François Bourque
Le Soleil
Une autre semaine à se poser la même question : pourquoi le gouvernement Legault tarde-t-il à approuver le projet de tramway de Québec? Qu’y a-t-il derrière qui nous aurait échappé?
Convenons d’abord que la volonté du gouvernement de bien servir les banlieues est louable. C’est d’ailleurs le meilleur argument pour le projet de Québec. Offrir aux citoyens des banlieues, pris sur les autoroutes aux heures de pointe, une possibilité d’aller au travail autrement qu’avec leur auto.
La thèse voulant que l’abandon des trambus a pénalisé les banlieues au profit du centre-ville ne tient cependant pas la route.
Les trambus ne desservaient pas les banlieues, hormis un tronçon de quelques kilomètres entre Limoilou et D’Estimauville.
La Ville de Québec en a refait la démonstration cette semaine, chiffres et cartes à l’appui : les banlieues n’auront jamais été mieux servies qu’avec ce projet de tramway combiné aux nouveaux services que va offrir le RTC.
Qu’est-ce qui cloche alors? Pourquoi le gouvernement Legault ne se rend-il pas à cette évidence?
On a entendu beaucoup d’hypothèses.
Une guerre de pouvoir pour montrer au maire qui mène à Québec. Un désir de la CAQ de mettre à sa main un projet qui n’était pas le sien.
Une stratégie pour retarder la décision jusqu’aux élections municipales en espérant se débarrasser du maire et avec lui, du tramway.
Sans parler de l’usure du temps. J’ai reçu des courriels de citoyens favorables au projet, mais exaspérés : si le gouvernement est contre, qu’il le dise clairement et qu’on passe à autre chose.
Pour ma part, je continue de croire que le gouvernement Legault souhaite réaliser un projet de tramway à Québec. Malgré les apparences et ses messages contradictoires.
Pour comprendre, il faut revenir un peu en arrière.
Une partie de la réponse se trouve dans les engagements électoraux de la CAQ et dans sa rigidité, dogmatique parfois, à vouloir respecter ses promesses.
Bonnes ou mauvaises.
C’est vrai du tramway comme d’autres engagements électoraux.
Cette obsession, par exemple, à déménager le Salon de jeux de Loto-Québec, sans raison solide et sans que personne l’ait demandé. Ou l’interdiction du pot pour les moins de 21 ans.
Pas de justificatifs convaincants, mais le gouvernement s’est cru obligé de tenir ses promesses.
Le même raisonnement vaut pour le tramway.
La CAQ avait appuyé le projet en campagne, mais y avait mis trois conditions : respect du budget de 3,3 milliards $, desserte adéquate des banlieues et interconnexion avec un troisième lien.
Il s’accroche aujourd’hui à ces conditions comme à ses promesses, même lorsque ces conditions deviennent intenables sur le plan de la logique et du bon sens. Plus importantes que le projet lui-même.
Revenons un moment sur ces conditions pour mieux comprendre la posture du gouvernement.
L’évolution technique du projet de tramway aurait rendu nécessaire une extension du budget initial. Comme ça se passe ailleurs, avec le REM ou le métro de Montréal par exemple.
Mais pas à Québec. Le gouvernement s’accroche à sa «condition» de ne pas dépasser 3,3 milliards $.
Cette rigidité a forcé la Ville à sabrer dans son projet et à sacrifier des éléments auxquels le gouvernement dit aujourd’hui tenir. Cela ne manque pas d’ironie, mais la «promesse» est respectée.
Pour respecter la «condition électorale», le gouvernement voudrait que les banlieues soient desservies dans le projet final de la même façon et avec les mêmes sommes que dans le plan d’affaires initial.
C’est devenu impossible, maintenant que le volet tramway accapare presque tout le budget. Mais le gouvernement y tient.
Dans le nouveau projet, le trambus de 577 millions $ (axe est-ouest) a été remplacé par un métrobus de 85 millions $ sur voies réservées. Quant aux voies «dédiées» (corridors exclusifs de transport en commun) de 374 millions $ vers le nord, elles ont été converties en voies réservées de 120 millions $.
Le gouvernement a fait l’addition : 85 millions $ plus 120 millions $, ça donne 200 millions $ pour les banlieues sur un budget de 3,3 milliards $. Il juge le «ratio» insuffisant et voudrait revenir à celui du projet initial. Dans les faits, il y a dans le projet actuel beaucoup plus que 200 millions $ pour les banlieues, mais il est vrai que le «ratio» initial a changé.
La où ça se complique, c’est que le gouvernement ne veut pas tenir compte des nouveaux métrobus, express et services sur demande pour la banlieue que planifie le RTC.
Il considère que c’est un autre projet et un autre budget. Peu lui importe ici que les banlieues s’en trouvent au total mieux servies que dans le projet de tramway initial.
Ce qui lui importe, c’est de tenir sa «promesse» d’une desserte «complète» des banlieues à même le budget initial de 3,3 milliards $.
Certains (dont moi) s’étonnent encore que le gouvernement tienne à lier le tramway au projet de troisième lien. On ne devrait pas s’étonner.
C’était une des «conditions» de l’appui de la CAQ au tramway.
Le gouvernement se sent donc tout le loisir de retarder le tramway pour attendre que soit «attachée» la future connexion avec le tunnel vers Lévis. Que cela plaise ou pas.
Dans toute négociation qui bloque, il faut pour en sortir que chacun puisse avoir l’impression d’avoir gagné quelque chose.
La Ville de Québec devra donc faire elle aussi un bout de chemin.
Augmenter l’offre vers D’Estimauville en y ramenant un bout de trambus ou de rail donnerait un signal fort.
Le gouvernement obtiendrait ainsi un changement lui permettant de se rapprocher des «ratios» et du projet initial auxquels il tient (à tort ou à raison).
Relever l’offre vers D’Estimauville ne serait pas contraire à la «science» dont se réclame l’administration Labeaume. Dans des versions précédentes du projet, Québec avait prévu s’y rendre. D’abord en tramway, puis en SRB et en trambus, avant d’être contrainte à se contenter d’un métrobus.
Ramener des voies «dédiées» vers le nord enverrait aussi un bon signal.
Pour y arriver sans défoncer le budget, il faudrait couper quelques kilomètres de tramway, possiblement vers Charlesbourg. Déshabiller une banlieue pour en habiller une autre.
On peut ne pas être d’accord avec cette fidélité hiératique de la CAQ pour ses promesses électorales, au mépris parfois de la logique et de l’intérêt du projet.
Mais il faut savoir que cela existe pour comprendre la position du gouvernement sur le tramway.
Il faut aussi se souvenir d’où est partie la CAQ. À l’élection de 2014, c’était «no way tramway».
Que la CAQ ait appuyé le tramway Labeaume en 2018 était un virage important, pour ne pas dire improbable. Cela a d’ailleurs déplu à une partie de sa base électorale (et de ses candidats). Les «conditions» ont aidé alors à faire passer la pilule.
Le gouvernement serait sans doute moins tatillon sur ses «conditions» s’il sentait un fort courant populaire et une meilleure acceptabilité sociale.
Comme il l’avait senti au lendemain des dernières élections en prenant un «virage environnemental» qui n’était pas dans sa plate-forme électorale.
On ne sent cependant pas un tel mouvement pour le tramway, malgré les appels d’élus, citoyens, militants verts et promoteurs.
La chronique de M. Bourque