François Cardinal
La Presse +
3 février 2015
Pour faire fuir les familles, la recette est simple. On augmente les taxes et tarifs. On réduit l’aide à l’achat d’une propriété. On néglige le transport en commun. On laisse la congestion s’aggraver.
La recette marche à merveille. Voyez Montréal depuis 10 ans.
Mais pour garder les familles en ville, par contre, les choses se compliquent. Comme on le voit dans la plupart des métropoles occidentales.
Pas de recette pour retenir les jeunes parents, donc. Un défi qu’à peine une poignée de villes ont su relever. Dont Paris, où le maire Coderre séjourne justement.
Montréal n’est pas Paris. Et Paris n’est pas Montréal.
Mais les deux villes ont néanmoins été frappées par le même problème au fil des décennies : un exode massif des jeunes familles, qui ont pris l’habitude de quitter le centre pour la périphérie dès le premier cri de bébé.
Comment les blâmer ? Les parents retrouvent dans les banlieues pavillonnaires parisiennes la même qualité de vie que dans les banlieues montréalaises. Plus de sécurité, de propreté, de tranquillité. Moins d’autos, de congestion, de pollution.
Des services davantage adaptés à la famille… et beaucoup d’autres familles avec lesquelles en profiter. Car plus les familles s’installent dans un quartier, plus les familles y sont attirées.
Mais le rapprochement entre Paris et Montréal s’arrête là. Car Paris ne s’est pas résigné à cette vive concurrence. Au contraire, l’ancien maire Bertrand Delanoë en a même fait son principal combat lors de ses 13 années au pouvoir, qui ont pris fin l’an dernier.
Résultat : après une agonisante saignée qui a duré 40 ans, Paris retrouve enfin la faveur des Franciliens. Même
les jeunes avec bébés et poussettes.
En un mot, Bertrand Delanoë a misé sur la qualité de vie des citadins, ceux qui vivent et votent à Paris. Le sociologue Jean Viard appelle ça « la démocratie du sommeil ».
Le maire Delanoë a augmenté la superficie des parcs, des aires de jeux, des terrains de sport et des espaces publics.
Il a créé une foule de forfaits pour rendre les activités familiales accessibles et il a mis sur pied un guichet unique pour les activités parascolaires.
Il a misé sur le logement social et l’aide à la propriété, pas seulement pour les plus démunis, mais aussi pour la classe moyenne.
Il a augmenté les budgets de la police de 50 %, en plus d’adopter un plan de vidéosurveillance.
Il a réduit la circulation, il a augmenté la place des piétons, il a ensablé les berges de la Seine pour créer Paris Plages et il a multiplié les événements comme la Nuit Blanche et Paris Respire.
Il a misé sur le tramway avec l’aide de l’État, mais aussi sur les voies réservées, les pistes cyclables et l’offre de transport en libre-service (Velib’ et Autolib’ auxquels la maire Hidalgo aimerait ajouter le Scootlib’).
Et il a limité les hausses de taxes, gelant même le fardeau fiscal pour attirer les acheteurs de la classe moyenne et convaincre les citadins qu’ils en ont davantage pour leurs taxes.
Bref, il a augmenté l’attrait de la ville et, du coup, sa compétitivité par rapport à la périphérie : les gains de population sont maintenant plus importants à Paris qu’en couronne. Une première depuis 1950.
Rien à voir avec Montréal ? En partie vrai. La culture est différente à Paris, les pouvoirs de la ville aussi, et l’État,
là-bas, traite la métropole comme une… métropole.
Mais s’arrêter à ce qui ne peut être calqué, c’est mettre une croix sur ce qui peut l’être.
Montréal n’a pas son mot à dire dans les activités parascolaires, mais peut faire sa part pour rendre la ville plus attrayante. C’est ce que prouvent des arrondissements comme le Sud-Ouest et Rosemont, où on a amélioré la qualité de vie avec des mesures implantées avec tact et diplomatie. C’est ce que fait le Plateau, aussi, même si la rapidité avec laquelle on a voulu implanter certaines mesures a éclipsé les plus intéressantes et nécessaires.
Denis Coderre le fait, lui aussi. Il a maintenu les subventions pour l’achat d’une première propriété, même si Québec a mis une croix sur sa participation. Il a mis fin à la croissance exponentielle des hausses de taxes. Et il a annoncé des projets de piétonnisation.
Mais ce que le plan Delanoë nous enseigne, c’est qu’une poignée de gestes ne suffit pas. Surtout si ceux-ci sont contrés par des mesures qui les annulent, comme le prolongement d’autoroutes, le refus de développer les autos en libre-service et les hausses successives des tarifs du transport en commun.
Ce que l’exemple de Paris démontre aussi, c’est qu’une ville aux prises avec une flambée du prix des maisons peut réussir à attirer les jeunes acheteurs. À condition d’être imaginative, volontaire et cohérente.