Voir aussi : Arrondissement La Cité-Limoilou, Projet - Tramway, Transport, Transport en commun.
Sébastien Tanguay
Le Devoir
Les villes qui choisissent d’offrir le transport collectif gratuitement se multiplient au Québec — et une fois à bord, peu décident de débarquer. La gratuité plaît aux usagers et semble aller de soi à l’ère de l’urgence climatique et de l’essence à 1,90 $ le litre. Loin de se résumer à une utopie écologiste, elle a le vent en poupe et s’enracine aujourd’hui dans plus de 120 villes dans le monde.
À Beauharnois, Candiac, Carignan, Chambly, La Prairie, Richelieu ou Sainte-Julie, c’est fini depuis longtemps, la recherche de petite monnaie pour payer son entrée dans l’autobus. Le transport collectif est gratuit en tout temps, partout sur le territoire.
Lorsque tu offres la gratuité, les gens qui délaissent la voiture au profit du transport en commun représentent entre 25 et 50 % des nouveaux usagers. Le transfert de la part modale est minime. La gratuité vient surtout cannibaliser les transports actifs, comme la marche et le vélo.
— Fanny Tremblay-Racicot
Dans la région de la Capitale-Nationale, Boischatel est la première municipalité à avoir emboîté le pas à cette mouvance. Depuis l’été 2019, ses 8200 résidents peuvent sauter à bord de n’importe quel autobus sans verser le moindre cent.
« Auparavant, nous comptions 3000 déplacements par mois, explique le maire, Benoît Bouchard. Depuis que c’est gratuit, ç’a augmenté de 50 % : en moyenne, nous en avons 4500 mensuellement. »
Certaines familles, certifie l’élu, ont même abandonné une voiture : les parents n’ayant plus à jouer au taxi pour déplacer leurs enfants, leur deuxième auto dormait la plupart du temps dans le stationnement.
La MRC de Côte-de-Beaupré propose toute l’année une navette, là aussi gratuite, qui sillonne son territoire et va jusqu’à la colline Parlementaire et l’Université Laval. « Dans notre tête, explique le préfet, Pierre Lefrançois, c’est sûr qu’il faut offrir un service de transport en commun pour aider à transporter nos jeunes. Si en plus, ça peut supprimer des voitures, c’est tant mieux. »
Saint-Jérôme est la dernière ville en date à avoir adopté la gratuité. Depuis octobre et pour une durée d’un an, ses 80 000 habitants peuvent emprunter sans frais l’ensemble des parcours qui sillonnent son territoire. Coût de la manœuvre : près de 90 000 $ par mois.
« Dès la mise en œuvre de la gratuité en octobre, souligne le conseiller et président de la commission du transport de Saint-Jérôme Jacques Bouchard, l’achalandage a augmenté de 33 % sur la ligne 100 et de 41 % sur la ligne 102 par rapport à celui de 2019. » À ce rythme, le cap des 600 000 déplacements sera aisément franchi d’ici la fin de l’année.
Belœil songe aussi à imiter prochainement ses consœurs. Au Québec, l’appétit des villes grandit à l’égard d’un transport collectif gratuit qui contribue, entre autres, à remplir des autobus qui roulent souvent vides en dehors des heures de pointe.
« C’est comme la saucisse Hygrade, illustre le maire de Boischatel, convaincu du bien-fondé de la mesure. Plus de gens en mangent parce qu’elles sont plus fraîches, et elles sont plus fraîches parce que plus de gens en mangent. »
Le défi des grandes villes
Plus grande mobilité sociale, diminution de la pollution et densification urbaine font partie des arguments décochés par les partisans du transport collectif gratuit un peu partout dans le monde. Toutefois, l’abolition de la tarification ne constitue pas forcément une panacée capable de remédier aux maux de notre époque.
« Lorsque tu offres la gratuité, les gens qui délaissent la voiture au profit du transport en commun représentent entre 25 et 50 % des nouveaux usagers, indique la professeure adjointe de l’École nationale d’administration publique Fanny Tremblay-Racicot. Le transfert de la part modale est minime. La gratuité vient surtout cannibaliser les transports actifs, comme la marche et le vélo. »
Autre obstacle à surmonter : la gratuité se bute encore à une pente qu’elle peine à gravir, soit celle qui mène aux grandes villes. L’implantation d’un transport en commun sans frais fait face au défi du financement, explique la directrice générale de Trajectoire Québec, Sarah Doyon.
« Avant la pandémie, le paiement des usagers procurait environ 33 % des revenus des sociétés de transport de la province », explique-t-elle.
