«À partir de 2015, on ne peut plus dire que le bien immobilier est un investissement»
François Desjardins
Édition du samedi 28 et du dimanche 29 mai 2005
Le Devoir
Pour une fois, des spécialistes vont dans le même sens. Avec une population québécoise de plus en plus vieille et une natalité toujours aussi faible, il n’est pas impossible que la demande pour l’immobilier résidentiel, notamment dans l’unifamiliale, connaisse d’ici 2015 ou 2020 un bouleversement d’une ampleur insoupçonnée. Accompagnée d’un impact tout aussi important sur les prix. Un de ces observateurs est catégorique: dans aussi peu que cinq ou dix ans, l’immobilier cessera d’être un investissement.
Les maisons unifamiliales construites principalement dans les années 70 et 80 sont appelées à connaître une baisse beaucoup plus importante que d’autres types de produits, parce que la cohorte qui suit ne sera pas assez nombreuse pour les acheter.
L’effet sera graduel, dit-on, mais les données démographiques dessinent déjà l’image d’un gigantesque défilé de baby-boomers suivi d’une petite fanfare bien modeste. Déjà, d’ici huit ans, le nombre de Québécois en âge de travailler devrait commencer à rétrécir. D’ailleurs, la part des 65 ans et plus dans la population passera de 13 % à 25 % d’ici 2025. À plus long terme, l’impact se fera sur la population totale du Québec, que l’Institut de la statistique du Québec voit en baisse dès 2031.
Ajoutez entre-temps une création nette de ménages de plus en plus lente et des flots migratoires impossibles à prévoir, et le portrait soulève des questions. Car si les populations vont et viennent, le parc immobilier, lui, sera toujours là.
«Au niveau de la demande, c’est sûr qu’il va y avoir un choc», dit Hélène Bégin, une économiste au Mouvement Desjardins qui surveille de près les tendances démographiques. «Les gens oublient que les prix ont déjà baissé [notamment de 1988 à 1992] et, à mesure que les facteurs démographiques vont jouer, ce n’est pas illusoire de penser que les prix sont appelés à baisser à plus long terme.» Il serait malheureux d’oublier que la génération des baby-boomers, nés entre 1946 et 1966, a tout bouleversé sur son passage, en éducation comme au travail, dit-elle. «Il ne faut pas penser que le marché de l’habitation va faire fi de ça et que tout va s’ajuster sans qu’il y ait d’impact sur les prix.»
L’unifamiliale
Bien des choses pourraient changer la donne et certains créneaux pourraient n’être que peu ou pas touchés. Cependant, les maisons unifamiliales, construites principalement dans les années 70 et 80, alors que les baby-boomers se reproduisaient, dit Hélène Bégin, «sont appelées à connaître une baisse beaucoup plus importante que d’autres types de produits, parce que la cohorte qui suit ne sera pas assez nombreuse pour les acheter». La baisse des prix dans ce créneau serait «pratiquement inévitable».
L’immobilier, pour l’instant, a la cote. Ayant remplacé les marchés boursiers comme principal espoir d’enrichissement, il s’inscrit aujourd’hui comme un investissement infaillible. D’ailleurs, selon un sondage Decima publié en novembre, 59 % des Canadiens non retraités sont convaincus que la valeur de leur résidence croîtra plus vite que celle de leur portefeuille de placement au cours des dix prochaines années. Comme le signalaient les analystes, cette perception découle manifestement de la performance des dernières années : au Québec, par exemple, le prix moyen d’une maison unifamiliale a bondi de 67 % de 1997 à 2004.
Or des voix s’élèvent déjà pour mettre en garde les éternels optimistes. «On va passer d’un bien d’investissement à un bien de consommation, dit Daniel Gill, professeur à l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal. À partir de 2015, on ne peut pas prévoir vendre notre maison plus cher en vieillissant, on ne peut plus dire que le bien immobilier est un investissement. Je pourrais même dire à partir de 2010. À partir de ces dates-là, on ne peut plus dire que c’est notre fonds de retraite.» N’est-il pas en train de paniquer ? «Quand je fais mes présentations avec les courbes démographiques, ce sont plutôt les autres qui paniquent !»
