Mon dernier geste à titre de maire de Québec :
une lettre transmise hier au premier ministre du Québec.
Je ferme les livres et l’appareil ici.
Merci!
Régis Labeaume
Le 11 novembre 2021
Monsieur le Premier Ministre,
J’en suis à mes derniers moments à titre de maire de Québec.
Après 14 années à la tête de la Ville de Québec (ci-après « la Ville »), et comme dernier geste, je souhaite vous faire part de quelques préoccupations et réflexions concernant la mobilité à Québec et dans notre région.
Pendant la campagne électorale municipale qui vient de se terminer, le gouvernement est intervenu publiquement sur un possible dépassement de coût du projet de tramway de Québec. Dans les circonstances, une fois cette élection derrière nous, j’ai senti le besoin de conclure mon mandat en vous faisant le bilan du projet de mon point de vue jusqu’à aujourd’hui.
Je me suis également permis quelques considérations sur le projet de 3e lien.
J’espère sincèrement que mes propos pourront être utiles et que vous croirez en mes intentions constructives avec cette correspondance.
Je porte à votre attention que la plupart des propos qui suivent vous ont déjà été communiqués ainsi qu’à vos collaborateurs ou aux responsables du gouvernement du Québec, à la fois par moi-même, mon entourage, des officiers de la Ville ou des membres du Bureau de projet du réseau structurant de transport en commun.
Le troisième lien : le tunnel Québec-Lévis
Monsieur Legault, vous avez été élu, entre autres, sur l’engagement de construire un nouveau lien de circulation entre Québec et Lévis, et vous êtes pleinement légitimé de vouloir y donner suite.
Cela dit, vous avez sûrement été surpris, au même titre que l’ensemble de la population, des coûts estimés du projet de tunnel Québec-Lévis (ci-après « le tunnel ») qui pourraient atteindre les 10 G$.
Que ce soit comme premier ministre ou comme maire, il nous arrive parfois de ne pas posséder à notre niveau tous les détails des projets qui nous sont soumis. Ainsi, il peut devenir difficile de détecter les éléments qui feraient la différence entre la réussite ou l’échec d’un projet.
Dans tous les cas de figure, c’est toutefois nous qui demeurons imputables, et devons assumer une ou des erreurs que nous ne pouvions distinguer au départ.
Monsieur le Premier Ministre, je serais incapable de comprendre tous les éléments à considérer pour un projet de mobilité urbaine à Montréal, parce que je ne connais pas suffisamment les habitudes de vie et de circulation de la population.
Toutefois, je connais très bien ces habitudes à Québec, et je me sens habilité à porter un jugement sur une décision concernant la mobilité dans ma ville.
C’est pourquoi, je souhaite vous partager certaines questions que j’aurais souhaité poser au Bureau de projet du tunnel Québec-Lévis, si j’en avais eu l’opportunité, afin d’être en mesure de me faire une opinion éclairée relativement à l’avenir de ce projet.
D’abord, des constats démographiques
Afin de m’aiguiller dans ma réflexion, j’ai demandé un portrait démographique et de l’habitation de la Rive-Sud de Québec à la Communauté métropolitaine de Québec (CMQ) que je préside. Les statistiques citées ci-après proviennent donc de la CMQ à la suite de ma demande et produites à partir de données publiques.
À Québec, comme sur la Rive-Sud de Québec, je crois que toute analyse doit d’abord faire la différence entre l’est et l’ouest de ces deux territoires où les réalités sont différentes quant aux habitudes de mobilité. Celles ci peuvent avoir un impact majeur sur l’utilisation d’un nouvel axe de circulation tel que le tunnel.
En ce qui concerne Québec, il est reconnu que l’axe formé de l’autoroute Laurentienne, du boulevard Langelier et de l’avenue De Salaberry, fait cette séparation entre l’est et l’ouest du territoire. Sur la Rive-Sud, le même constat s’applique avec la rivière des Etchemins qui sépare l’est et l’ouest. Cette rivière se jette dans le fleuve en face du quartier Sillery sur l’autre rive.
Le territoire de la Rive-Sud de Québec inclut la ville de Lévis et les MRC de Bellechasse, de Lotbinière et de la Nouvelle-Beauce, d’où proviennent la très grande majorité des personnes qui traversent le fleuve quotidiennement aux heures de pointe.