La gratuité creuserait ainsi un manque à gagner récurrent de 80 millions de dollars dans le budget du Réseau de transport de la Capitale, à Québec. Le trou serait encore plus important dans celui de la STM, à Montréal : selon une étude réalisée par l’IRIS en 2017, renoncer à faire payer l’usager priverait la société de 620 millions de dollars — sans compter les frais d’exploitation additionnels qui incomberaient inévitablement devant une hausse de l’achalandage.
« Il n’y a rien de gratuit dans la vie, même la gratuité, souligne Fanny Tremblay-Racicot. Il faut toujours, au bout du compte, que quelqu’un paie. »
À qui la facture ?
Plusieurs modèles financent la gratuité. La capitale estonienne, Tallinn, a choisi de rendre le transport collectif gratuit pour ses 400 000 habitants dès 2013. Facture : 12 millions de dollars chaque année. Dix ans plus tard, les propriétés ont pris de la valeur, et 50 000 personnes ont choisi de s’installer dans la ville. Les autorités estiment que l’afflux de nouveaux résidents rapporte 38 millions de dollars dans ses coffres annuellement : pour elles, il s’agit donc d’un excellent retour sur investissement.
En France, où se trouvent au moins 35 des 120 villes qui ont opté pour la gratuité dans le monde, ce sont les entreprises qui paient en partie le transport collectif.
Chaque entreprise de 11 employés ou plus située à proximité d’une desserte doit contribuer, par un impôt prélevé sur la masse salariale, à la cagnotte consacrée au transport en commun. L’apport est non négligeable : il s’élevait, en 2013, à 7 milliards d’euros, soit 44 % du financement national.
À Seattle, sur la côte Ouest américaine, la contribution des entreprises n’est pas obligatoire comme dans l’Hexagone. Par contre, « les employeurs sont fortement encouragés à acheter des titres de transport à leurs employés », note la professeure Tremblay-Racicot. Une mesure qui a connu un succès retentissant, puisqu’« aujourd’hui, seulement 25 % des gens prennent leur auto pour se rendre au travail dans le centre-ville ».
Le modèle pourrait s’importer ici, puisque le Québec prévoit déjà un important — et peu connu — incitatif fiscal destiné aux employeurs. Ceux-ci « ont droit, écrit la société Raymond Chabot Grant Thornton, à une déduction correspondant au double de la dépense engagée à l’égard des laissez-passer de transport en commun payés ou remboursés à un employé pour lui permettre de se rendre au travail. »
Il y a toutefois un bémol, selon Sarah Doyon, de Trajectoire Québec :pour convaincre les gens d’abandonner la voiture au profit du transport en commun, il ne suffit pas d’abolir les prix et d’améliorer les services. Il faut également réduire l’attractivité de la voiture.
« Il ne s’agit pas de voir l’automobile comme l’ennemi à abattre, explique Mme Doyon, mais plutôt de repenser la façon de nous déplacer le plus efficacement possible vers le centre-ville. Quand nous nous arrêtons à ça, l’automobile ne gagne jamais. Elle déplace souvent une seule personne quand un autobus, lui, peut en transporter une cinquantaine. »
Gratuité partielle, succès réel
Des approches de gratuité partielle ont aussi pris forme au Québec. Saint-Hyacinthe, par exemple, rend le transport collectif gratuit en dehors des heures de pointe. Québec et Trois-Rivières songent à imiter Gatineau et Calgary en adoptant une tarification sociale, qui prévoit des prix plus abordables pour les passagers démunis.
Depuis 2004, l’Université de Sherbrooke offre à ses 16 000 étudiants la possibilité d’utiliser le transport en commun gratuitement en échange d’une contribution de moins de 35 $ par trimestre. Montréal, de son côté, transporte gratuitement les enfants depuis l’été dernier. La mairesse, Valérie Plante, a promis d’étendre la mesure aux aînés en 2023.
« Les choses changent timidement, mais le Québec ne donne pas encore assez de valeur à ces services-là, conclutFanny Tremblay-Racicot.Nous continuons de valoriser l’auto, l’asphalte et l’individualisme plutôt que les modes de transport collectifs. »
Voir aussi : Transport, Transport en commun.
Le 26 avril 2022, découvrez comment des véhicules peuvent disparaître de nos rues lorsque la capacité routière diminue et que l’offre de mobilité durable augmente.
Un webinaire axé sur l’avenir de la mobilité
L’avenir en matière de mobilité sera fait de plus de proximité et de moins de circulation automobile.
Ajout d’un tramway, de voies réservées, ou de pistes cyclables… chaque retrait de voies de circulation s’accompagne de craintes liées aux conditions de circulation pour les automobilistes. Pourtant les observations démontrent que les effets négatifs sont généralement très limités.
En s’appuyant sur des observations terrain, ce webinaire sera l’occasion de mieux comprendre pourquoi la réduction de la capacité routière n’est pas synonyme de congestion routière.
