François Bourque
Le Soleil
Le gouvernement Legault a écarté en décembre dernier une proposition de trajet de tramway remanié émanant de la Ville de Québec.
Un document écrit a ainsi circulé au ministère des Transports. Les changements proposés ont cependant été jugés insuffisants pour assurer la meilleure desserte des banlieues que dit rechercher le gouvernement.
Qu’à cela ne tienne, cette proposition contredit les propos du premier ministre Legault lorsqu’il soutient que la Ville de Québec n’a montré aucune ouverture au changement.
Le ministre des Transports, François Bonnardel, qui a mené les discussions avec la Ville, n’a pour sa part jamais déposé de contre-proposition.
En fait, le gouvernement n’a même jamais précisé quelles banlieues il souhaitait mieux servir, estimant qu’il appartenait à la ville de lui revenir avec d’autres propositions.
Encore aurait-il fallu lui indiquer dans quelle direction il souhaitait aller.
Las d’attendre, le gouvernement Legault vient de tasser le Bureau de projet de la Ville en annonçant qu’il va s’atteler à dessiner son propre projet de tramway et de desserte des banlieues.
Il prévoit présenter un projet dans quelques semaines, ce qui paraît très rapide (pour ne pas dire invraisemblable) pour un enjeu de cette envergure.
De deux choses l’une. Ou bien il s’agira d’un projet précipité dessiné sur une «napkin», pour reprendre une expression connue.
Ou bien le projet s’inspirera de travaux et scénarios antérieurs qui avaient été mis de côté et qu’on aura réactivés.
«On ne partira pas d’une page blanche», assure une source au gouvernement. On l’espère, car autrement la démarche n’aurait aucun sens.
Au mieux, le gouvernent va dépouiller une banlieue pour mieux en servir une autre.
Je fais le pari que dans le futur projet, on retrouvera une meilleure desserte de D’Estimauville et un renforcement des corridors de transport en commun vers le nord.
Quelque chose de très visible qui pourrait faire image pour les citoyens du nord. Et pour leurs députés de la CAQ, réfractaires au projet Labeaume.
Comment y arriver? Ça reste à voir.
En s’installant sur les planches à dessin, le gouvernement va vite s’apercevoir qu’il ne pourra faire mieux que la ville sans augmenter le budget initial (3,3 milliards $). Ou sans prévoir une deuxième phase au projet.
Le premier ministre François Legault vient d’ailleurs d’entrouvrir la porte pour la première fois à une révision du budget.
«Idéalement, on voudrait respecter l’enveloppe budgétaire, mais il y a des évaluations qui sont faites actuellement», dit-il.
Cette ouverture n’est pas insignifiante. C’est même une excellente nouvelle pour Québec, même si elle s’accompagne d’un coup de force contre la ville.
Le cul-de-sac dans lequel s’est retrouvé le tramway venait de l’entêtement du gouvernement à forcer un meilleur service en banlieue sans toucher au budget.
Si le gouvernement accepte d’en sortir, les citoyens de Québec vont tous y gagner, ceux du centre comme ceux des banlieues.
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Le risque que le gouvernement Legault fait courir au projet en prenant le contrôle est de provoquer de nouveaux délais.
Faudra-t-il retourner devant le BAPE?
Que se passera-t-il si le feu vert n’est pas donné avant les élections municipales de l’automne et que les partisans du tramway sont battus?
Les trois consortiums formés d’entreprises locales et étrangères qui ont montré de l’intérêt pour le projet de Québec seront-ils toujours au rendez-vous si la Ville tarde trop à lancer des appels d’offres?
Moins de concurrents dans la course n’est pas le meilleur scénario pour les appels d’offres publics.
Chaque année de retard risque aussi d’entraîner une hausse de coûts de 100 millions $, a prévenu cette semaine le Vérificateur Général de la ville. Dans l’hypothèse d’un budget plafonné, cela impliquerait de nouvelles coupures dans les composantes du projet.
