François Bourque
Le Soleil
Le projet de tunnel Québec-Lévis va à contresens de la tendance au démantèlement et à la transformation d’autoroutes urbaines bâties dans des années 50 à 70.
Le New York Times faisait état il y a quelques jours d’une trentaine de projets concrets dans autant de villes américaines.
Le gouvernement Biden vient de donner un nouvel élan au mouvement avec un plan de 20 milliards $US pour reconnecter des quartiers divisés par des autoroutes urbaines.
La direction est donnée. Un peu partout, des élus et acteurs locaux se mobilisent dans les grandes villes comme dans de plus petites.
Boston, Detroit, Buffalo, Syracuse, Rochester, La Nouvelle-Orléans, Dallas, Austin, Kansas City, Seattle, Denver, Atlanta, Arlington, Tampa, etc.
Au Canada, les transformations d’autoroutes sont à ce jour financées à la pièce et on ne sent pas d’appétit pour un programme plus ambitieux.
«Il faudrait que le leadership vienne des provinces ou des villes», expose le président du Conseil du trésor et député de Québec, Jean-Yves Duclos.
Le fédéral a cependant cessé de financer la construction de nouvelles autoroutes, rappelle-t-il. C’est déjà ça.
Cela n’empêche pas d’aller en direction contraire.
L’illustration ci-jointe, tirée d’une vidéo promotionnelle, donne une idée de l’ampleur des structures requises pour faire sortir le tunnel Québec-Lévis dans Saint-Roch.
Il s’agit d’une illustration préliminaire. Il est probable que les nouvelles voies ne passeront pas exactement aux endroits indiqués. Mais si le gouvernement insiste pour brancher le tunnel sur l’autoroute Dufferin-Montmorency et permettre un accès direct au boulevard Charest, il faudra de nouvelles connexions.
L’illustration ne montre pas le corps principal du tunnel, qui va émerger sur l’autoroute Laurentienne, près du boulevard Hamel.
Mince consolation pour ceux qui souhaitent moins d’autoroutes en ville, le gouvernement accepte de transformer en boulevard l’extrémité sud de Laurentienne. Reste à souhaiter que l’échéance ne soit pas liée à celle du tunnel (2031. NDLR Dans la version papier j’ai indiqué par erreur 2036).
Les autoroutes urbaines au Canada ne transportent pas le même passé ni la même charge sociale qu’aux États-Unis. Il n’y a donc pas le même symbole à vouloir s’en débarrasser.
Chez nos voisins, ces autoroutes sont souvent encore des barrières physiques entre des quartiers noirs et blancs ou ont encouragé la ségrégation.
Des Blancs ont pris l’autoroute pour aller vivre dans de jolies banlieues. Des minorités qui n’en avaient pas les moyens sont restées à l’ombre d’autoroutes ou ont été chassées pour faire place à de grands projets commerciaux et immobiliers.
Là où les enjeux se rejoignent, c’est sur l’impact urbain et environnemental de ces autoroutes. Et sur l’intérêt parfois à en démanteler : baisse de pollution, hausse de valeur de propriétés, potentiel nouveau de développement, amélioration de la qualité de vie, meilleure connectivité des quartiers, etc.
Cela s’accompagne parfois d’un embourgeoisement du voisinage, mais c’est le cas aussi des nouveaux parcs dans des quartiers défavorisés.
Le mouvement de démantèlement d’autoroutes urbaines remonte à une trentaine d’années. Une autoroute de San Francisco endommagée par le tremblement de terre de 1989 n’a pas été reconstruite.
D’autres villes ont suivi, pour des raisons différentes bien sûr.
Il y a de beaux exemples à Montréal : conversion de l’autoroute Bonaventure en boulevard Robert-Bourassa; démolition de l’échangeur des avenues du Parc et des Pins, etc.
On en trouve aussi à Québec. Le boulevard «autoroutier» René-Lévesque a été remodelé et plus récemment, le boulevard Champlain.
Le démantèlement de bretelles de l’autoroute Dufferin-Montmorency, au milieu des années 2000, procédait de la même logique. Améliorer le paysage et la qualité de vie.
Le maire L’Allier rêvait à l’époque de les remplacer par un parc et un grand escalier vers la haute-ville.
J’ai souvent pensé depuis qu’on aurait dû en profiter pour retirer aussi la bretelle de la rue Fleurie pour dégager un espace encore plus intéressant.
Des étudiants de l’école d’architecture de l’Université Laval avaient même proposé d’exploser complètement l’autoroute aérienne entre la colline Parlementaire et la rivière Saint-Charles.
Ce «geste extrême» aurait transformé (pour le mieux) le paysage de Saint-Roch. Le jury de la charrette (atelier de travail) avait d’ailleurs primé cette idée.