Venez échanger avec nos invités :
Frédéric Héran, économiste des transports et urbaniste, Université de Lille
Sabine Carette, chargée de missions, Observatoire des mobilités et Modélisation, Tours MétropoleInformations pratiques :
Webinaire virtuel gratuit, inscription obligatoire
Un lien de participation (plateforme Zoom) vous sera transmis avant l’évènement
Période de questions par clavardage.Tous les détails de cet événement organisé par Vivre en Ville
Voir aussi : Tramway à Québec, Transport.
Stéphanie Martin
Taïeb Moalla
Dévoilée jeudi après des mois d’attente, la nouvelle mouture du troisième lien n’a pas encore révélé tous ses secrets. Plusieurs questions demeurent en suspens. Le Journal soulève ici certaines des interrogations qui persistent après la présentation du ministre des Transports, François Bonnardel.
Comment fonctionnera la gestion dynamique des voies ?
« Il est prématuré » de présenter comment s’effectuera la circulation dans le tunnel, a indiqué jeudi le ministre Bonnardel. Avec le retrait de la voie réservée pour le transport en commun, il restera deux voies dans chaque direction. La plupart du temps, celles-ci seront utilisées par des voitures et camions. Le gouvernement envisage maintenant une « gestion dynamique » pour donner priorité au transport collectif sur une voie aux heures de pointe. On laisse entendre que les voitures électriques et le covoiturage trouveraient aussi une place sur ces voies réservées à certaines périodes.
Quels seront les coûts et qui financera ?
Le coût de la nouvelle mouture du 3e lien serait de 6,5 milliards $. Cela inclut l’inflation et la provision de risques selon le ministre Bonnardel. Ce dernier a affirmé que le budget serait respecté, mais n’a pas précisé sur quelle étude il s’appuyait pour estimer cette somme. Cela dit, l’expert Bruno Massicotte a parlé d’une « estimation très approximative » en rappelant que le gouvernement aurait pu et dû actualiser les coûts contenus dans son étude de 2015-2016. À l’époque, il était question d’un investissement de 4 milliards $. C’est « l’inflation galopante », entre autres, qui a forcé le gouvernement à revenir à sa planche à dessin et à réduire la portée de son projet précédent qui était estimé entre 7 et 10 milliards et qui comportait un seul large tube à deux étages et à trois voies dans chaque direction. Par ailleurs, le gouvernement Legault espère une contribution de 40 % d’Ottawa. Le fédéral a déjà indiqué qu’il ne finançait plus de nouvelles autoroutes.
Le tramway à la gare du Palais ?
Comment les usagers se rendront-ils au tramway à partir de la gare du Palais ? Le ministre Bonnardel a parlé jeudi d’une sortie de tunnel réservée au transport collectif sur Charest. Il a indiqué que celle-ci servirait aussi à « se connecter à la gare de train, dans le pôle Saint-Roch et à amener les gens sur le tramway, direction D’Estimauville ». Or, il n’a pas précisé comment les usagers réaliseront cette correspondance. Car le tramway ne circule pas dans le secteur de la gare du Palais, du moins pas dans sa phase un. Est-ce un avant-goût d’une phase subséquente ? Le maire Marchand avait émis le souhait que le tramway desserve éventuellement cette plaque tournante.
Où sont les études ?
Le gouvernement a présenté plusieurs moutures de son projet de troisième lien, mais a jusqu’à maintenant refusé de fournir les études en lien avec celui-ci. Aucune étude de besoins, de faisabilité ou de circulation n’a été présentée au grand public. Jeudi, le ministre Bonnardel s’est référé à « la demi-douzaine d’études qui ont été faites dans les 50 dernières années » et à celle du professeur de Polytechnique Bruno Massicotte, effectuée en 2016, dont l’auteur lui-même a dit qu’elle était « passée date » et qui étudiait l’ancien tracé à l’est. M. Bonnardel estime qu’il a démontré « à quel point le besoin est important pour sécuriser le réseau, augmenter l’attractivité du transport collectif, donner une autre option au transport de marchandises ». Il s’est engagé à rendre publiques les études sur lesquelles il s’appuie lors du dépôt du dossier d’affaires, mais pas nécessairement avant la campagne, alors que la CAQ avait sommé les libéraux de le faire en 2018. « Le besoin fait l’unanimité, sauf peut-être de rares exceptions à Québec », a mentionné la ministre responsable de la région, Geneviève Guilbault.
Six tubes creusés à Québec ?