Les changements seront graduels et rien n’est sûr, avertissent toutefois certains spécialistes, qui insistent sur l’importance que jouera l’évolution des comportements et l’immigration dans l’équation. Après tout, 20 ans séparent les premiers baby-boomers des derniers, ce qui favorisera la création d’un équilibre. L’un des éléments clés à long terme, dit-on toutefois, sera la formation nette de ménages au Québec, qui tourne présentement autour de 40 000 par année. De 2011 à 2016, elle devrait ralentir à 30 000, si bien qu’en 2036, relate le Mouvement Desjardins, cette tendance pourrait sombrer dans le rouge.
Du positif
Entre-temps, difficile de dire quels secteurs se porteront mieux ou moins bien. Les baby-boomers resteront-ils à la maison plus longtemps qu’on ne le croit ? Y aura-t-il un retour vers la ville ? Quel sera l’avenir des maisons intergénérationnelles ? «On n’est pas encore dans le gros de la vague, mais les gens se posent déjà des questions par rapport à leur mode d’occupation futur», dit Kevin Hughes, économiste pour le Québec à la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL).
L’organisme fédéral répète souvent que l’avenir des résidences pour personnes âgées de 55 ans et plus s’annonce «radieux». Le condo, selon les interlocuteurs, est soit voué à dix ans de glorieuse croissance, soit en perte de vitesse. En ce qui concerne les immeubles des années 60 ou 70, ceux qui n’auront pas été bien entretenus pourraient être voués à la démolition, croit Hélène Bégin. «Les nouvelles habitations se colleraient davantage aux besoins des générations vieillissantes, soit comme résidences pour retraités ou préretraités.»
Quant à la «monster house», cette maison de type manoir qui pousse en banlieue et même sur l’île de Montréal, elle pourrait être à l’abri des chocs. Il y aura toujours des gens riches pour le haut de gamme, dit-on, tout comme des gens intéressés à une maison au bord de l’eau. «Ce qui est rare garde sa valeur généralement, dit Daniel Gill. Celles qui vont écoper, ce sont les maisons bas de gamme. […] Mais au bord des rivières, par exemple, le prix ne baissera pas parce qu’il y a une rareté.»
L’une des variables les plus déterminantes sera peut-être celle des flots migratoires des récentes et des prochaines années, et ce en raison de l’effet compensateur qu’il pourrait exercer sur la faiblesse du taux de natalité et de la création de ménages. «On dit généralement que les immigrants font leur premier achat immobilier après huit ans, alors on va peut-être créer un marché avec eux, pour les enfants qu’on n’a pas eus», dit Sylvie Brunelle, directrice régionale du financement immobilier à la Banque de Montréal. «Oui, les changements démographiques auront un effet, mais je ne le vois pas si dramatique que ça.»
Il y aura toutefois ceux à qui une baisse de prix ferait bien plaisir : la génération suivante qui cherchera à faire l’acquisition d’un premier chez-soi. «Ils seront beaucoup moins nombreux que les générations précédentes, dit Hélène Bégin. Donc, forcément, ça sera attrayant au niveau des prix en raison d’un plus grand choix.»
30 mai 2005 à 17 h 32
Le problème avec les déclaration de Sylvie Brunelle ou de Hélène Bégin c’est qu’elles ne tiennent pas compte de deux éléments incontournables du système économique mis en place depuis la fin des années 1950 et cristallisé depuis les années 1980, c’est-à-dire notre dépendance à du pétrole pas cher et des normes de construction qui date des années 1970-1980.