Ces séparations sont celles utilisées dans les enquêtes origine-destination (O-D) publiées par le ministère des Transports du Québec en 2019.
Rappelons que les entrées et les sorties du 3e lien sont toutes situées du côté est des deux territoires.
Aussi, basées sur ces réalités, la même enquête O-D de 2019 démontre qu’aux heures de pointe du matin et du soir, les trois-quarts des véhicules qui partent de la Rive-Sud proviennent de l’ouest de ce territoire pour se rendre à l’ouest de Québec et inversement pour le retour.
Il est également admis que le développement résidentiel de la Rive-Sud s’effectue majoritairement à l’ouest de ce territoire.
En effet, entre 2011 et 2020, 9671 logements ont été construits du côté ouest de la rivière des Etchemins contre 4974 du côté est. Presque le double du côté ouest.
Par ailleurs, selon l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), de 2017 à 2041, la ville de Lévis et ses trois municipalités régionales de comté (MRC) contiguës connaîtront une croissance démographique de 12 %.
Sur ce même territoire, et pour la même période, la population vieillissante, c’est-à-dire de 65 ans et plus, augmentera de 74 %, passant de 46 000 à 81 000, alors que la proportion de cette cohorte sur l’ensemble de la population passera de 18 % à 28 %, soit de 81 000 sur 283 000.
Du côté est du territoire, la MRC de Bellechasse connaîtra la plus faible croissance démographique. En fait, 11 des 19 municipalités de cette MRC devraient connaître une décroissance de leurs populations, quatre verront leurs populations de 65 ans et plus franchir le seuil de 45 % et plus, et seulement une verra sa population de 65 ans et plus ne pas dépasser les 20 %.
À contrario, c’est la MRC de Lotbinière, à l’ouest, qui connaîtra la plus forte croissance démographique, soit de 21 % pour atteindre près de 40 000 personnes en 2041.
De leur côté, les travailleurs de la MRC de La Nouvelle-Beauce, au sud du territoire, utilisent nécessairement majoritairement l’autoroute Robert-Cliche qui aboutit directement aux ponts de Québec et Pierre-Laporte (ci-après « les deux ponts »).
La population de 65 ans et plus de la Rive-Sud sera presque totalement constituée de retraités qui se déplaceront naturellement en dehors des périodes de pointe.
La pratique veut par ailleurs que la personne qui doit se déplacer entre deux points va opter pour l’itinéraire qui présente le temps de déplacement le plus court. L’attrait d’un nouveau lien routier à l’est de la région est donc tributaire du gain de temps potentiel pour chacun.
Des questions sans réponses
Suivant ces constats, j’aurais apprécié que le Bureau de projet du tunnel Québec-Lévis explique :
Pourquoi les 3/4 des automobilistes provenant de l’ouest de la Rive-Sud et se rendant à l’ouest de Québec rouleraient des kilomètres supplémentaires vers l’est afin d’utiliser un tunnel pour se retrouver sur des axes routiers qui sont déjà en congestion du côté est de Québec et retourneraient à l’ouest de la ville pour leur destination finale? Comment ces automobilistes pourraient-ils gagner du temps avec ce type de parcours?
Quels seront les impacts du tunnel sur le réseau routier du côté est de la Rive-Nord qui est déjà saturé?
En admettant que la construction d’un tunnel à l’est de la région entraîne une légère diminution des débits de circulation sur les deux ponts aux périodes de pointe, quel est le gain de temps que pourront observer les automobilistes qui vont continuer à utiliser ces deux ponts à l’ouest?
Combien de camions emprunteraient le tunnel aux heures de pointe?
Combien de camions verraient leur temps de parcours diminué en fonction de leurs destinations?
Combien de camions seraient susceptibles d’utiliser le tunnel en fonction des règles sur le transport des produits dangereux?
Pour l’ensemble des camions qui circulent quotidiennement dans la région, quel pourcentage de ceux-ci tireraient un avantage dans l’utilisation du tunnel?
Quelles seraient les garanties légales supplémentaires qui empêcheraient un phénomène d’étalement urbain du côté est de la Rive-Sud?
Quant à la sécurité, quelle est l’incidence statistique pour que les deux ponts soient bloqués au même moment sur une longue période? Est-ce que cela s’est déjà produit depuis l’ouverture du pont Pierre-Laporte il y a 50 ans?