Lévis comptera une entrée du tunnel à deux tubes, dans le secteur Mgr-Bourget. Mais du côté de Québec, on prévoit trois sorties qui seront accessibles aux voitures ou aux autobus, soit sur l’autoroute Laurentienne, sur Dufferin-Montmorency et sur le boulevard Charest, près de la gare du Palais. Cependant, les informations dévoilées jusqu’à maintenant ne permettent pas de savoir si les trois emplacements permettront à la fois de sortir du tunnel et d’y entrer. Si c’était le cas, le paysage serait passablement modifié, avec le creusage de six tubes du côté de Québec. Le Journal a posé la question au ministère des Transports, qui n’a pas été en mesure d’apporter de réponses, hier. Le maire de Québec, Bruno Marchand, a souvent répété par le passé qu’il attendrait de connaître les impacts sur la circulation dans la ville avant de se prononcer sur le projet. À son cabinet, on n’était pas disponible pour commenter, hier.
Le ministre des Transports a présenté jeudi une nouvelle mouture du projet de troisième lien sans carte du futur tracé, mais on a appris qu’il comprendra une sortie à Lévis contre quatre à Québec, encore imprécises.
François Bonnardel n’a pas voulu donner d’emplacements précis pour les futures sorties du tunnel, afin d’éviter les questions de «spéculation» immobilière autour de celles-ci. Ainsi, aucune carte n’a été présentée aux journalistes.
On sait cependant que le tunnel comportera deux tubes «de 12 à 15 mètres» chacun et permettra une circulation «de centre-ville à centre-ville».
Du côté de Lévis, la sortie sera située dans le secteur Monseigneur-Bourget, mais le ministre n’a pas donné de précisions, arguant que des annonces sont à venir.
Pour les véhicules du côté de Québec, une sortie émergera sur l’autoroute Laurentienne «au nord de la rivière Saint-Charles», et une autre sur Dufferin-Montmorency «pour répondre aux besoins de l’est, du côté de Charlevoix».
Transport collectif
Pour les autobus uniquement, on prévoit une sortie dans Saint-Roch, près de la gare du Palais.
Une quatrième sortie exclusivement réservée aux piétons et aux usagers du transport en commun donnera accès à la colline Parlementaire.
«On va travailler pour avoir un édicule qui va nous connecter à la colline Parlementaire pour avoir accès directement au tramway», a indiqué M. Bonnardel.
Profondeur record
Cet «édicule» est une station souterraine qui sera située à 80 mètres sous terre, soit l’équivalent de la profondeur d’une vingtaine d’étages, si on en croit les informations les plus récentes fournies sur le projet.
Elle pourrait donc fracasser le record de la station la plus profonde au pays.
Peu de détails
Le Journal a tenté d’en savoir plus sur les plans du bureau de projet, mais le ministère des Transports avait peu de détails à transmettre pour le moment. Il faudra patienter à une étape ultérieure pour en apprendre davantage.
«À l’heure actuelle, nous travaillons sur un scénario qui inclut une sortie du côté sud dans le secteur Monseigneur-Bourget, à Lévis, et trois sorties du côté nord, à Québec, dont une réservée au transport collectif. Une interconnexion est aussi prévue avec le tramway de la ville de Québec, à la station colline Parlementaire. La configuration précise des sorties et de l’interconnexion avec le tramway sera connue lorsque la conception sera plus avancée et suivant les consultations avec les parties prenantes», a réitéré le porte-parole Bryan Gélinas.
Voir aussi : Projet - Troisième lien, Transport, Transport en commun.
Élisabeth Fleury
Le Soleil
La nouvelle mouture du projet de troisième lien présentée jeudi par le gouvernement Legault ne convainc pas du tout deux experts à qui nous avons parlé, l’un en génie des structures, l’autre en aménagement du territoire et développement régional.
Bruno Massicotte est professeur au Département des génies civil, géologique et des mines de Polytechnique Montréal. C’est à lui que le ministère des Transports avait confié en 2015 la réalisation d’une étude de préfaisabilité sur un troisième lien routier à l’est de Québec.
Pour le professeur Massicotte, il ne fait pas de doute que Québec a besoin d’un troisième lien routier. Actuellement, dit-il, «on a un lien et demi, parce que le vieux pont de Québec, c’est un demi-lien, qui sert seulement à la circulation légère, où il ne peut pas y avoir de camions lourds».
«On a donc seulement le pont Pierre-Laporte, et il vieillit. Il a besoin de réparations, et il va en avoir encore besoin dans le futur. C’est un lien névralgique vieillissant et il faut penser à y donner» un coup de main, expose Bruno Massicotte.
Selon lui, ce lien routier additionnel serait idéalement un pont, et non un tunnel, parce que moins coûteux et moins complexe à construire. Et il devrait être construit dans le même secteur que les ponts actuels, plus particulièrement à l’endroit où passe la ligne à haute tension d’Hydro-Québec. Ce serait à son avis «l’endroit le moins problématique».
