François Bourque
Le Soleil
Pourquoi un tramway? Pourquoi ne pas simplement ajouter des autobus aux heures de pointe? me demandent presque chaque jour des lecteurs.
La question a été de tous les débats sur le tramway depuis plus de 20 ans et l’est encore aujourd’hui. Plus que jamais je dirais, même si le gouvernement Legault vient de donner le feu vert au projet.
L’essor du télétravail depuis la pandémie a conforté la perception que des autobus pourraient faire la job.
C’est probablement une des explications au déficit d’acceptabilité sociale du projet de tramway.
Beaucoup de citoyens croient que ce serait plus simple, moins coûteux et moins dérangeant avec des autobus. En plus, avec des autobus qui seront bientôt électriques et bons pour l’environnement. Tous les arguments semblent y être.
Alors, pourquoi ne pas simplement ajouter des autobus?
La réponse courte est qu’ajouter des autobus en heures de pointe ajouterait à la congestion des voies réservées des Métrobus 800-801 sans permettre un meilleur service.
Réglons d’abord la question des autobus électriques.
Je n’ai rien contre. Au contraire. Tout ce qui contribue à réduire l’émission de gaz à effet de serre doit être encouragé. Mais que les autobus roulent au diesel, à l’électricité, à voile ou à vapeur, ça ne change rien au nombre de passagers qu’on peut y transporter. Ni aux aléas de la route qui retardent les bus.
Des autobus électriques iraient s’empiler dans les corridors réservés de la même façon que les diesels ou les hybrides.
Essayons de démonter la mécanique des autobus et d’essayer de comprendre comment elle fonctionne.
1. Avant la pandémie, le RTC transportait 1900 passagers à l’heure pendant la pointe du matin dans le tronçon commun des Métrobus 800 et 801 entre Sainte-Foy et Saint-Roch, là où passera le tramway
La capacité théorique de 1640 passagers, calculée sur le nombre d’autobus, les fréquences et les places disponibles par véhicule, était donc déjà dépassée.
En d’autres mots, ces autobus étaient déjà en «surcharge», ce qui a un impact sur le confort, sur le temps de montée et de descente des passagers et par ricochet, sur les temps de parcours.
2. Les temps de parcours sont aussi influencés par les conditions de circulation
Tempêtes, verglas, chaussées glissantes ralentissent les autobus. Même chose pour les incidents de circulation : voitures dans la voie réservée, camions de livraison, travaux routiers, etc.
Dans un corridor d’autobus à haute fréquence (ici 3 minutes en heure de pointe), les retards se répercutent rapidement sur le reste de la ligne et font dérailler la machine.
Incapable de tenir son horaire, un premier autobus arrive en retard, ce qui veut dire qu’il y a davantage de clients qui l’attendent.
Plus de clients, c’est plus de temps pour les faire monter, ce qui ajoute au retard et surcharge l’autobus.
Ce premier autobus sera rattrapé par celui qui suit, puis par d’autres derrière.
Le dernier au bout de la queue sera peut-être vide, car les autobus qui précèdent auront cueilli déjà tous les passagers aux arrêts, mais il ne pourra pas aller plus vite, car il est coincé derrière les autres.
Les autobus se retrouvent ainsi immobilisés ou ralentis, les uns derrière les autres. C’est pire sur la colline Parlementaire, mais on le constate aussi ailleurs sur le tronçon commun des Métrobus 800 et 801.
3. Ce phénomène de «train-bus» ou de «train-trou» se produit plusieurs fois par heure en période de pointe, rapporte le Réseau de transport de la Capitale (RTC)
Cela s’est amplifié depuis que la fréquence des Métrobus est passée de 4 à 3 minutes.
Insérer des autobus supplémentaires dans un tel contexte ajouterait de la pression.
Cela ferait aussi «exploser» les coûts de fonctionnement (il faudrait plus de chauffeurs et plus de bus), sans bénéfice de confort, réduction du temps d’attente et du temps de parcours pour les utilisateurs.
4. Pendant les années qui ont suivi l’implantation des premiers Métrobus en 1992, il était encore possible d’ajouter des véhicules et d’augmenter les fréquences
Ces nouveaux autobus ont cependant vite été remplis à leur tour. «On ne suffit pas à la demande avec les Métrobus», constate en 1998 Claude Larose, le président de la STCUQ (ancien nom du RTC).
Il demande au gouvernement de devancer l’achat d’autobus articulés. Cela prendra finalement 10 ans.
5. L’entrée en scène des Métrobus en 2008-2009 combinée à une hausse de fréquence (aux 3 minutes au lieu de 4) a permis d’améliorer légèrement la vitesse moyenne dans le corridor 800-801 (+ 0,4 km/h)
Un gain (très) modeste qui suggère que les corridors réservés ont atteint leur limite et que l’ajout d’autobus ou de fréquence ne change plus grand-chose.
