François Bourque
Le Soleil
Depuis deux ans, j’ai cherché à obtenir copie des études ou analyses sur l’évaluation des coûts à la charge de la ville de Québec pour le projet Le Phare (rebaptisé depuis Humaniti).
J’avais en tête les coûts des réseaux d’aqueduc et d’égout, du réseau routier à refaire, des connexions au transport public et des enjeux de sécurité publique (protection incendie).
Je pensais aussi aux coûts du pôle d’échanges Ste-Foy (qui a depuis été relocalisé) et aux terrains qu’il faudrait exproprier pour réaliser les travaux d’infrastructures autour du Phare.
La Ville de Québec a dit non et Groupe Dallaire, qui avait préparé une partie des documents que je demandais, a dit non aussi.
Le 2 avril 2019, j’ai demandé à la Commission d’accès à l’information (CAI) de réviser cette décision.
Trois auditions (d’abord sur place, puis à distance) ont été tenues, entrecoupées de COVID et de plusieurs remises ou demandes de remises pour des motifs pas toujours convaincants.
Cette fois par exemple où un avocat a demandé une autre remise parce qu’il n’avait pas réussi à ouvrir un Cd-Rom. Son entreprise planifie un gratte-ciel de 65 étages, mais n’arrive pas à trouver les ressources techniques pour ouvrir un enregistrement. La demande a cette fois été refusée.
Deux ans se sont donc écoulés et la juge administrative Guylaine Giguère vient de rendre sa décision : demande de révision rejetée.
La décision est finale et sans appel quant aux faits.
L’information que je cherchais à obtenir concerne l’entente ville-promoteur que Québec et Groupe Dallaire était à négocier au printemps 2019.
Des ententes de même nature sont signées lors de tous les projets qui impliquent un partage des coûts d’infrastructures entre la ville et un promoteur.
Dans le cas du Phare, je soupçonnais que les coûts seraient importants, vu l’ampleur du projet et des travaux requis autour du site de l’ancienne Auberge des Gouverneurs (coin Lavigerie/boulevard Laurier).
Il était déjà connu à l’époque que les réseaux municipaux (eaux usées, aqueduc, routier) n’avaient pas la capacité pour un projet d’une telle envergure.
J’ai eu la naïveté de penser que cette information était d’intérêt public. Je le pense toujours, mais à l’évidence, ça ne suffit pas.
Ces informations ne seront pas accessibles avant la conclusion d’une entente éventuelle entre la ville et le nouveau promoteur Cogir.
Reste à voir quelle part de l’information pourrait alors devenir accessible. Dans tous les cas, l’encre sera sèche sur les contrats et il ne sera plus possible de changer quoi que ce soit au projet.
Il importera peu alors que des citoyens, groupes ou élus puissent trouver que le projet (Phare-Humaniti) implique un coût public trop élevé pour le bénéfice que pourrait en tirer la ville.
La Loi sur l’accès à l’information vise (en théorie) à favoriser l’accès aux documents publics.
Mais elle prévoit aussi une (longue) liste d’exceptions pour lesquelles une administration peut refuser l’accès.
La ville de Québec avait invoqué 6 articles d’exception (22, 23, 24, 27, 37 et 39) pour refuser l’accès aux documents qui décrivent l’ampleur des coûts publics pour le projet Le Phare.
La CAI a analysé la réponse de la ville pour trois de ces articles (22, 23 et 39). Vu les conclusions auxquelles elle arrivait, la juge Giguère a estimé qu’il n’était pas nécessaire de poursuivre l’analyse pour les trois autres articles.
Article 22
L’article 22 permet de refuser l’accès à des renseignements financiers ou techniques si leur divulgation peut nuire à une négociation. Ou risque de causer une perte à la ville ou de procurer à quelqu’un d’autre un avantage appréciable.
Cet article vise à assurer l’équilibre entre le principe de transparence des administrations publiques et les forces économiques du marché, rappelle la juge Giguère.
J’avais plaidé que les informations demandées étaient déjà connues de la ville et du promoteur Dallaire et que leur divulgation ne pouvait donc pas nuire à la négociation.
Peut-être pas à cette négociation-là. Mais divulguer des évaluations de terrains pourrait nuire aux négociations avec d’autres propriétaires et causer une perte pour la ville, a conclu la CAI.
Article 23
L’article 23 permet à un tiers (ici le Groupe Dallaire) de refuser que soient divulguées des informations commerciales, financières ou techniques détenues par une administration publique, mais qui lui appartiennent et qui ont un caractère «confidentiel»
On parle ici d’estimés de coûts de travaux pour l’ajout d’aqueduc, le réaménagement de rues, l’acquisition de terrains, etc.