D’une part nous allons atteindre l’apogée de production pétrolière d’ici environ 5 ans, ce qui veut dire la fin du mode de vie américain (banlieues et autoroutes à perte de vue, sans compter l’agri-business et la mobilité extrême) et donc un sérieux « crunch » dans le développement domiciliaire. D’autre part la majeure partie des constructions érigées dans les années 1980 et 1970 vont commencer (déjà) à donner des signes de vieillissement et devront être soit rénovées (en pleine crise économique, très dubitatif) ou détruites (plus probables). Tout ce qui est construit présentement comme centre d’achats ou Wal-Mart devra être détruit dans 10 ans non pas seulement parce que l’économie ne le permettra plus mais parce que les structures seront rendues « trop vieilles ».à
Et cet optimisme des immigrants qui vont remplacer les enfants pas faits par les Québécois de souche, ça me fait sourire…
Une faible proportion des immigrants 1) reste au Québec 2) déménage ailleurs qu’à Montréal. De plus, les immigrants qui arrivent ici hésitent à faire des enfants puisque souvent ils sont barrés des emplois pour lesquels ils ont fait des études dans leur pays d’origine. Et les enfants de ces enfants d’immigrants bien souvent ne veulent pas vivre comme leurs parents et avoir beaucoup d’enfants.
À ce sujet, il faut savoir que la majorité des femmes qui se font avorter à Montréal ce sont des jeunes femmes noires ou d’Amérique latine qui ne veulent pas d’enfant mais qui ne veulent ou ne comprennent pas la contraception…
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30 mai 2005 à 22 h 27
D’ici cinq ans…
Ce pic de production pétrolière dont parle Phonono, a été théorisé dans les années 50 par un de ces spécialistes dans les sciences de la recherche du pétrole, intéressé également par l’économie. Hubert, c’est son nom, prévoyait ce vendredi noir du pétrole en 1970. Les découvertes de gisements pétroliers lui ont donné tort, pour ce qui est de la date, mais aujourd’hui plusieurs considèrent sa théorie comme une prophétie.
Avec les Chinois et les Indiens qui se mettent à consommer de plus en plus de pétrole, comme pour ce qui est des autres matières premières dailleurs(fer, charbon…), je me suis mis au vélo. Je serai prêt physiquement… ;D
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31 mai 2005 à 09 h 17
Hubert a correctement prévu le sommet de production de pétrole américain pour les années 70.
D’autres ce sont mis à appliquer son modèle pour la production mondiale et arrivent avec des dates entre 2010 et 2030.
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31 mai 2005 à 10 h 44
Cher JT, l’apogée de la production pétrolière s’est bien réalisée dans les années 1970. La crise de 1973 et la crise économique qui s’est ensuivi sont le résultat de cette réalité. Par contre, ce qu’Hubert n’avait pas tenu compte dans ses calculs, c’est que le gouvernement États-Unien allait étendre ses tentacules jusqu’au Moyen-Orient et au Mexique (Gulf War anyone?) pour pomper ensuite dans les réserves de ces régions. Il n’a pas tenu compte non plus des découvertes de la Mer du Nord et des sables bitumineux.
La limite de cinq ans dont je viens de parler, ce n’est pas une « théorie » datant des années 1950, c’est la compagnie ExxonMobil qui vient de la publier cette année dans un rapport scientifique.
Les Chinois consomment de plus en plus de matière première pour faire vivre Wal-Mart et ses dérivés ainsi que le mode de vie suburbain. Donc nous sommes en grande partie responsables de l’augmentation de leur pollution.
La fin du pétrole ce n’est pas seulement la fin de l’automobile, c’est la fin du plastique, la fin des piscines, la fin de l’agriculture industrielle, la fin de 80 % de notre culture, si notre culture est suburbaine.
Si au moins la moitié des gens qui conduisent actuellement ne conduiraient plus, on pourrait peut-être étirer la fin du pétrole un peu plus loin pour nous donner du temps trouver des solutions de rechange.
Mais, collectivement, l’humain n’est pas assez sage pour ça.
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31 mai 2005 à 11 h 42
C’est M. King Hubbert et la prévision (pas prédiction) date de 1956.
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1er juin 2005 à 18 h 36
Merci.
Ces informations n’étaient pas fraîches à mon esprit.
Ce que j’avais compris c’est qu’en 1970 c’était l’OPEP qui avait décidé de limiter la production et que ce qui risque de se produire d’ici cinq ans, c’est le pic de la possibilité de production…
Parlant de plastique. Une autre information que j’ai capté il y a déjà un bout de temps… Une pétrochimiste indienne a arrêté d’acheter de l’essence, elle en fait avec des déchets de plastique.
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