressivement :
1958 : prolongement dans St-Sauveur jusqu’à Marie-de-l’Incarnation
1962 : tronçon entre St-Sacrement et Duplessis (une chaussée)
1967 : tronçon entre St-Sacrement et Marie-de-l’Incarnation
1967 : seconde chaussée
1972 : prolongement jusqu’à St-Augustin-de-Desmaures
Le rond-point du pont
Avant Henri-IV, on devait transiter sur le chemin St-Louis à partir du pont de Québec. Gréber propose de créer un magnifique rond-point à la tête des ponts ceinturé d’un aménagement paysager à faire rêver. Il reliera le pont au boulevard Laurier, au futur Henri-IV et à une nouvelle route pour Montréal.
Ce rond-point a été probablement aménagé pendant la rédaction du rapport. Les problèmes étaient sans doute trop grands pour attendre son dépôt officiel. Le rond-point aurait été réalisé entre 1953 et 1954 selon une source avec un tronçon qui aboutissait au chemin Ste-Foy. Les archives de Transport Québec indiquent que le boulevard divisé Henri-IV a été inauguré en 1963. Il est possible qu’un chemin ait existé avant 1963. On peut s’imaginer que cette route avait une intersection avec la route Quatre-Bourgeois et le chemin Ste-Foy puisque les viaducs n’étaient pas courants à l’époque.
Photos sont une gracieuseté de la Photothèque de Transport Québec
En examinant l’actuel spaghetti autoroutier à la tête des ponts, on peut repérer l’ancien emplacement du rond-point qui existe toujours au 3/4. Il est aujourd’hui enterré de viaducs aériens construits entre 1969 et 1970 pour accommoder le nouveau pont Frontenac (renommé Pierre-Laporte).
Voici des photos d’Henri-IV à son inauguration en 1965 :
Photos sont une gracieuseté de la Photothèque de Transport Québec
La nouvelle route vers Montréal a porté le nom du boulevard Champigny à son inauguration en 1957 pour être renommée boulevard Duplessis en 1961. Elle se rendait à la route 9 (boulevard Hamel ou la 138). Elle permettait aux voyageurs provenant de Trois-Rivières d’emprunter le pont en évitant Québec. Elle est devenue une autoroute divisée en 1965.
Photos sont une gracieuseté de la Photothèque de Transport Québec
Dans le rapport, on recommande aussi le prolongement de la route des Quatre-Bourgeois jusqu’au boulevard Champigny (Duplessis).
Route de plaisance sur la falaise
Gréber recommande de créer une route de plaisance sur la falaise qui traverse Ste-Foy et Sillery. Sans trop expliquer son emplacement exact ni l’objectif derrière ça, si on examine la carte (lien) du plan régional avec les recommandations, on aperçoit que cette route est un embranchement sur le chemin St-Louis et passe au sud de l’avenue Grande Allée sur le terrain du bois de Coulonge et les plaines d’Abraham. Toutefois, on recommande qu’aucun trafic lourd ou commercial ne doive l’emprunter. Il imaginait alors un chemin modeste à vocation touristique limité sans doute en vitesse.
On ne parle pas du boulevard Champlain, mais une extension vers l’ouest de la rue Champlain au cap Diamant est dessinée sur la carte. Cette extension suit l’actuel rail qui monte la falaise à partir de Sillery vers le pont de Québec (près de l’Aquarium).
Le boulevard Champlain a été construit entre 1961 et 1966. Il a exigé beaucoup de remplissage pratiquement sur toute sa longueur. Avant les travaux effectués pour la promenade Samuel-de-Champlain en 2006-2008, ce boulevard était pourtant conçu comme une voie rapide où il était dangereux se s’y aventurer comme piéton. Il n’avait donc pas du tout la vocation visualisée par Gréber.
