François Bourque
Le Soleil
CHRONIQUE / Le Phare est-il un projet «exemplaire» et «distinctif» pouvant justifier la «grande hauteur» de 65 étages qui va marquer le paysage de Québec?
La question s’impose à la lecture des «avis d’opinion» de la Commission d’urbanisme de la ville, dont Le Soleil a obtenu copie par la Loi sur l’accès à l’information.
Cette commission a le mandat de contrôler l’implantation et l’architecture des immeubles.
Dans ses quatre avis sur le Phare depuis 2013, la Commission explique que de «telles hauteurs de bâtiments requièrent un projet exemplaire».
«L’acceptabilité de ces grandes hauteurs est intimement liée à la grande qualité» d’un projet et à une «signature distinctive», insiste-t-elle.
Sur cette base, elle a émis en mai 2018 un avis favorable au projet du Phare qui allait donner le coup d’envoi au projet. On n’y perçoit cependant aucun enthousiasme.
À la lecture de ce dernier avis (et des précédents), on peine à comprendre ce que la Commission y a trouvé de si «exemplaire» et «distinctif» pour lui faire passer la barre des critères qu’elle s’était donnés.
On peut déduire que la Commission a hérité au départ d’un projet qu’elle trouvait déficient et handicapé par une mauvaise localisation, à l’angle de deux autoroutes (Henri-IV/Laurier).
Par ses suggestions, elle a fait ce qu’elle pouvait pour limiter les dégâts et rendre le projet plus acceptable. Cela en a-t-il fait le projet «exemplaire» et «distinctif» recherché?
Le débat est ouvert et risque de se poursuivre sans fin, comme pour l’édifice «G» (Marie-Guyart) construit il y a près d’un demi-siècle et qui soulève encore la controverse.
(…)
Depuis 2013, le promoteur a soumis à la Commission quatre versions du Phare qui ont chacune fait l’objet d’un «avis d’opinion».
1- Le premier avis (septembre 2013) fut très négatif sur le concept d’une tour d’inspiration «Dubaï», ce qui n’a pas empêché le promoteur de le rendre public un an et demi plus tard (février 2015).
2- Un second avis (avril 2016) sur un projet remanié fut beaucoup plus favorable malgré des «interrogations et des inquiétudes face à l’importance des enjeux urbains. Le projet fut rendu public l’automne suivant. «Un phare bien meilleur», avais-je alors écrit.
3- Un troisième avis, cette fois farouchement négatif, fut rendu en mars 2018 sur un projet encore une fois remanié. La Commission y constate que les qualités architecturales de la version précédente ont tout à coup disparu.
Difficile de comprendre ce qui s’est passé. Le promoteur a-t-il changé d’architectes ou leur a-t-il demandé de couper dans le projet pour en réduire les coûts?
Seul le promoteur pourrait nous le dire, mais depuis des semaines, il ne répond plus à nos messages et courriels.
Ce silence coïncide avec l’obtention du changement de zonage qu’il convoitait, mais peut-être n’est-ce qu’un hasard.
Cette troisième version du Phare n’a jamais été rendue publique et la Ville de Québec refuse aussi de la montrer. Un moindre mal puisque cette version a été écartée.
4- Un quatrième avis d’opinion que l’on peut considérer comme «final» a été rendu en mai 2018. Il est favorable, malgré plusieurs réserves.
Le promoteur est revenu au concept de 2016. «L’architecture générale des bâtiments s’est améliorée», dit avoir constaté la Commission. «Son design s’est bonifié et la commission apprécie les orientations sur sa matérialité».
Elle demande de «poursuivre le développement du projet» avec un «souci de grande qualité, de distinction et de raffinement des détails».
Elle exprime aussi des inquiétudes sur la typologie des balcons, l’impact des vents et de l’ombre, les éventuels basilaires et la mise en lumière des bâtiments.
Il faudra de nouvelles études de vent et d’ombrages, prévient la Commission.
(…)
Les délibérations de la Commission d’urbanisme se font à huis clos et ses membres sont tenus au silence éternel.
Les plans et documents qui leur sont soumis ne sont pas publics, même après que les décisions aient été rendues.
Les avis de la Commission ne sont pas publics non plus. Je n’ai réussi à obtenir ceux sur le Phare qu’après en avoir appelé du refus de la Ville de Québec devant la Commission d’accès à l’information. C’est une bataille qu’il faudrait recommencer à chaque fois.
Cela fait beaucoup de secret pour des décisions qui ont un impact parfois important sur le paysage de la ville et la vie des quartiers. Est-ce vraiment la meilleure façon de servir l’intérêt public?
Il faudrait, il me semble, que les enjeux d’apparence et d’architecture soulevés par les grands projets puissent être abordés plus ouvertement dans l’espace public.
Il doit bien y avoir moyen d’alléger un peu le secret sans nuire aux projets ou à la situation concurrentielle des promoteurs.
Je ne porte pas ici de jugement sur la compétence professionnelle des membres de la Commission.
J’en porte un sur l’importance que la ville ne soit pas dessinée à huis clos.
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