La CAI as reconnu le caractère confidentiel de ces informations.
Article 39
L’article 39 permet de refuser l’accès à un document d’analyse jusqu’à la décision finale dans un dossier.
Après avoir examiné les documents que je demandais, la CAI a estimé qu’il s’agissait bien d’analyses produites dans le cadre d’un processus décisionnel encore en cours.
Ce processus n’est d’ailleurs toujours pas terminé, aucune entente de partage des coûts n’ayant encore été signée entre la ville et le promoteur Cogir.
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Me voici donc Gros-Jean comme devant. Et vous aussi par le fait même. Pas plus avancé qu’au jour de ma demande initiale, en mars 2019.
Combien va coûter à la ville le projet Humaniti qui a succédé au Phare?
La hauteur de la tour principale a été réduite de 65 étages à 53. Mais il est prévu trois autres tours à 31, 31 et 40 étages, ce qui reste une densité considérable pour cet îlot.
On parle toujours d’y loger un hôtel ainsi que 1151 unités de logement, 453 condos, des espaces commerciaux et de bureaux, etc. Les infrastructures municipales n’ont pas été conçues pour une telle intensité.
Les villes font souvent valoir que les grands projets rapportent des taxes nouvelles.
Ce n’est pas faux, mais ce n’est pas si vrai qu’il y paraît.
Si un promoteur construit, c’est parce qu’il croit que son projet répond à un besoin et qu’il y a un marché pour les pieds carrés qu’il planifie.
Les pieds carrés qui ne se construiraient pas sur un îlot se construiront ailleurs et rapporteront les mêmes taxes à la ville.
L’opportunité d’un projet ne se mesure pas uniquement aux revenus de taxes qu’il procure à la ville.
L’impact sur la circulation et sur la qualité de vie du voisinage me semble beaucoup plus important.
Le projet, même revu un peu à la baisse, continue de pose un défi d’acceptabilité sociale. Le Programme particulier d’urbanisme (PPU) «négocié» avec les citoyens à l’époque (2021) avait fixé le seuil à 30 étages sur cet îlot. En passant outre, la ville remet en cause la crédibilité de son propre PPU.
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Dans un marché d’édifices à bureaux fragilisé par la pandémie, concentrer autant de pieds carrés sur un seul îlot risque de repousser des projets qui auraient pu naître sur d’autres îlots vacants du boulevard Laurier et de la route de l’Église.
Ces îlots vacants sont des nuisances quand on veut donner vie à une artère et y développer le plaisir d’y aller marcher, comme l’administration Labeaume dit vouloir le faire dans le nouveau centre-ville de Sainte-Foy.
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Derrière (ou devant) le Phare, il y avait cette idée d’un repère fort à l’entrée de la ville et d’un message que Québec entrait dans les ligues majeures du gratte-ciel. Pour pas exagérer, disons la Ligue Américaine.
Il me semble que cette vision d’un monde où «sky is the limit» a pris du plomb dans l’aile avec la pandémie. On a davantage envie de parcs, de jardins et d’échelle humaine que de projets immobiliers démesurés.
Et raison de plus si le projet doit coûter un bras en infrastructures publiques. J’aurais aimé pouvoir y mettre un chiffre. Ce sera pour une autre fois peut-être. Après une prochaine demande d’accès.
J’attendrai cette fois que le contrat soit signé. Ce sera plus difficile de dire non.
L’administration municipale, si c’est toujours la même qui est aux commandes, sera rassurée et sans doute satisfaite : il sera trop tard. Trop tard pour nuire à «leur» projet, aussi controversé soit-il.
Drôle de conception de la démocratie, mais la Loi sur l’accès permet qu’il en soit ainsi.
Oui à l’information pour écrire l’histoire à retardement, mais non si ça déplaît à un partenaire d’affaires de la ville ou si ça risque d’influencer une décision publique en gestation.
Lors de la première audition, en octobre 2019, j’ai entendu deux fois un témoin de la ville expliquer que la divulgation des informations serait «inconfortable». On préférait attendre la conclusion du contrat final.
C’est en effet moins confortable quand les enjeux sont connus du public que si on négocie de façon discrète à l’abri des regards.
La CAI n’a pas relevé cette remarque que pour ma part, j’avais trouvée révélatrice et significative.
Au-delà des considérations légales légitimes, les administrations publiques ont souvent cette inclinaison à rester discrètes et confortables, plutôt que d’affronter le débat public comme il conviendrait pourtant en démocratie.
L’article