Québec – Parfois, on a l’impression qu’il a tout le monde contre lui, l’Écolobus, touchant petit véhicule tout électrique, en fonction depuis la mi-juin à Québec. À commencer par les chauffeurs de taxis, ces sympathiques maîtres râleurs, qui le trouvent trop… gratuit. Il y a aussi les amoureux des moteurs virils qui font vroum vroum. Narquois, ils s’amusent de ses ratés. Et ce journaliste ex-«lockouté» de Beauport, le collègue et ami Michel Hébert, star du défunt MédiaMatin Québec, de retour prochainement au Journal de Québec. Michel trouve que ça ne sert à rien, «un Écolobus dans le Disneyland-à -t-shirts du Vieux-Québec quand, à trois ou quatre kilomètres de là , la même ville, les mêmes gestionnaires du territoire, les mêmes forts en thème désorganisent la circulation et provoquent des embouteillages!», a-t-il écrit, pamphlétaire, sur son blogue (hbertenfeu.blogspot.com).
«Et pourtant», chanterait Aznavour. Il est tellement sympathique, l’Écolobus. Et d’ailleurs, il remporte un vif succès. «Tout le monde veut ‘la’ prendre!» (un autobus, c’est féminin dans la Vieille Capitale) lançait jeudi son incroyable chauffeur Jocelyn Gauvin. L’Écolobus est court, on pourrait dire trapu; 23 personnes au maximum peuvent y pénétrer. «Quel surnom on peut lui donner?, demande Jocelyn Gauvin. Je les collectionne. Parfois je l’appelle la papemobile», dit-il en rigolant affectueusement.
Lent, l’Écolobus ne dépasse pas les 33 kilomètres-heure. À cette vitesse, les mouches ne s’écrasent pas sur le pare-brise, mais nous doublent sans doute. Dans le Vieux-Québec, il faut le dire, il y a pire tortue: les calèches, que l’Écolobus contourne allègrement. Et pourquoi irait-on plus vite dans ces vieilles pierres, surtout à cette époque d’insécurité routière?
Les fluctuations du prix de l’essence? L’Écolobus s’en fout. Il consomme un gros 3,25 $ d’électricité par jour, accumulés pendant huit heures, nuitamment. Tout ce qu’il émet? Un bzzzzzzz futuriste. Aucun gaz à effet de serre, évidemment. À lui seul, il donne un avant-goût de ce que seraient les villes si, un jour, les maudits moteurs à explosion étaient mis en minorité. Que des bzzzzzzz discrets. Plus de tuyau d’échappement et de métaux lourds dans notre sang. Bon, à l’intérieur, c’est un peu bruyant quand se déclenche le ventilateur servant à refroidir le moteur (il démarre quand le celui-ci atteint les 62 degrés). «Il y aurait un petit travail d’isolation acoustique à faire», faisait d’ailleurs remarquer Yvan Dutil, candidat Vert dans Jean-Talon, sur le site de QuébecUrbain.qc.ca.
«Elle» est belle!
N’empêche, Jocelyn Gauvin, chauffeur au Réseau de transport de la Capitale (RTC) depuis «25 ans minimum», semble s’être carrément épris de ce véhicule de marque italienne, tant il s’anime lorsqu’il en parle. « »Elle » est belle! Regarde comme ‘elle’ a un beau klaxon!» Et le voilà qui multiplie les «pouet, pouet» en envoyant la main aux passants sous la pluie de cet été 2008. «On dirait le klaxon de Choupette», en référence à la célèbre Coccinelle Volkswagen des films de Disney.
Quand les gens lui demandent s’ils risquent de tomber en panne, M. Gauvin sort son carton de piles alcalines AA et répond à la blague «J’ai ma batterie de rechange!» Il est vrai que lorsque le moteur atteint une température donnée, 65 degrés, «tout arrête». C’est même survenu à quelques reprises depuis le début de l’été, dans les côtes abruptes du Vieux-Québec, alors que plus de 23 personnes s’étaient entassées dans le petit bus. La solution: faire descendre quelques volontaires et laisser refroidir le moteur. Et on redémarre! «C’est pas compliqué, quand ça risque d’arriver, je fais descendre les femmes et je les reprends en haut, ha ha ha», s’amuse Jocelyn Gauvin. «On est victimes de notre succès, dit-il plus sérieusement, je dois refuser du monde tout le temps.» Dans le petit bus pas comme les autres se sont entassés jeudi des touristes français en imperméable, un lecteur de L’Archipel du goulag plutôt revêche, des visiteurs du 400e cherchant le Musée des Beaux-Arts et une bénévole du Musée de la civilisation. On en vient souvent à fraterniser. «D’où venez-vous? – De Magog. Et vous? – D’Ontario.» Ça suscite la bonne humeur du chauffeur, qui avoue parfois faire des petits détours pour satisfaire ses clients. «C’est le bus du bonheur!», s’écrie Louise Bilodeau, photographe et amie qui m’accompagne.
Jocelyn Gauvin adore qu’on le questionne sur son «électrolux» ou «électrobus», autres surnoms. Il dit qu’il «commence à « la » connaître» et qu’il a même mis fin à «une panne l’autre jour». «Regarde, tout est contrôlé par ordinateur. Soixante-deux dégrés : la « fan » va partir, regarde ben!» En descendant la Côte du Palais, il met le pied sur le frein: «Ça, ça recharge la pile. C’est bien fait pareil, non?» À la fin de la journée, celle-ci – conçue en Suisse – a souvent 50 % de sa charge. Jocelyn Gauvin remarque que ses clients sont «très conscientisés». Et se prend à rêver: «Avec des bus de même, à l’électricité, on va finir par les avoir, les pétrolières!», clame-t-il en montant la Côte Dinan à 18, puis 20 kilomètres-heure.
En attendant ce grand soir, il reste quelques mises au point à effectuer. Le RTC a acquis huit de ces autobus dans le cadre d’un projet pilote lié au 400e (tout est lié au 400e à Québec cet été…). Budget: 12 millions, fournis et administrés par les gouvernements municipal, québécois et fédéral, avec les conseils du Centre d’expérimentation des véhicules électriques du Québec (CEVEQ), la mecque du genre au Québec, sise à Saint-Jérôme. Depuis un mois, des pièces brisées et manquantes liées au groupe électrique sont en commande. Pour l’instant, quelques-uns des Écolobus font donc le circuit, des ruines du Manège militaire jusqu’au Vieux-Port. Si bien que le service, au lieu d’être aux 10 minutes, est aux 20 minutes. Mais ça vaut la peine d’attendre. Surtout si c’est Jocelyn Gauvin qui tient le volant!