François Bourque
Le Soleil
CHRONIQUE / La venue du navire de croisière Disney Magic au Port de Québec l’été dernier fut un des faits saillants d’une année touristique record. Québec courtisait depuis quatre ans ce fleuron de la compagnie de croisières «la plus recherchée au monde», avait raconté l’Office du tourisme. Ce n’est pas les 1800 passagers qui ont fait événement ce jour-là (Québec accueille souvent de plus gros navires), mais son prestige et l’effet d’entraînement espéré. Une réussite donc. Mais pas seulement une réussite. Le symbole Disney est fort, mais ambigu. Il représente le succès de masse auquel aspire Québec, mais est aussi l’incarnation exacte de ce que le Vieux-Québec ne veut pas devenir : un parc d’attractions pour touristes.
C’est le dilemme des quartiers historiques habités : essayer attirer toujours et toujours plus de visiteurs sans se laisser submerger.
L’équilibre n’est pas facile. Plusieurs villes y ont échoué et cherchent depuis comment réparer les dégâts.
Venise a dû imposer des sens uniques pour piétons sur certaines rues du centre pendant le Carnaval et en interdire d’autres aux visiteurs.
Elle vient de bannir de sa lagune les gros bateaux de croisière, a imposé un moratoire sur les hôtels et tente de réduire les permis Airbnb.
Madrid a aussi décrété des sens uniques pour piétons sur des artères commerciales pendant la période des fêtes 2017.
Cela a fait débat. Des résidents y ont vu une entrave à leur liberté. Ils avaient l’impression d’être pris dans une manifestation ou dans un troupeau de moutons.
Des résidents de Barcelone ont manifesté contre le tourisme en 2017; Santorini (Grèce) a dû limiter le nombre de débarquements sur l’île; Cinque Terre (Italie) ferme des sentiers publics les jours de trop forte affluence.
Florence (Italie) arrose les marches des monuments historiques à l’heure du lunch pour empêcher les pique-niques intempestifs, ai-je lu dans l’édition du soir de Ouest France (avril 2018).
Québec n’en est pas là, mais on ne voudrait pas y arriver, car il est difficile alors de revenir en arrière.
Il y a longtemps que des résidents du Vieux-Québec s’en inquiètent, mais pour la première fois l’automne dernier, la critique est venue d’un commerçant.
«Trop de monde, trop cher, trop de tourisme de masse, on marche porté par la foule et on ne voit rien», ont confié des visiteurs à Romuald Georgeon, propriétaire du Château Fleur de Lys.
Cette fin de semaine là (début octobre), sept navires de croisière ont débarqué à Québec avec plus de 10 000 touristes.
La saison 2018 s’est soldée par un record de 230 000 croisiéristes, chiffre que le Port espère doubler d’ici 2025.
Le Port semble croire que le second terminal qui ouvrira en 2020 derrière les silos de la Bunge va aider à désengorger le secteur de la Pointe-à-Carcy. Peut-être pour les opérations sur les quais, mais où pensez-vous que les visiteurs vont aller sitôt débarqués?
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L’enjeu du tourisme de masse a été soulevé dans plusieurs des mémoires déposés cette semaine aux audiences publiques sur le Plan de conservation du Vieux-Québec du ministère de la Culture.
Le ton y est parfois très dur, trop peut-être, mais il témoigne d’un niveau d’exaspération certain. Le conseil d’administration des Maisons de Beaucours, un ensemble résidentiel luxueux voisin du Château, écrit par exemple ceci :
«Derrière l’écran d’une ville pétaradante de bruit et de feux d’artifice à 95 000 $ le quinze minutes, et cotée haut à la bourse mondiale des attractions touristiques, la vérité crue est que notre Vieux-Québec est de plus en plus invivable».
Bruit, appropriation de l’espace, absence de familles, pas d’épicerie et de boucherie, malaise écologique, débordements festifs, départ de l’Hôtel-Dieu. La liste de leurs griefs est longue.
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Le plus récent épisode est celui du projet (insensé) de passerelle aérienne pour vélos à la Pointe-à-Carcy, que Québec vient de mettre sur la glace.
Cette passerelle avait été improvisée en désespoir de cause pour régler un conflit d’usage entre les vélos et l’industrie des croisières.
On a beaucoup débattu des coûts (démesurés) de cette passerelle et de son impact (injustifiable) dans le paysage du fleuve. Mais très peu (pas assez peut-être) de l’enjeu derrière ce «besoin» de passerelle : l’appétit de croissance de l’industrie portuaire.
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