Nouvelle route du Saguenay
Comme mentionnée précédemment, la circulation en provenance et en direction du Saguenay empruntait la 1re avenue et la nouvelle route 58 (Henri-Bourassa) pour se rendre au boulevard Talbot à Stoneham. On déplorait les risques élevés sur la sécurité causés par la circulation lourde dans Limoilou. On propose de créer une nouvelle route à l’ouest de Limoilou sur des terres inoccupées. C’était le tracé de la future autoroute Laurentienne qu’on nommait toujours un boulevard.
Le tronçon entre la rue Dorchester et le boulevard Wilfrid-Hamel a été réalisé en 1956. Le boulevard a été prolongé en 1963 jusqu’à Notre-Dame-des-Laurentides (10,4 km). Il a fallu attendre jusqu’en 1994 pour qu’on la prolonge d’un autre 10,4 km jusqu’à Stoneham. Elle a été transformée en autoroute en 1983.
Prolongement des routes de Montréal vers Boischatel
On recommande dans le rapport de créer une nouvelle route qui traversera les municipalités de Ste-Monique des Saules, Gros-Pin, Giffard, Beauport et Courville sur les hauts plateaux pour traverser la rivière Montmorency. Cette recommandation imprécise et quelque peu floue nous amène à penser qu’on parle de la future autoroute Félix-Leclerc (la 40). Sur une des cartes du rapport, on dessine une nouvelle route périphérique qui équivaut à son emplacement actuel. Aussi, elle semble se raccorder au boulevard Ste-Anne plus loin que le pont de l’Île d’Orléans puisqu’elle aurait traversé la rivière Montmorency et la Ville de Courville qui est située en haut du cap.
Dans cette recommandation, on parle aussi d’une seconde route qui est probablement le raccordement du futur boulevard Hamel (route des Commissaires) à la 18e rue (rue Lamontagne) et au boulevard Ste-Anne pour en faire un axe numéroté est-ouest (la 138). Gréber avait imaginé une intersection très originale où le boulevard Hamel passait sous un rond-point près de la nouvelle gare qui aurait été déménagée à Québec-Ouest (maintenant Vanier).
Dans le prochain billet, on couvrira les recommandations pour les rues à l’intérieur de la Cité de Québec.
Sources :
- Jacques Gréber, Edouard Fiset et Roland Bédard, Projet d’aménagement de Québec et de sa région, Québec, 1956
- Christian Blais, Gilles Gallichan, Frédéric Lemieux et Jocelyn Saint-Pierre, Québec : quatre siècles d’une capitale, Les Publications du Québec, Assemblée nationale du Québec, 2008
- Frédéric Lemieux, Gilles Lamontagne – Sur tous les fronts, Del Busso, 2010
- Centre de documentation (succursale centre) de Transports Québec
- Répertoire des toponymes de la Ville de Québec
18 mai 2011 à 08 h 11
Merci beaucoup encore une fois pour ce fabuleux travail. Ça vaut de l’or.
Signaler ce commentaire
18 mai 2011 à 08 h 28
Dans le temps on aménageait avec un souci de l’esthétisme.
Aujourd’hui on massacre… Bravo le fruit de l’évolution!
Signaler ce commentaire
18 mai 2011 à 08 h 38
Je ne crois pas au bon vieux temps, je ne fait pas partie de ces nostalgiques d’un temps qui n’a jamais vraiment existé.
Signaler ce commentaire
19 mai 2011 à 16 h 11
Je n’ai qu’une chose à ajouter à ton commentaire : il faut savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va.
Signaler ce commentaire
18 mai 2011 à 08 h 31
Il ne semble pas y avoir de lien pour la carte de Vanier avec rond-point…
Signaler ce commentaire
18 mai 2011 à 09 h 43
Je l’ai ajouté. La vue agrandie de cette carte sera publiée vendredi dans un billet concernant le chemin de fer.
Signaler ce commentaire
18 mai 2011 à 18 h 49
Merci beaucoup!!
Signaler ce commentaire
18 mai 2011 à 09 h 27
Cela démontre au moins clairement le lien entre construction autoroutière et étalement urbain… Un lien que certains politiciens actuels devraient avoir plus en tête!