Comment, scientifiquement et en pratique, un tunnel fera-t-il une différence sur le développement économique de l’est du Québec?
Les réponses à l’ensemble de ces questions devraient aller plus loin que l’opinion et reposer sur des analyses scientifiques.
Des solutions de rechange à notre portée et à moindres coûts
Par ailleurs, si vous décidiez de changer d’idée, et vous en auriez parfaitement le droit Monsieur le Premier Ministre, sachez que des solutions de rechange à la construction d’un tunnel existent pour soulager la congestion routière provenant de la Rive-Sud :
L’ajout d’une nouvelle voie de circulation sur le pont Pierre-Laporte, dans le sens du trafic le matin et le soir, comme cela se fait sur le Golden Gate Bridge à San Francisco ou sur le pont Louis-Bisson à Laval, augmenterait du tiers la capacité de circuler sur ce pont.
Des interventions en amont et en aval des ponts, en modifiant les voies d’entrées et de sorties, ou les voies qui y mènent augmenteraient la fluidité.
L’implantation d’un projet majeur de transport collectif sur la Rive-Sud de Québec permettrait à plusieurs familles de laisser tomber leur deuxième voiture et d’ainsi économiser entre 8 000 $ et 10 000 $ après impôts annuellement, tout en libérant d’autant le trafic sur les ponts.
Conjointement, ces solutions corrigeraient la situation de la congestion routière pour longtemps, me semble-t-il, et ce, pour seulement une partie des 10 milliards de dollars d’investissements prévus pour le tunnel.
À cet égard, nous savons aussi que, dans tous les projets de la Ville, et c’est le cas partout ailleurs, une fois sortis de terre, ceux-ci voient leurs risques de dépassements de coûts amoindris de beaucoup. Creuser un tunnel de plusieurs kilomètres conserverait les travaux sous terre pour l’essentiel de la durée des travaux.
Finalement, j’ajouterais qu’en termes de développement durable, un changement d’orientation par rapport au projet de tunnel Québec-Lévis donnerait de l’espoir à la jeunesse du Québec et se positionnerait en harmonie avec leurs convictions. Sur le plan de la cohésion sociale, il n’y aurait que des avantages.
Le projet de tramway de Québec
Comme vous le savez, le premier processus d’octroi de contrats pour la réalisation du projet de tramway comportait deux phases. Une première, l’appel de qualification, permettait à au minimum deux consortiums, et au maximum à trois, de se qualifier pour participer à la phase subséquente soit, l’appel de propositions. Une fois cette étape franchie, le consortium ayant déposé la meilleure proposition serait choisi. Il est important de rappeler que les consortiums qualifiés en première phase devaient inclure un producteur de matériel roulant.
Ainsi, le premier appel de qualification du projet de tramway a été une grande réussite. La Ville disposait d’une quantité de consortiums nécessaires pour passer à l’étape d’un appel de propositions compétitif.
Malheureusement, au bout du compte et suivant différents événements, un seul consortium a finalement répondu à l’appel de propositions. La Ville jugeant que l’absence de compétition serait préjudiciable au projet en termes de coûts et de qualité a alors décidé de reprendre le processus.
La fusion Alstom-Bombardier ne semble pas étrangère au problème qui est survenu. Bien que je souscrive entièrement à la volonté du gouvernement de développer une industrie ferroviaire au Québec et que je considère que la fusion Alstom-Bombardier est prometteuse, surtout avec la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) comme principal actionnaire.
La Ville a toutefois l’obligation d’obtenir, en totale neutralité, la meilleure soumission au meilleur prix. Nous vous l’avons répété lors de notre rencontre du 17 mars dernier.
Dans ces circonstances, pourrait-on penser que cet objectif de développement de la filière ferroviaire au Québec a pu créer de la distorsion dans le premier appel de propositions?
De nouvelles règles du jeu
Tout d’abord, il faut se rappeler qu’après la fin et le résultat du premier appel de qualification et avant le lancement de l’appel de propositions, le gouvernement a exigé de la Ville l’introduction dans ce dernier d’une nouvelle clause de règles d’origine, au sens de l’Accord économique et commercial global (AECG) en ce qui a trait au matériel roulant. En résumé, et à toutes fins utiles, le consortium gagnant devrait construire le matériel roulant avec une majorité de pièces fabriquées au Canada ou en Europe, excluant de facto les États-Unis.