Petite embellie aussi lors de l’ajout d’une «préemption» pour les autobus aux feux de circulation (2017-2018).
Sauf que ces bénéfices diminuent avec le temps, dit constater le RTC, principalement en raison de l’augmentation de la congestion.
Sa conclusion : il n’est plus possible d’ajouter des autobus ou autres mesures pour améliorer les temps de parcours et la fiabilité.
6. En quoi un tramway ferait-il mieux?
En transportant plus de passagers dans chaque véhicule. (capacité de 3200 passagers à l’heure).
En réduisant le temps de montée et de descente des passagers qui compte actuellement pour 20 % à 26 % du temps de parcours total. Avec ses portes de type «métro», un tramway peut réduire ces temps d’arrêt.
En espaçant les arrêts pour gagner en vitesse. Cela signifie plus de passagers à faire monter à chaque arrêt. Pas besoin d’un tramway pour cela, direz-vous. À la différence qu’on monte plus vite dans un tramway aux larges portes que dans un autobus.
En faisant rouler le transport commun sur une voie exclusive, à l’abri du trafic, des aléas des chantiers routiers et des arrêts aux feux de circulation.
C’est ce que propose le tramway avec la plateforme «sécurisée» dont le sous-sol aura été vidé de toutes les infrastructures municipales susceptibles de se briser. Et avec pleine priorité aux feux, sauf pour les véhicules d’urgence.
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REVUE DES ARGUMENTS
Les arguments qui militent aujourd’hui pour un tramway à Québec sont les mêmes que ceux qui avaient allumé l’idée il y a plus de 20 ans.
Ce qui a changé, c’est l’ampleur de la congestion routière, l’urgence de s’attaquer aux changements climatiques et l’appétit pour la qualité de vie en ville. Trois réalités qui ajoutent à la pertinence d’un tramway. Télétravail ou pas.
Revue des principaux arguments à l’appui du tramway.
Les arguments de mobilité
1. Capter le nouveau trafic
Québec s’attend à 57 000 nouveaux résidents et 100 000 déplacements supplémentaires par jour d’ici 15-20 ans.
Si la Ville ne fait rien, les conditions de circulation vont se dégrader pour tout le monde, y compris pour les automobilistes.
L’objectif du tramway est de «capter» la moitié des nouveaux déplacements et d’éliminer 9500 autos par heure de pointe.
2. Échapper au trafic
Il faudrait 11 nouvelles voies de circulation pour «gérer» le nouveau trafic anticipé, ce qui est physiquement impossible en ville.
De toute façon, ajouter des routes ne permet pas de soulager la congestion, ont bien expliqué les auteurs de la Loi fondamentale de la congestion.1
Ajouter du transport en commun non plus d’ailleurs. L’espace libéré par les gens qui délaissent l’auto pour le transport en commun est vite utilisé par d’autres automobilistes.
Un tramway ne fera donc pas disparaître la congestion. Il peut cependant permettre d’y échapper.
3. Les corridors d’autobus saturés
Il est impossible d’espérer une meilleure mobilité et un meilleur service de transport en commun confortable en ajoutant simplement des d’autobus (voir texte précédent).
4. Aussi pour la périphérie
Un tramway ne servira pas seulement les citoyens des quartiers où il passe, mais aussi ceux de la périphérie.
Comment? Par les nouvelles voies réservées d’autobus express sur les autoroutes et par le nouveau service d’autobus à demande Flexibus du RTC.
Il sera possible de commander un transport qui vient vous chercher et vous dépose au terminus des express qui mènent ensuite au tramway ou directement à destination.
Cette «concurrence» à l’auto n’est pas possible actuellement, mais le deviendra.
Les arguments économiques
1. L’argent «neuf»
Un tramway signifie une injection de plusieurs milliards de $ d’argent «neuf» dans l’économie locale. On parle en outre de 19 000 emplois directs et indirects pendant la construction.
2. Toucher sa juste part
Si Québec ne reçoit pas sa part des budgets gouvernementaux dédiés au transport en commun, l’argent de ces programmes sera investi dans d’autres villes.
3. Améliorer l’attractivité de Québec
Un tramway peut contribuer à rendre la ville plus attrayante pour des travailleurs, des immigrants et des investisseurs privés pour qui un transport en commun performant est une condition pour venir à Québec.
Une partie de la main-d’œuvre dont Québec a besoin viendra de gens peu formés et qui, le plus souvent, n’auront pas de voiture. Du moins pas à leur arrivée.
4. Les bénéfices individuels
Un tramway peut être un incitatif à abandonner la deuxième (ou la première) voiture. Une économie possible de 9500 $ en moyenne par année selon le CAA (avant l’explosion des coûts de l’essence). Sans parler des économies de stationnement en ville.