Dommage qu’il y ait eu une ambiguïté sur la nature des routes. Dans un premier temps, il s’agissait pour l’essentiel de « boulevards » mais quand on regarde les photos, ils sont construits comme des autoroutes, sans se soucier des lots qui les bordent (c’est particulièrement clair dans le cas de Charest, mais aussi Duplessis et Laurentienne). Pourtant l’encadrement bâti d’un boulevard est essentiel.
De même, on semblait vraiment privilégier les intersections de type échangeur. Bref, tous les ingrédients étaient réunis pour que ces voies deviennent des fractures dans la ville, comme on les connais aujourd’hui. Duplessis n’aurait probablement jamais dû être une autoroute, de même pour plusieurs autres tronçons de voies rapides de la région qui déstructurent son urbanisation.
C’est impressionnant de voir le renversement très rapide (quelques années à peine) d’une ville compacte et peu adapté à l’automobile à une région « tout à l’auto » et difficilement praticable pour les piétons et cyclistes (vous remarquerez le pauvre piéton sur le viaduc de Laurentienne sud à son inauguration, j’aimerais pas me trouver à pied à cet endroit aujourd’hui!).
Ça laisse au moins espérer qu’un rééquilibrage aussi rapide n’est pas impossible!
Signaler ce commentaire
18 mai 2011 à 09 h 32
Souvent, seuls les aspects purement fonctionnels des plans de Gréber ont été mis en oeuvre…
Signaler ce commentaire
18 mai 2011 à 09 h 55
En effet, la planification est très différente de la réalisation. D’ailleurs les zones d’habitation planifiées sont très restreintes sur le plan régional. On y voit même les saules comme une « zone rurale de protection »!
Signaler ce commentaire
18 mai 2011 à 09 h 50
J’ai l’impression que l’augmentation du parc automobile dans les années 50 et 60 a fait paniquer les décideurs. On a sans doute augmenté la capacité des tracés proposés. Tout s’est fait très rapidement.
Pourquoi l’automobile? Ils ont surement pris des décisions parmi les options réalistes qu’ils avaient sur la table. Le transport collectif est rentable dans un territoire dense. En regardant les photos, tous peuvent constater qu’on parle de campagne à l’extérieur de la Cité.
Fait important, les propositions énumérés dans ce billet sont des liens interurbains et non des liens prévus pour le trafic quotidien des travailleurs. Avec l’étalement urbain, ils ont changé de vocation.
Signaler ce commentaire
18 mai 2011 à 18 h 53
Je crois qu’il faudrait aussi prendre en considération les visés américaine des ces années en matière de développement lié à l’exploitation pétrolifère.
Tout y est relié.
Signaler ce commentaire
19 mai 2011 à 10 h 31
Je suis conscient que l’autoroute Duplessis crée un autre fracture majeur dans Sainte-Foy mais ce lien autoroutier reste utile. Il crée un accès direct entre le boulevard Laurier et l’aéroport. De plus, il donne un raccourcie pour le trafic de trois-rivière en direction des ponts sans compter le trafic local.
Ci celui-ci était un boulevard, ce secteur pourrait être très bien transformé. On pourrait même y implanter une voie réservé. Par contre, pour éviter des lumières, le trafic serait tenté de prendre Henri-IV et la congestion serait encore plus importante.
Signaler ce commentaire
18 mai 2011 à 09 h 29
Magnifique article !