L’étalement urbain? Qu’il s’agisse d’un pont ou d’un tunnel, le troisième lien ne sera pas construit avant plusieurs années, souligne Bruno Massicotte, «ce qui laisse le temps de penser à comment on veut gérer l’étalement urbain, de penser à des règlements, à des politiques pour minimiser cet étalement du côté sud».
Le professeur à Polytechnique Montréal ne croit pas qu’un troisième pont construit un peu à l’ouest des deux autres «favoriserait beaucoup l’étalement urbain parce qu’on est déjà dans une zone où l’étalement a eu lieu». «Ce serait moins pire qu’à l’est, le pire endroit pour l’étalement urbain, avec les terres agricoles qu’on retrouve par exemple entre Lauzon et Montmagny», avance Bruno Massicotte.
Le spécialiste en génie des structures convient que la nouvelle mouture du projet de troisième lien présentée jeudi par le gouvernement Legault est une version améliorée du projet initial, qui prévoyait la construction d’un seul (méga) tunnel sur deux étages.
«D’un point de vue sécurité et coûts, c’est mieux. On voit qu’il y a eu un exercice pour réduire le coût au minimum pour avancer dans le dossier et faire accepter quelque chose socialement», remarque M. Massicotte, qui a néanmoins «toujours des doutes sur le choix du tracé et du tunnel».
Le professeur souligne qu’un tunnel, en plus d’être coûteux et complexe à construire, n’est «pas très bon pour le camionnage».
«On ne peut pas y transporter de matières dangereuses. […] Il peut y avoir des camions lourds, mais dans un tunnel long comme ça, avec des côtes — il va y avoir un bon dénivelé entre le dessous du fleuve et l’autoroute 20, par exemple —, les camions, ça roule pas vite. Si vous êtes un automobiliste et que vous suivez un camion, vous allez peut-être rouler à 30 km/h. L’expérience usager ne sera peut-être pas la même que sur un pont, où on peut changer de voie, ce qu’on ne peut pas faire dans un tunnel», rappelle Bruno Massicotte, réitérant qu’un pont, en termes de coûts et d’efficacité, «c’est mieux».
Puis il y a la nature des sols à prendre en compte quand on construit un tunnel. À ce chapitre, Bruno Massicotte s’inquiète moins de la qualité des sols sous le fleuve où seront creusés les tunnels, «du roc pour l’essentiel», que de celle dans le secteur d’ExpoCité, où la principale sortie routière du projet «bitube» est prévue.
«Dans ce secteur-là, c’est du sol mou, du sable, de la glaise. Passer un tunnel dans ça, c’est souvent ce qu’il y a de plus complexe, parce que ce qui est au-dessus veut s’effondrer […]. Il faut mettre des coques en béton pour s’assurer que ce qui est en haut ne bouge pas. […] Pour moi, c’est bien plus ça qui empêche de faire le tunnel que tout le reste», résume l’ingénieur.
Un tunnel pour le transport en commun
Bruno Massicotte verrait davantage un tunnel qui servirait exclusivement au transport en commun et qui relierait le secteur des Galeries Chagnon à Lévis «ou un peu plus au sud, entre les Galeries Chagnon et l’autoroute 20, là où il y a une zone commerciale avec des hôtels et le centre des congrès», et le quartier Saint-Roch à Québec.
«On pourrait avoir aussi une station au centre-ville de Lévis, un peu plus centrale. Et le tunnel ressortirait en Basse-Ville, dans Saint-Roch, pour faire un arrimage avec le tramway», suggère M. Massicotte, qui verrait même une ligne de tramway ou de métro passer sous le fleuve pour rejoindre Lévis.
«Pourquoi pas? Un peu comme on a une ligne de métro qui relie les centres-ville de Montréal et de Longueuil. Ça pourrait être des autobus aussi, plus flexibles», propose le professeur, qui préfère laisser aux experts du transport collectif le soin d’identifier ce qui serait le meilleur mode dans un tel scénario.
Spécialiste en aménagement du territoire et en développement régional, Jean Dubé est d’accord avec l’idée d’un troisième lien sous-fluvial exclusivement dédié au transport collectif «si la CAQ veut absolument s’entêter avec un troisième lien».
Le professeur à l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional de l’Université Laval le répète : ajouter des voies routières ne règle pas les problèmes de congestion, au contraire. «Ça crée de la congestion. C’est ça la conclusion de la science», rappelle Jean Dubé.