Cela aurait été une catastrophe pour le réseau routier, avait alors commenté le service des transports de la Ville.
La crainte des impacts sur la circulation est toujours ce qui freine les réflexions sur les autoroutes urbaines.
Rochester, NY, avait aussi cette crainte lorsqu’elle a démantelé 1,6 km de son «Inner Loop» pour en faire un boulevard urbain, raconte le New York Times.
La Ville était cependant résolue à un virage majeur : cesser d’essayer d’amener et de sortir rapidement les gens du centre-ville; viser plutôt à rendre le centre-ville plus agréable à vivre et plus attractif.
Il n’y a pas eu d’effet catastrophique sur la circulation à Rochester qui envisage maintenant l’abandon d’un second segment du «loop».
À l’époque des grands chantiers d’infrastructure des années 50, 60 et 70, des villes ont résisté mieux que d’autres à la tentation des autoroutes.
Vancouver et Halifax n’en avaient pas voulu en bordure de l’eau dans leurs centres-ville. Elles s’en félicitent sans doute aujourd’hui.
D’autres cherchent à réparer leurs mauvais choix.
On ne peut pas dire que Québec a été très avant-gardiste ou visionnaire avec ses autoroutes Champlain et Dufferin-Montmorency le long du fleuve. Et avec celle de la colline Parlementaire.
D’autres projets routiers qui auraient balafré davantage le centre-ville ont heureusement été laissés en plan. L’autoroute à flanc de falaise dans le coteau Sainte-Geneviève, par exemple.
Il est toujours plus simple de ne pas construire un projet hasardeux que d’essayer de le déconstruire plus tard, lorsqu’on constate que c’était une erreur.
Dans les années 90, la mairesse Boucher proposait de transformer l’autoroute Duplessis en boulevard urbain. Elle parlait aussi d’enfouir Henri-IV dans un tunnel pour la traversée de Sainte-Foy.
Le ministère des Transports qui tenait (et tient toujours à ses autoroutes) l’avait vite rappelée à la «raison».
À défaut de retirer des autoroutes entières, de petits gestes peuvent parfois contribuer à réduire l’empreinte du modèle autoroutier en milieu urbain.
Québec vient par exemple de gommer la bretelle au coin du chemin des Quatre-Bourgeois et de la route de l’Église. On dit bravo. Cela va dans la bonne direction.
L’usure du temps est souvent un élément déclencheur pour réfléchir à l’avenir des autoroutes. À cause des coûts énormes de reconstruction et parce que l’occasion se présente d’imaginer autre chose.
À l’approche de la date d’expiration des grands ouvrages autoroutiers de l’époque, je ne sens pas chez nous que cela soulève beaucoup d’intérêt.
On reconstruit échangeurs, autoroutes et ponts d’étagement à coup de centaines de millions de dollars à la fois. Sans débat public, comme si tout allait de soi et était essentiel à la vie de la ville.
Tout le monde ne peut pas s’improviser expert de la gestion du réseau routier. Mais il serait intéressant de se demander parfois s’il y a d’autres hypothèses possibles. Même si c’était pour en conclure qu’il est nécessaire de reconstruire.
Québec n’est pas la seule à remplacer des ouvrages de béton et d’asphalte. Elle en profite parfois pour leur donner plus d’ampleur et ajouter des voies.
Reconstruire des bretelles d’autoroutes en plein centre-ville défie cependant l’entendement. Cela va à contresens de toutes les valeurs d’urbanisme et de qualité de vie en ville.
Ce modèle d’une autre époque ne tient plus la route. Que l’on soit convaincu ou pas de la nécessité d’un tunnel Québec-Lévis.
L’impact urbain n’est jamais mesuré dans les sondages sur le troisième lien.
On y évoque parfois les coûts, l’utilité pour la sécurité, on mesure les préférences de localisation, etc. Mais pas les conséquences urbaines.
En juin 2018, peu avant l’élection de la CAQ, un sondage Léger (1600 répondants) donnait au troisième lien un appui de 90 % à Lévis et de 76 % à Québec.
Un nouveau Léger (1000 répondants) publié il y a quelques jours (Journal de Québec) ne lui donnait plus qu’une légère majorité (46 % pour, 43 % contre) dans la RMR Québec.
Moins que le Mainstreet-Capitale-Nationale (1521 répondants) commandé par la Coalition avenir Québec : 60 % pour et 40 % contre.
Je serais curieux de voir la réponse si la question était la suivante : Pour ou contre un troisième lien de 10 milliards dont l’utilité n’est pas démontrée et qui serait construit sur un modèle urbain passé date?
L’article