Gabriel Béland
La Presse
(Québec) Les façades de pierre et de brique, les corniches sculptées, les portes de chêne massif… Il suffit de mettre les pieds rue Saint-Joseph pour admirer les traces de son passé prospère.
Mais depuis des mois, les pancartes « à louer » se multiplient sur cette artère commerciale emblématique de Québec, qui est depuis des décennies le sujet de bien des débats et symbolise la résistance des commerces « de la ville » contre ceux « de la banlieue ».
La rue a récemment perdu deux importantes enseignes au profit de la périphérie. EQ3 et Artemano ont toutes deux déménagé à Lebourgneuf, non loin des Galeries de la Capitale.
Pendant ce temps, à un jet de pierre de là, l’important local qui accueillait le magasin MEC est toujours inoccupé depuis 2016. La coopérative de plein air a elle aussi déménagé à Lebourgneuf, quartier récent proche des autoroutes et des centres commerciaux.
Le taux d’inoccupation des locaux rue Saint-Joseph est aujourd’hui de 14 %, selon les données les plus récentes obtenues par La Presse, alors qu’il était de 9,4 % en 2018. « C’est moyen, c’est clair. Il y a plus de 10 locaux à louer dans la rue », constate François Gagnon, propriétaire de Déjà Vu, commerce de meubles situé entre les anciens locaux du EQ3 et du Artemano.
« Mais je pense que ce n’est pas seulement Saint-Joseph, on le voit aussi sur Saint-Jean en haute-ville. C’est difficile de rivaliser contre la vente en ligne et tout ce qui s’appelle centres commerciaux avec les stationnements à perte de vue. » François Gagnon, propriétaire de Déjà Vu
La rue Saint-Joseph a un passé prospère, mais compliqué. Au milieu du XIXe siècle, la rue du quartier Saint-Roch est devenue la plus importante artère commerciale de Québec, supplantant celles de la haute-ville. Elle a compté jusqu’à 125 boutiques, dont les enseignes Laliberté, Paquet, Pollack et Le Syndicat de Québec.
Mais le développement de la banlieue après la Seconde Guerre mondiale a fait mal à Saint-Joseph. Les centres commerciaux ont poussé comme des champignons.
La mise en place d’un centre commercial couvert en 1972 n’a pas réussi à stopper le déclin : il a été démantelé en 2007. Les efforts de la Ville pour revitaliser Saint-Roch ont donné un nouveau souffle à la rue, mais les derniers mois ont été difficiles.
« C’est rue Saint-Joseph qu’on trouve les plus grands locaux hors centres commerciaux ou hors power center à Québec », rappelle Éric Courtemanche Baril, propriétaire de l’épicerie Intermarché rue Saint-Joseph et ancien président de la SDC Saint-Roch.
Avec la croissance du commerce en ligne, ces grands magasins auront de plus en plus d’ennuis, croit-il.
L’entreprise immobilière Groupe Mach a acquis de nombreux grands locaux de la rue depuis 2017. Elle possède notamment l’immeuble qui abritait le MEC. Le local vacant, intersection Saint-Joseph et de la Couronne, est toujours inoccupé depuis.
« Sûrement qu’on ne pensait pas qu’il serait encore vacant aujourd’hui. Mais on continue d’acheter dans le secteur, on continue de croire au secteur », assure le conseiller juridique de Mach, Laurent Dionne-Legendre. « Mais l’ancien MEC n’est pas le symbole de ce qui va mal sur Saint-Joseph. C’est une question de temps. »
Le groupe immobilier ne cache pas ses ambitions : ramener le centre-ville à Saint-Roch plutôt qu’à Sainte-Foy ou à Lebourgneuf. « Est-ce qu’on veut que le centre-ville se développe autour d’un boulevard commercial comme Laurier ou est-ce qu’on revient vers Grande-Allée, la basse-ville ? Nous on pense que le centre-ville va revenir ici. »
En attendant, l’entreprise a acquis l’immeuble du magasin Laliberté, la dernière survivante des grandes enseignes de l’âge d’or de la rue. Mach tente de trouver un repreneur pour exploiter le détaillant, qui vend des vêtements. Mais tous les scénarios sont possibles, y compris un changement de vocation.
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