« Je ne vois pas comment on peut dire qu’avec un troisième lien autoroutier, on va régler un problème de congestion. Si c’était le cas, Québec serait l’exception dans le monde. »
— Jean Dubé, chercheur au Centre de recherche en aménagement et développement de l’Université Laval
Il faut, selon l’économiste, offrir des alternatives aux automobilistes, ce qu’ils n’ont pas à l’heure actuelle. Le problème, c’est que la ville de Québec et les alentours ont été développés presque exclusivement autour des autoroutes et de l’utilisation de la voiture, note-t-il.
«On n’a pas d’alternatives à la voiture, donc les gens continuent de l’utiliser en masse. Ce qu’il faut, c’est tenter d’éliminer des voitures, et encore plus des voitures solo, du trafic. Et non offrir encore plus de possibilités pour qu’il y ait encore plus de gens qui se déplacent en voitures solo», insiste Jean Dubé, qui a coécrit l’essai «Comment survivre aux controverses sur le transport à Québec?», paru l’an dernier.
Oui, les ponts sont vieillissants, convient Jean Dubé. «Mais à Montréal, ils ont bien fait la démonstration qu’il était possible de remplacer un pont par un autre en même temps pratiquement et dans un délai on ne peut plus raisonnable, et sur lequel [le nouveau pont Champlain] on a aussi fait place à un nouveau système de transport en commun. On peut penser à développer autrement. […] Si la CAQ veut absolument s’entêter à aller de l’avant avec un troisième lien, il ne faut pas qu’il y ait de voitures dedans», tranche le professeur.
«Un projet pour la Rive-Sud»
Pour Jean Dubé, il y a «beaucoup de contradictions dans tout ça». «Quand je regarde les plans qui sont faits, à chaque fois qu’on parle de diminuer la congestion routière à Montréal, on parle d’investir dans le transport en commun, mais quand on parle de diminuer la congestion routière à Québec, on parle d’investir dans les autoroutes. Pourtant, c’est le même problème. Pourquoi la solution est différente?» demande-t-il.
Selon Bruno Massicotte, le projet de la CAQ est ni plus ni moins «un projet pour la Rive-Sud». «C’est un projet qui ne sert à rien pour la Rive-Nord, qui ne sert pas du tout la ville de Québec, qui va amener de la congestion, des autos, des travaux pour la ville de Québec. […] Les gens de Québec vont subir la construction du tunnel, le trafic, et ils n’ont pas de gain. Les gains principaux, c’est pour les gens de Lévis», insiste l’ingénieur.
Bruno Massicotte ne serait pas surpris qu’un meilleur projet émerge dans un an, une fois les élections passées. «Oui, ça prend un troisième lien. Mais il faut trouver la meilleure solution, et je ne pense pas qu’on soit rendu à la solution finale. Il faut laisser les politiciens faire de la politique», laisse tomber le spécialiste en génie des structures, qui croit qu’en attendant, «ils peuvent faire des travaux qui ne seront pas inutiles».
* Illustration du gouvernement du Québec
Cinquième troisième lien : toujours deux pour un (Simon-Pierre Beaudet)
Voir aussi : Projet - Troisième lien, Transport, Transport en commun.
Simon Carmichael
Journal Le Soleil
L’arrivée du tramway changera de fond en comble l’expérience des citoyens qui empruntent le boulevard Laurier. Québec compte profiter des travaux d’insertion du tramway pour rendre l’axe plus convivial et sécuritaire pour les utilisateurs du transport actif, sans pour autant réduire l’espace dédié aux automobilistes.
Canopée plus abondante, promenade commerciale, plus de traversées piétonnes sécurisées, trottoirs élargis plus sécuritaires et piste cyclable isolée : la Ville de Québec compte faire du boulevard Laurier un lieu prisé pour les pratiquants du transport actif et les utilisateurs du transports en commun.
Lors de la présentation de l’insertion du tramway dans le secteur Saint-Louis, mercredi soir, la cheffe de tronçon du secteur Saint-Louis, Laurie Laperrière, a souligné «l’opportunité de bonifier le boulevard Laurier» avec l’arrivée du tramway. «On va pouvoir améliorer les conditions de déplacement de mobilité durable, qui est un peu laissée pour compte pour l’instant», s’est-elle réjouie.
«Tout ça ne se fait pas au détriment des autos», précise cependant la chef de tronçon. «Le boulevard Laurier est un axe important pour la Ville de Québec parce qu’il lie les ponts et le centre-ville», a ajouté l’urbaniste.
Celle-ci précise même que la fluidité automobile devrait être améliorée, notamment puisqu’une voie pour les véhicules sera ajoutée dans chaque direction, avec le retrait des voies réservées pour les autobus.
Les automobilistes devront tout de même revoir leurs habitudes, puisque les patrons de circulations seront revus. Il ne sera notamment plus possible de tourner à gauche sur la majorité des intersections du boulevard Laurier. «Mais toutes les rues seront accessibles», précise Mme Laperrière.