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Le premier ministre Legault joue avec les mots (pour ne pas dire avec la vérité) lorsqu’il affirme que «ce qui nous empêche actuellement de présenter le tunnel Québec-Lévis, c’est la finalisation du trajet du tramway et du réseau structurant à Québec».
On ne sait peut-être pas encore vers quelles banlieues le tramway final va pencher. Mais ce qu’on sait, c’est que ce tramway va passer sur la colline Parlementaire et dans St-Roch. Comment pourrait-il en être autrement?
Il est acquis que c’est dans ce secteur du centre-ville que va se faire l’arrimage avec un éventuel tunnel Québec-Lévis. Deux ou trois stations communes ont déjà été identifiées : D’Youville, Jardin Jean-Paul-L’Allier et pôle St-Roch.
Que le tramway se prolonge ensuite vers une direction ou l’autre n’y changera rien. Il n’y a donc aucune logique technique à retarder le tunnel pour attendre le tramway. Ou à retarder le tramway pour attendre le tunnel.
Les seules explications possibles sont politiques.
1- Le gouvernement se verrait mal annoncer le tunnel avant d’avoir attaché le projet de tramway, qui était beaucoup plus avancé.
2- Il se verrait mal confirmer le tramway avant de lancer le tunnel qu’il a promis à ses partisans. Le tunnel n’étant pas prêt, il retarde à approuver le tramway.
3- L’autre hypothèse, plus machiavélique, est que le gouvernement s’est aperçu qu’annoncer un tunnel Québec-Lévis serait indécent dans le contexte économique de l’après-pandémie.
Plutôt que de le dire et de décevoir ses partisans, il se sert du tramway comme bouc émissaire. Au risque de couler le tramway avec le tunnel.
J’ai du mal à imaginer que ce puisse être le cas, mais cette hypothèse circule.
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Les partis oppositions à l’Assemblée nationale ont déchiré leur chemise en apprenant que le gouvernement va dessiner lui-même un projet de transport pour Québec. Ils y ont vu une intrusion dans un champ de compétence municipal.
C’est en effet contraire à l’esprit de la loi 122 votée sous les libéraux qui reconnaissait les villes comme des gouvernements de proximité.
Vu sous cet angle, c’est peut-être un peu agaçant, mais je ne partage pas l’indignation des partis d’opposition.
Si le gouvernement arrivait à un meilleur projet que la ville avec le même argent public, on ne pourrait que s’en réjouir.
Le vrai problème, c’est qu’il a enfermé la Ville dans un budget tout en lui imposant d’accroître les services.
Et que maintenant qu’il prend le contrôle du projet, il devient tout à coup disposé à envisager une augmentation du budget. Comme il accepte de le faire à Montréal.
Je le réitère : la meilleure issue possible au bras de fer qui oppose le gouvernement Legault et l’administration Labeaume, c’est de hausser le budget pour améliorer la desserte des banlieues.
Ou d’annoncer dès maintenant une deuxième phase pour aller vers des quartiers où ça n’a pas été possible avec le tronçon initial.
Tout le monde y sauverait la face, ses principes et ses engagements électoraux.
Le gouvernement Trudeau vient d’annoncer 15 milliards$ de plus en huit ans pour des projets municipaux de transport en commun. C’est le moment d’aller cogner à la porte avant que l’enveloppe soit vide.
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En martelant que le projet Labeaume ne dessert pas convenablement les banlieues, le gouvernement de la CAQ a contribué à miner l’adhésion au tramway.
L’appui tourne quand même autour de 56% (après répartition des indécis) selon un sondage Léger-Journal de Québec publié cette semaine. Le résultat est honorable, mais fragile.
L’appui pourrait sans doute grimper le jour où le gouvernement de la CAQ serait moins divisé et montrerait un peu d’enthousiasme.
Si le coup de force de cette semaine permet à la CAQ de trouver cet allant et de susciter l’adhésion, on oubliera vite les querelles politiques et petites guerres de pouvoir.
La chronique