François Bourque
Le Soleil
Nouveau débat et mobilisation de citoyens sur un projet immobilier aux portes de l’arrondissement historique de Sillery.
Rien de commun cependant avec d’autres qui ont attiré l’attention ces dernières semaines. Celui du 955, Grande Allée (édifice de Loto-Québec) par exemple, que la Ville vient de renvoyer sur les planches à dessin.
Le projet d’immeuble résidentiel sur le site de l’ancienne station-service Ultramar, coin Maguire et chemin Saint-Louis, est d’une autre nature. Beaucoup plus acceptable au plan urbain et de la qualité de vie du voisinage.
La Ville de Québec souhaite y permettre trois étages et 17 logements avec un édicule donnant accès à une galerie sur le toit orientée sur le chemin Saint-Louis pour protéger l’intimité des voisins derrière.
Ce projet n’implique pas de démolition d’immeuble patrimonial. Pas de perte de paysage ou de points de vue précieux. Pas d’arbres, de boisés ou de verdure sacrifiés. Pas de hauteur démesurée. Pas d’effet de mur comme souvent avec les très gros immeubles.
Pas d’impact notable sur la circulation. Pas de matériaux ou de formes qui détonnent avec la rue Maguire ou la brique rouge des immeubles en face, chemin Saint-Louis (restaurant Montego et boutique Sports Maguire).
On est ici à proximité d’une rue commerciale où les résidents pourront aller à pied et on est tout près du transport en commun.
Au plan urbain, il est difficile de trouver à redire de ce projet dont un des promoteurs, Mario Bernardo, est propriétaire du Montego en face.
Ceux qui s’y opposent semblent oublier que le zonage actuel permet déjà quatre étages sur l’ensemble du terrain, plus un édicule sur le toit. Le zonage actuel oblige aussi à un rez-de-chaussée commercial.
Le changement proposé vise à réduire la hauteur permise à trois étages et fait disparaître l’obligation commerciale. Cela fait de la place pour cinq logements de plus que le zonage actuel (17 au lieu de 12).
L’amendement au PPU Sillery et au zonage vise aussi à permettre un seul bâtiment sur le site plutôt que deux ou trois. Cela rendrait possible un stationnement en sous-terrain plutôt qu’en surface.
On le sait. Tout immeuble nouveau, même le plus modeste ou le plus réussi, dérange l’ordre établi.
Les voisins immédiats y perdent toujours un peu d’air, d’intimité ou de vue. Leur réflexe de protéger leurs «acquis» est légitime, même quand l’intérêt général peut justifier un projet.
Échaudés par les ambitions parfois démesurées des administrations publiques, les conseils de quartier et autres groupes militants sont aussi devenus méfiants. On ne s’en surprend plus et il est difficile de les blâmer.
J’ai pourtant sursauté devant l’avis de la Coalition pour l’arrondissement historique de Sillery. Le groupe s’oppose à ce projet pour le motif que sa «modernité et l’emprise de la construction… détonnent avec l’esprit du lieu de ce carrefour».
L’esprit du lieu?
On parle ici d’une station-service désaffectée et de sa cour d’asphalte.
Partout ailleurs, les citoyens supplient la Ville d’activer la reconstruction sur les terrains vacants des anciens postes d’essence.
La Coalition et le conseil de quartier voudraient ici que la Ville ou la Commission de la capitale nationale achète le terrain et en fasse un parc ou une porte d’entrée de l’arrondissement historique de Sillery.
Ils évoquent la présence sur le terrain derrière de la maison patrimoniale Timmony (construction 1835) où ont logé les marchands de bois et anciens maires de Sillery Charles et James Timmony.
Cette maison est en effet reconnue pour sa valeur «supérieure» dans le répertoire du patrimoine bâti de la Ville.
L’accès à cette maison se faisait à l’origine par le chemin Saint-Louis, mais ce lien n’existe plus.
Vouloir le restaurer ou l’évoquer mènerait tout droit dans la cour arrière des citoyens qui habitent la maison qui a sa façade sur la rue Louis-H.-LaFontaine.