Le boulevard Hochelaga, récemment agrandit, sera amené à jouer un plus grand rôle. Il accueillera notamment les automobilistes en provenance des ponts, du boulevard René-Lévesque, ou encore des autoroutes Duplessis et Robert-Bourassa, qui visent à rejoindre les secteurs autour de Laurier.
Voir aussi : Arrondissement Ste-Foy / Sillery / Cap-Rouge, Projet - Tramway, Transport, Transport en commun.
Québec, le 13 avril 2022 – Les citoyens qui le souhaitent peuvent dès maintenant avoir accès au rapport final de consultation concernant l’insertion de surface du tramway dans le secteur de l’avenue Cartier et plus largement dans les quartiers de Montcalm et de Saint-Jean-Baptiste. Ce rapport résulte de la consultation tenue en ligne par la Ville du 4 au 25 mars 2022. Les citoyens étaient alors invités à se prononcer sur plusieurs éléments, dont la mise en place de voies partagées à proximité de l’avenue Cartier, les critères d’aménagement à prioriser, les utilisations à prévoir pour la nouvelle place publique, les vitesses de circulation ou le nombre d’intersections traversantes.
La consultation a connu un succès important avec 2 099 questionnaires complétés. Ce dernier comprenait 31 questions, dont 7 permettaient la formulation de réponses ouvertes. Celles-ci ont permis à la Ville de récolter de nombreux commentaires exprimés par les citoyens. Ces éléments seront analysés plus en profondeur par le Bureau de projet du tramway au cours des prochaines semaines. Le rapport final ainsi que la liste complète des commentaires sont accessibles en ligne.
Des résultats significatifs
De façon générale, la Ville note un appui important (68 %) face au scénario privilégié à proximité de l’avenue Cartier, soit une insertion du tramway au centre de la chaussée et la mise en place de voies partagées entre les piétons, les cyclistes et les automobilistes. Sur ce tronçon du boulevard René-Lévesque, la réduction du nombre de véhicules (73 %) et de la vitesse de circulation (74 %) ont également récolté des réponses favorables. De même, une majorité de répondants ont identifié comme critères prioritaires la bonification de l’espace pour les piétons et les cyclistes (60 %) ainsi que la protection des arbres existants (54 %).
Lorsque questionnés sur l’insertion de surface à l’échelle des quartiers de Montcalm et de Saint-Jean-Baptiste, les citoyens ont formulé des réponses comparables quant aux critères d’aménagement à prioriser ainsi qu’aux réductions des débits et des vitesses de circulation. En ce qui concerne l’aménagement d’une nouvelle place publique à l’intersection de l’avenue Cartier, la volonté d’utiliser ce site pour bonifier la présence d’arbres et de végétation est ressortie clairement.
Finalement, sur la question des intersections traversantes, leur nombre a été jugé globalement suffisant pour les véhicules (55 %) et pour les piétons (69 %).
Dans le cadre du rapport final, il est possible que certaines données varient légèrement par rapport aux résultats préliminaires diffusés le 30 mars dernier. Ces variations découlent notamment d’une analyse plus approfondie des réponses, du retrait de questionnaires non conformes ou encore de l’arrondissement des valeurs présentées.
Voir aussi : Arrondissement La Cité-Limoilou, Projet - Tramway, Transport, Transport en commun.
Québec, le 12 avril 2022 – La Ville de Québec franchit de nouveaux jalons importants pour la concrétisation du tramway. Elle convie, dès aujourd’hui, les candidats qualifiés invités de matériel roulant à répondre à son premier appel de propositions, à la suite de l’autorisation du Conseil des ministres du Gouvernement du Québec, obtenue le mercredi 6 avril dernier.
Les entreprises seront invitées à prendre connaissance des documents détaillés, comptant 2 000 pages, qui présentent les exigences attendues afin que le tramway de Québec soit performant, bien intégré à la trame urbaine et réponde aux hauts standards de qualité recherchés. Les propositions techniques et financières pour le matériel roulant sont attendues en septembre, en vue de sélectionner le partenaire privé à l’automne 2022.
L’autorisation du Conseil des ministres permettra aussi à la Ville de lancer, le mardi 26 avril prochain, son deuxième appel de propositions pour la réalisation des infrastructures. Les consortiums seront aussi invités à consulter les documents détaillés de 3000 pages. Le dépôt des propositions techniques et financières s’échelonnera de la mi-mars à mi-avril 2023, ce qui mènera au choix de ce partenaire privé dès l’été 2023.
Dans chaque cas, les documents remis et la tenue d’ateliers de discussion bilatéraux entre le Bureau de projet et chaque soumissionnaire sur des thématiques précises leur permettront de préparer leurs propositions. Rappelons que la Ville de Québec recourt à un mode alternatif de réalisation en raison de l’envergure des travaux, de la quantité d’actifs à construire, de la mixité des disciplines requises et de la complexité du projet.