Cette clause allait beaucoup plus loin que ce qui avait été exigé en termes de contenu canadien dans le premier décret qui nous permettait d’aller en appel de qualification au début du processus.
Seulement deux entreprises pouvaient, d’emblée, par leur présence au Canada, se qualifier en vertu de cette nouvelle condition : Bombardier et Alstom. Toute autre entreprise voulant obtenir le contrat de matériel roulant devait bâtir ou posséder une usine de fabrication au Canada ou en Europe, et nécessairement être compétitive malgré la distance potentielle du lieu de fabrication.
La Ville s’est toujours opposée à l’introduction de cette nouvelle clause, tout d’abord parce que nous étions dans un processus public d’approvisionnement déjà en cours, et ensuite parce qu’elle excluait les États-Unis au profit de l’Europe seulement.
Cette nouvelle condition pouvait aussi empêcher la mise en concurrence des soumissionnaires comme le veut la pratique habituelle et placer le projet en situation de candidature unique, ce qui implicitement peut coûter beaucoup plus cher que prévu.
Cette nouvelle clause aurait-elle pu décourager un ou des consortiums à l’étape de l’appel de propositions?
Comment a été perçu, par les entreprises intéressées, le fait que l’on modifie les règles du jeu en cours de processus d’approvisionnement public? Il s’agit assurément d’un fait inhabituel.
D’autre part, l’appel de qualification a été lancé avant la fusion d’Alstom et Bombardier. Or, il est d’usage, dans l’industrie mondiale, que lorsque deux entreprises ferroviaires soumissionnent sur le même projet et qu’une fusion des deux survienne en cours de processus, une cloison juridique étanche s’applique entre les entreprises fusionnées.
Ce procédé reconnu fait en sorte que les deux soumissions doivent être évaluées objectivement et séparément pour respecter le processus déjà entrepris par le demandeur de soumissions, soit au surplus, dans le cas présent, une organisation publique : la Ville de Québec.
Le projet étant payé à même des fonds publics, la Ville et les gouvernements étaient encore plus en droit de s’attendre à la mise en place et au respect de cette procédure. La question qui nous préoccupe ici est : est-ce que cette protection a existé? Sinon, un consortium, incluant toutes les entreprises qui le composent, a-t-il dû se désister à cause de l’absence d’une telle protection?
Finalement, est-ce que l’enthousiasme du Gouvernement du Québec quant au développement de la filière ferroviaire au Québec, ainsi que face à la fusion Alstom-Bombardier, aurait pu décourager un ou des consortiums en cours de route?
Tout cela explique peut-être pourquoi la Ville a dû reprendre le processus menant à l’octroi des contrats, causant ainsi un retard très important au projet et une augmentation considérable de ses coûts.
Rappelons que le nouveau processus de qualification suivi de l’appel de propositions, le deuxième processus en fait, scinde cette fois-ci le matériel roulant du contrat global de construction. L’octroi du contrat de construction se faisant dans un processus séparé d’une part, et celui du matériel roulant d’autre part inclura toujours cette nouvelle clause de règles d’origine.
Les coûts finaux du tramway
L’an dernier, dans deux lettres distinctes datées du 23 juin 2020 et du 6 juillet 2020, je vous écrivais entre autres ceci :
Le 23 juin 2020 :
« […] En effet, en vertu de l’autorisation accordée par le gouvernement en début d’année de lancer un appel de qualification pour ce projet, des consortiums intéressés déposeront leur candidature le 13 juillet prochain. […]
[…] Dans ce contexte, la Ville a besoin d’obtenir immédiatement l’autorisation du gouvernement de lancer un appel de propositions dans la dernière semaine du mois d’août. […] dans la perspective d’une entrée en service graduelle [du tramway] à compter de 2026. […]
[…] Nous souhaitons maintenir l’intérêt du marché pour respecter un échéancier du démarrage des travaux en 2021.