Gréber était un architecte (mais aussi un peu urbaniste !) généralement associé au mouvement Beaux-Arts, donc avec un respect marqué des formes urbaines et architecturales du passé. En même temps, ses plans d’aménagement et d’extension intègrent les préoccupations qui émergent avec la naissance des grandes agglomérations modernes. Tout en s’inspirant de la pensée fonctionnaliste (notamment par la hiérarchisation des voies et la séparation des divers types de circulations), les plans de Gréber ne sacrifient pas pour autant les préoccupations liées à l’esthétisme et actualisent aux besoins du 20e siècle quantité d’éléments plus traditionnels de la forme urbaine (ronds-points, boulevards, promenades). Ça été le cas à Québec, mais aussi à Marseille, Ottawa et Montréal.
http://www.ottawa.ca/residents/heritage/archives/newton/construction/greber/index_fr.html
Signaler ce commentaire
18 mai 2011 à 11 h 51
On s’imagine mal comment la région de Québec a énormément changée depuis les années 1950, ne serait-ce qu’en matière d’infrastructures de transport. Ce très intéressant article le démontre vivement.
Merci!
Signaler ce commentaire
18 mai 2011 à 14 h 09
Vers la Baie de Beauport:
25: Installations portuaires éventuelles….
On pourrait accueillir beaucoup plus de bateaux !
Signaler ce commentaire
18 mai 2011 à 16 h 49
Donc ce que proposait Gréber, à l’intersection Hamel-Laurentien, est une gare TGV doublée d’un rond-point étagé presqu’identique à celui proposé par le maire Labeaume dans son plan de nouvel amphithéâtre !
Peut-être qu’en 2025 on aura enfin tout ça.
Signaler ce commentaire
18 mai 2011 à 18 h 25
La dernière photo avec l’autoroute Laurentienne nous fait voir l’ancien paysage que la ville de Québec sans les tours à bureau…Fantastique
Signaler ce commentaire
18 mai 2011 à 22 h 50
Encore une fois bravo pour ce beau travail!
Je trouve impressionnante l’autoroute Duplessis avec ses voies de services. Curieusement, on en a finalement fait des rues « ordinaires » avec ce que cela comporte d’inconvénients à la hauteur du chemin Ste-Foy avec toutes les combinaisons possibles de trajectoires (avec des sens unique de chaque coté, c’était pas mal plus simple). On a même démoli l’espèce de demi-tour à la hauteur de Quatre-Bourgeois. D’ailleurs, considérant les années de construction de ce qu’il y a autour, la construction originale de l’autoroute et des rues parallèles n’a pas fait long feu. Curieux qu’on ait démoli et reconstruit autrement ce qui était pourtant presque neuf. Personnellement, je m’en serais tenu au design initial.
Petits détails que je remarque en début de ce billet, concernant les points 11 et 13 de la première carte.
Pour le point 11 (boulevard industriel longeant la ligne de transmission du Shawinigan Water & Power Co), j’ai l’impression que c’est pas mal là où se trouve l’actuelle rue des Lilas (je me fie à la voie ferrée et à sa courbe où elle rejoint Henri-Bourassa), plutôt que le boulevard des Cèdres (bien qu’il joue aujourd’hui un peu ce rôle industriel)
Pour le point 13, (pont dans le voisinage de l’Hôpital du Sacré-Coeur) ce ne semble pas être Marie-de-L’Incarnation, mais plutôt dans l’axe de la rue Bigaouette (et à peu près à la rue Isabelle-Aubert du côté de Vanier). Je me fie au tracé de St-Vallier et aux méandres de la rivière.
Signaler ce commentaire
19 mai 2011 à 10 h 18
Je suis moi aussi surpris de voir la façon dont était aménagé Duplessis. J’avais déja pensé à un réaménagement semblable de cette autoroute. Je ne comprend donc pas pourquoi il l’on refait sur sa forme actuel car le premier aménagement était beaucoup plus simple.
Signaler ce commentaire
19 mai 2011 à 01 h 33
[…] Le réseau routier de la capitale imaginé par Gréber & Fiset | Québec Urbain […]
Signaler ce commentaire
21 mai 2011 à 16 h 05
[…] réaménagement de la rivière Saint-Charles | Québec Urbain Le réseau routier de la capitale imaginé par Gréber & Fiset | Québec Urbain Une prise de parole ce soir au Marché Bonsecours, Montréal | Carnet de Dean Louder Québec avant […]
Signaler ce commentaire