François Grenier
Magazine 100º
À l’heure où la plupart des pays peinent à aplatir la courbe de contamination à la COVID-19, certains se demandent si cette pandémie ne va pas à jamais transformer le visage de nos villes. Au point même, parfois, de mettre au banc des accusés la densité de leur population. Or, rien n’est moins certain.
Au cours de son histoire, l’humanité a été frappée par de nombreuses épidémies et plus récemment par des pandémies. Plusieurs de ces sombres épisodes ont durablement marqué les esprits et parfois entraîné des changements majeurs dans l’aménagement des infrastructures urbaines.
Les épidémies de choléra, par exemple, qui ont frappé Londres au milieu du 19e siècle, offrent l’un des cas les plus célèbres de transformation en profondeur d’une ville. Après avoir découvert que l’agent infectieux se propageait dans l’eau, on a entrepris de colossaux travaux d’ingénierie afin de reconfigurer entièrement le réseau d’égouts, ce qui a entraîné l’élimination de la maladie.
L’une des leçons intéressantes du cas de Londres, c’est que, une fois compris le mode de propagation d’une maladie, il est ensuite possible de prendre des mesures – ici des travaux pour protéger les puits d’eau potable – afin de se prémunir contre sa menace. Si bien que, aujourd’hui, Londres n’a jamais été plus dense, ni plus populeuse.
Dans le cas qui nous occupe, et nous préoccupe, on pourra bien sûr objecter que le mode de propagation de la COVID-19 est très différent de celui du choléra. Soit. Toutefois, les mesures de distanciation sociale préconisées pour freiner la progression de la maladie ne permettent pas de conclure que la densité de population dans une ville représente fatalement un facteur d’aggravation1.
« Lorsqu’on analyse froidement la situation, explique Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville, on constate que la densité n’est pas nécessairement responsable de la propagation du coronavirus. Si c’était le cas, Hong Kong, l’une des villes les plus densément peuplées au monde, aurait dû être durement touchée par la COVID-19. Or, même si elle a été parmi les premières à être contaminée, elle a rapidement réussi à contenir la contagion. »
Un constat qui, paradoxalement, se vérifie aussi à New York, pourtant de loin le principal foyer d’infection aux États-Unis. En effet, toutes proportions gardées, ce ne sont pas les quartiers les plus denses de la ville qui sont les plus touchés. Autrement dit, bien d’autres facteurs conditionnent la propagation du virus, parmi lesquels certains n’hésitent pas à inclure l’aménagement et la forme bâtie.
Bien plus que la densité, c’est le caractère cosmopolite de New York qui explique le nombre de cas de la COVID-19. « Au Moyen Âge, les villes portuaires, parce qu’elles étaient ouvertes sur le monde, explique Christian Savard, étaient les portes d’entrée des épidémies. Aujourd’hui, ce sont les grandes villes, avec leurs aéroports internationaux. »
La pandémie que nous vivons a clairement pris de court les autorités publiques partout à travers la planète. Pourtant, elle était attendue, voire annoncée. Les épidémiologistes ne pouvaient pas prédire quand elle surviendrait, mais ils nous avaient prévenus que toutes les conditions étaient actuellement réunies pour que cela se produise. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil sur la liste des virus émergents qui sont apparus au cours des dernières décennies, de la fièvre de Marburg (1967) jusqu’à l’Ebola (2014) en passant par le V.I.H. (1981) ou le SRAS (2002).
Tous ces virus sont d’origine animale et ont réussi, à la suite de mutations, à franchir la barrière des espèces pour infecter les humains. L’un des premiers facteurs en cause, c’est la destruction accélérée des écosystèmes, notamment celle des forêts tropicales souvent effectuée de manière clandestine. Cela occasionne la multiplication des contacts entre humains et animaux sauvages, entre autres le braconnage, et donc les chances pour un virus de se propager dans les populations humaines.