Bref, la perspective d’affaires est simple : plus tôt nous faisons appel au marché, meilleurs seront les prix soumis. À l’inverse, le projet pourrait coûter plus cher. Il n’existe donc aucune raison de retarder l’appel d’offres, bien au contraire. Par surcroît, cette orientation s’inscrit parfaitement dans les objectifs poursuivis par votre gouvernement, soit le développement durable et l’électrification des transports par le développement accéléré de la filière ferroviaire. […]
[…] Quant à l’inflation, et bien que la Banque du Canada craint une diminution persistante de l’inflation, le ministère des Finances du Québec prévoit en 2020 et 2021 une moyenne de 1,1 %. L’estimé du coût de projet incorpore plutôt une inflation annuelle moyenne de 1,5 % sur 6 ans à compter de 2020.
Les taux d’intérêt utilisés dans les projections financières ont été ajustés pour tenir compte des tendances observées après la COVID19. À cet effet, le ministère des Finances relève que « les taux obligataires resteront à des niveaux historiquement faibles au cours des prochaines années », ce qui permet d’envisager des coûts d’emprunt faibles. […] »
Et le 6 juillet 2020 :
« […] Il est important que l’échéancier prévu soit respecté pour assurer le succès du projet.
Les consortiums intéressés auront déposé leur candidature à la mijuillet.
La préparation de ces candidatures résulte d’un travail débuté depuis plusieurs mois et qui consiste à mobiliser un ensemble de fournisseurs pour assurer la réalisation du projet.
La présence potentielle de plusieurs concurrents est un bénéfice pour améliorer la proposition qui sera soumise à la Ville, tant par la qualité que le prix.
Un délai sur le lancement de l’appel de propositions peut constituer un risque important tant sur le plan de la mobilisation des entreprises concernées que sur les sommes nécessaires à investir par les soumissionnaires.
Repousser l’échéancier prévu pourrait même mener au retrait de consortiums et à une situation de soumissionnaire unique. […]
[…] Il est primordial d’aller de l’avant rapidement avec l’appel de propositions à la fin du mois d’août, puisqu’ainsi nous pourrons profiter de la situation économique favorable ce qui facilitera le travail de la Ville pour respecter son engagement financier de livrer un projet d’au maximum 3,3 milliards de dollars. […] »
Un retard qui coûtera cher
Tous les éléments étaient réunis pour profiter de la fenêtre d’opportunité et obtenir le succès envisagé avec le dépôt des offres répondant à l’appel de propositions en 2021. Nous pouvions signer des contrats durant cette période et s’entendre sur une liste de travaux autorisés pour débuter ceux-ci pour la saison de construction 2021 et ne pas perdre de temps.
Au contraire de ce qui était prévu, le pire scénario s’est avéré :
Le gouvernement a imposé, sur le tard, un changement important au tracé du projet;
Le décret du gouvernement pour permettre le départ du premier appel de propositions a été voté des mois plus tard que le calendrier prévu;
Le gouvernement a changé les règles du jeu en cours du processus d’approvisionnement;
Un seul soumissionnaire a présenté une offre;
Tout le processus d’appel de qualification et de propositions a dû être repris et scindé.
Les conséquences de cela?
Dans l’état actuel des choses, les contrats finaux avec les fournisseurs seront signés avec un retard de 18 à 24 mois. Entretemps, d’ici à 24 mois, une multitude de nouveaux projets en Amérique du Nord arriveront sur le marché.
Nous avons perdu la fenêtre favorable du marché et les coûts sont actuellement à la hausse de façon importante. D’ailleurs tous les projets d’infrastructures publiques subissent et subiront les mêmes hausses de coûts.
Le marché est actuellement débridé pour plusieurs raisons : chaînes d’approvisionnement brisées, hausse de l’inflation, rareté de maind’œuvre encore plus importante qu’anticipée, etc. Aussi, la scission des appels de qualification et de propositions induira des coûts et des délais supplémentaires.
Au surplus, il y a de fortes probabilités qu’un seul fabricant de matériel roulant soumissionne dans les conditions actuelles considérant les nouvelles conditions exigées par le gouvernement.
Nous savions tous lors de l’émission du décret gouvernemental, en avril 2021, donnant le feu vert au nouvel appel de qualification scindé, que ces coûts additionnels appréhendés, sans oublier le retard qui en découlerait, n’étaient pas inclus.