Un gain de productivité est aussi possible en travaillant dans le tram, ce qui est plus difficile en auto ou dans un autobus bondé.
5. La plus-value foncière
Un tramway donnera une valeur supplémentaire aux immeubles du corridor qu’il va desservir, ce qui représente des revenus de taxes additionnels pour la Ville.
La Ville rapporte que des projets totalisant plus de 1,5 milliard $ s’annoncent déjà dans le corridor du tramway. Je ne conteste pas, mais je suis ici plus sceptique.
Le tramway ne crée pas de besoins d’espaces nouveaux, sauf les siens. Les projets d’immeubles qui vont se construire près du tramway auraient été construits ailleurs en ville où ils auraient aussi rapporté des taxes.
6. Refiler des factures aux gouvernements
Des infrastructures souterraines que la Ville aurait dû refaire de toute façon (ex. : boulevard Laurier) seront payées par les gouvernements à même le budget du tramway.
7. Réduire la facture de la congestion
Nombre d’études ont montré qu’il y a un coût économique à la congestion à cause des retards qui en résultent. À Québec on parle de 85 heures perdues par habitant.2
Un tramway peut aider à limiter la hausse de congestion, mais ne pourra pas l’éliminer. Cela limite le poids de l’argument.
Les arguments d’aménagement du territoire
1. Refaire des rues, de façade à façade
Le tramway est l’occasion d’embellir la ville en refaisant des artères de façade à façade sur 19 km. Trottoirs, pistes cyclables, plantations, mobilier, nouveaux espaces publics, façades privées rénovées, etc.
2. Densifier et orienter le développement
Le pouvoir attractif du tramway permettra de densifier le corridor où il passe et de créer un nouveau quartier à son extrémité ouest (secteur IKEA). C’est préférable à des projets immobiliers excentriques où l’auto est la seule option de mobilité.
3. Le revers de la médaille
Paradoxalement, ce qui est un des arguments forts du tramway, l’aménagement, est aussi celui qui suscite le plus de critiques.
Il faudra couper des arbres et des portions de boisés, modifier des habitudes de circulation, exproprier des bouts de terrains, empiéter sur des milieux humides, etc.
Les arguments d’environnement
1. Réduire les gaz effets de serre
Le pari du tramway est d’attirer des automobilistes, ce qui va réduire les émissions de gaz à effet de serre.
L’étude d’impact parle de 151 000 tonnes de CO2 en moins d’ici 2041, même en tenant compte des émissions additionnelles causées par la construction.
2. Le leurre des autos électriques
Le passage aux voitures électriques va neutraliser l’avantage environnemental d’un tramway, pourrait-on croire. Faux.
Produire des voitures électriques prend plus d’énergie et dégage plus de gaz à effet de serre que le transport en commun, plaide le directeur général du Conseil régional de l’environnement Capitale-Nationale, Alexandre Turgeon.
Sans parler de l’électricité pour les faire rouler ensuite, électricité qui risque un jour d’être insuffisante pour répondre à la nouvelle demande.
3. Lutte à l’étalement urbain
En favorisant la densification autour des infrastructures existantes, le tramway est un outil de lutte à l’étalement urbain et à l’empiétement sur des terres agricoles.
4. Baisse du bruit
Le promoteur estime que le tramway va permettre une réduction du bruit sur 95 % du trajet. Sauf pendant la construction.
5. Maintien de la canopée
Le BAPE du tramway a cité des études qui suggèrent qu’il faudrait replanter 20 jeunes arbres pour compenser les bienfaits de chaque arbre mature abattu. L’administration Marchand s’y est engagée. À terme, le solde deviendra positif.
Les intangibles
Une image de modernité pour la ville. À l’opposé de la caricature qu’en font ceux qui exhibent des images des vieilles voitures d’époque pour prédire ce qui s’en vient.
Une meilleure conformité avec les valeurs des prochaines générations pour lesquelles l’auto n’a pas toujours la même importance que pour les générations qui les précèdent. C’est-à-dire, les nôtres.
Un sentiment de «fierté» et un «élément fédérateur régional».
C’était un des arguments lorsque l’idée du tramway a pris son envol en 1999 au lendemain du colloque international «Vers des collectivités viables» tenu à Québec.
Disons que nous n’y sommes pas encore! Pour l’heure, le projet divise plus qu’il ne rassemble.
Le BAPE a parlé «d’impacts psychosociaux potentiellement exacerbés par la communication déficiente» avec les résidents à proximité du tracé. Il reste à l’évidence du travail. Mais il reste aussi du temps.
Notes
(1) Duranton, G. et Turner, M.A. (2011). The Fundamental Law of Road Congestion: Evidence from US Cities. American Economic Review, 101, 2616-2652.
(2) INRIX 2018 Global Traffic Scoreboard. http://inrix.com/scorecard/
L’article