Pour atténuer l’impact visuel, la Ville exigera du promoteur qu’il aménage un mur vert du côté de la maison Timmony, m’informe la conseillère Émilie Villeneuve.
Pour ce qui est d’un parc, on convient tous de leur importance dans la vie des quartiers. Sauf que c’est difficilement un enjeu ici.
Il y a dans le quadrant voisin de ce même carrefour le grand cimetière Mount Hermon qui descend jusqu’à la falaise en contre-bas. C’est un des très beaux «parcs» de Québec.
Les autorités publiques ne peuvent quand même pas acheter tous les terrains vacants pour éviter aux voisins de subir un nouvel immeuble.
La Coalition plaide avec raison pour le respect du «plan de conservation du site patrimonial de Sillery». Celui-ci couvre tous les quartiers au sud du chemin Saint-Louis, de la côte Gignac à la rue de Laune. Cela inclut le secteur du chemin du Foulon au pied de la falaise.
Le ministère de la Culture a juridiction sur ce site et devra se prononcer sur le changement demandé au PPU et au zonage pour l’ancienne station Ultramar.
Je ne veux pas présumer de sa décision, mais le ministère avait approuvé l’actuel PPU Sillery créé en 2015.
Ce plan s’intéresse à toutes les caractéristiques du site historique : cadre naturel, réseau viaire (rues), système parcellaire (découpage des lots), cadre bâti, unités de paysage, qualités visuelles, patrimoine archéologique, etc.
Ces «témoignages» de différentes époques doivent être protégés dans «un esprit de continuité et de cohérence», indique le plan.
Pour les nouvelles constructions, le plan demande de s’inspirer des «caractéristiques historiques du milieu d’insertion», mais «sans imiter les bâtiments existants, de manière à affirmer son époque de construction».
La Commission d’urbanisme de la Ville de Québec devra aussi se prononcer sur l’architecture et l’intégration au voisinage du nouvel immeuble.
Dans l’ordre actuel des choses, la question du patrimoine arrive à la fin du processus d’approbation des projets.
Serait-il plus opportun de le faire au début? C’est ce que suggère Pierre Vagneux, président de la Coalition pour l’arrondissement historique.
Un questionnement «patrimonial» doit précéder la discussion, croit-il. M. Vagneux déplore que le «réflexe patrimonial» que l’on aurait dû avoir n’ait «pas été initié».
Je ne sais pas si ça aurait changé quelque chose dans le débat présent, mais la question mérite d’être posée.
Des citoyens et groupes de pression arrivent régulièrement à faire reculer les villes ou des promoteurs. Parfois sous la menace d’un référendum; parfois par la pression publique ou simplement par la discussion.
L’exemple le plus récent est celui du 955, Grande Allée, mais il y en a d’autres.
On a vu ce printemps le promoteur d’un gros projet résidentiel sur le chemin des Quatre-Bourgeois revoir les plans avec la Ville après avoir entendu les craintes des citoyens.
Nicolas Côté, de Clef Développement, a fractionné en quatre le «mur-édifice» qui était prévu; il a augmenté les marges de recul dans la cour arrière et a abaissé les hauteurs en deçà des hauteurs autorisées.
Au final, «le projet respectera l’ensemble de nos préoccupations, trois étages, environ 14 mètres de marge arrière et pas de mur édifice», se réjouit le porte-parole du groupe de citoyens du voisinage, Robert MacKay, dans un courriel envoyé au Soleil il y a quelques jours.
M. MacKay salue au passage la négociation menée par la Ville avec le promoteur. «Nous avons l’impression que les urbanistes de la Ville ont fait un bon travail et ont tenu compte de nos préoccupations», dit-il.
Cela vaut la peine d’être souligné.
L’été dernier, l’administration Lehouillier à Lévis a rapidement revu son plan de circulation aux abords du parc de l’anse Benson après avoir entendu les critiques de citoyens.
On ne dira jamais assez à quel point le dialogue et l’écoute permettent d’améliorer les projets et leur acceptabilité.
Mais il arrive aussi que des citoyens étirent l’élastique au point de compromettre la viabilité de tout projet et de condamner des terrains à l’immobilisme. Il faut alors être capable de dire c’est assez.