La Ville avait compris du gouvernement qu’il n’y avait pas d’espace politique pour, au minimum, mettre à jour les coûts pour couvrir l’évidence qu’était l’année ou presque déjà perdue. À part quelques ajustements concernant les utilités publiques, il fallait « coller » aux coûts déjà prévus. Il y aura fatalement un prix important à payer pour tout ça.
On entend que la hausse des coûts associés aux grands projets de la Société de transport de Montréal, incluant le prolongement de la ligne bleue, serait importante. Notre projet évolue dans le même marché.
Et permettez-moi de vous titiller amicalement en vous rappelant que le 25 janvier 2018, monsieur Éric Caire déclarait qu’il estimait le coût de construction du troisième lien à 2 milliards de dollars, que le scénario catastrophe avait été établi à 4 milliards de dollars et qu’aucun prix plafond ne serait fixé au projet. C’est dire…
Monsieur le Premier Ministre, bien que nous ne connaîtrons les coûts soumis qu’à l’ouverture des enveloppes, le gouvernement a fait des choix que la Ville a dû exécuter. Mais en même temps, ces choix ont imposé un retard important au projet et une probabilité de candidat unique pour le matériel roulant qui auront des conséquences financières très importantes.
En somme, aucun des retards qui provoqueront des augmentations de coûts ne sera attribuable à la Ville, bien au contraire.
Dans ces circonstances, je crois que la population de Québec est en droit de s’attendre à ce que le gouvernement assume ces conséquences en toute équité, et le confirme à la nouvelle administration de la Ville.
Cela exprimé, j’ai toujours compris de votre entourage, lorsque que je leur communiquais mes multiples inquiétudes quant aux conséquences des retards, que la volonté du gouvernement était de payer pour ces coûts supplémentaires appréhendés.
Deux poids, deux mesures
Le projet de Québec est le seul projet de mobilité au Québec à qui on impose une enveloppe fermée. Pour réussir et pour faire face au nouvel état du marché le temps venu, le projet de Québec aura absolument besoin de plus de flexibilité à cet égard.
Également, il n’a jamais été demandé à la Ville de Montréal de payer 33 % des dépassements de coûts dans ses projets de transport, ce qu’on demande à Québec. La Ville a accepté cette mesure à son corps défendant puisqu’aucune autre issue n’était possible pour permettre le démarrage du projet.
Je considère cette situation tout à fait inéquitable et je souhaite sincèrement que cette clause de couverture de 33 % des dépassements de coûts par la Ville soit supprimée des ententes avec le Gouvernement.
Et évidemment je n’ose pas croire, et j’exclus totalement de mes pensées, l’hypothèse que le projet soit de nouveau charcuté pour rabaisser les coûts. Cela ne se peut plus!
Il faut aller de l’avant et assumer les nouvelles conditions du marché. La population de Québec le mérite autant que celle de Montréal.
Finalement, en plus de ce qu’ont proposé la Ville et le Réseau de transport de la Capitale (RTC) avec le projet de Couronne périphérique, le gouvernement planifie la construction de 100 kilomètres de voies réservées et/ou dédiées additionnelles dans son plan régional de transport au coût de 700 M$.
La planification du transport collectif est une science en soi. L’expert dans ce domaine sur le territoire de la ville de Québec est très certainement le RTC qui est reconnu dans l’industrie pour sa compétence. L’implication de leurs experts devrait être un incontournable dans ce projet. Et il y aurait ainsi de fortes chances d’obtenir de meilleurs résultats à moindres coûts.
En effet, la mobilité dépend d’une logique de cohérence où une multitude de facteurs entrent en ligne de compte pour garantir la pertinence et un bon retour sur investissements.
Alors voilà ce que j’avais à vous soumettre comme préoccupations et comme réflexions dans ces heures précédant l’assermentation du nouveau maire.
Je termine en saluant la force de votre attitude pendant cette pandémie. La pression était énorme et vous avez réussi à sécuriser nos concitoyens et concitoyennes pendant tous ces mois pénibles.
Bravo pour ça, François Legault, et bonne continuation!
Et comme le dit à peu près la chanson : d’un « citoyen ben ordinaire »… dans quelques heures!
Veuillez agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de mes meilleurs sentiments.
Le maire de Québec,
Régis Labeaume
En commentaire , le tableau de référence de la Communauté métropolitaine de Québec
Voici les références pour les chiffres