Le projet reçoit une autorisation environnementale
Depuis janvier 2019, le projet chemine dans le cadre du processus d’évaluation environnementale du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC). Le 6 avril dernier, le gouvernement du Québec a délivré une autorisation environnementale pour le projet de construction du tramway entre les secteurs Chaudière et D’Estimauville. Les conditions inscrites au décret sont conformes aux échanges entre le MELCC et la Ville de Québec depuis 2019.
Les prochaines étapes mèneront à une décision subséquente du gouvernement pour le nouveau tracé reliant le Pôle de Saint-Roch au Pôle D’Estimauville, une fois que la Ville aura déposé un addenda à l’étude d’impact sur l’environnement pour ce nouveau tronçon à l’été 2022. Cette dernière autorisation est prévue à la fin 2022.
Les activités et travaux préparatoires se poursuivent
Afin de se préparer à la construction du tramway, des activités et des travaux préparatoires ont cours aux abords du tracé et s’étaleront jusqu’en 2024. Le gouvernement du Québec a d’ailleurs autorisé la Ville de Québec, le 6 avril dernier, à réaliser des activités et travaux préparatoires pour un montant additionnel de 223 M$. Ces sommes s’ajoutent au budget actuel de 701,6 M$, le portant ainsi à 924,6 M$.
Parmi les travaux préparatoires planifiés en 2022, mentionnons la poursuite du réaménagement de la rue Dorchester et la réfection des réseaux techniques urbains (infrastructures des compagnies de télécommunications, d’électricité et de gaz naturel) qui se trouvent dans le quartier de Saint-Roch, sur le boulevard Laurier et le chemin des Quatre-Bourgeois. Pendant ces travaux, des services d’information aux citoyens seront déployés au cœur des chantiers de Saint-Roch et de Sainte-Foy. Pour connaître les détails de ces travaux, les citoyens sont invités à consulter la section des travaux du site Web de la Ville.
Voir aussi : Projet - Tramway, Transport, Transport en commun.
Québec, le 11 avril 2022 – La Ville de Québec dévoile aujourd’hui les aménagements favorisant la mobilité active qui seront amorcés au cours de l’année 2022. Elle lance également un appel fort aux citoyens, alors que les consultations publiques pour les futurs aménagements battront leur plein au cours des prochains mois. La Ville allie son annonce à celle du Réseau de transport de la Capitale qui dévoile du même coup le déploiement à plus large échelle de son service de vélopartage à assistance électrique àVélo.
(…)
Cette année, 14 projets totalisant 6,1 km et représentant des investissements de 7 M$ seront mis en œuvre pour le plus grand bonheur des adeptes de transports actifs.
Voir aussi : Transport, Transport en commun, Vélo.
François Bourque
Le Soleil
Pourquoi un tramway? Pourquoi ne pas simplement ajouter des autobus aux heures de pointe? me demandent presque chaque jour des lecteurs.
La question a été de tous les débats sur le tramway depuis plus de 20 ans et l’est encore aujourd’hui. Plus que jamais je dirais, même si le gouvernement Legault vient de donner le feu vert au projet.
L’essor du télétravail depuis la pandémie a conforté la perception que des autobus pourraient faire la job.
C’est probablement une des explications au déficit d’acceptabilité sociale du projet de tramway.
Beaucoup de citoyens croient que ce serait plus simple, moins coûteux et moins dérangeant avec des autobus. En plus, avec des autobus qui seront bientôt électriques et bons pour l’environnement. Tous les arguments semblent y être.
Alors, pourquoi ne pas simplement ajouter des autobus?
La réponse courte est qu’ajouter des autobus en heures de pointe ajouterait à la congestion des voies réservées des Métrobus 800-801 sans permettre un meilleur service.
Réglons d’abord la question des autobus électriques.
Je n’ai rien contre. Au contraire. Tout ce qui contribue à réduire l’émission de gaz à effet de serre doit être encouragé. Mais que les autobus roulent au diesel, à l’électricité, à voile ou à vapeur, ça ne change rien au nombre de passagers qu’on peut y transporter. Ni aux aléas de la route qui retardent les bus.
Des autobus électriques iraient s’empiler dans les corridors réservés de la même façon que les diesels ou les hybrides.
Essayons de démonter la mécanique des autobus et d’essayer de comprendre comment elle fonctionne.
1. Avant la pandémie, le RTC transportait 1900 passagers à l’heure pendant la pointe du matin dans le tronçon commun des Métrobus 800 et 801 entre Sainte-Foy et Saint-Roch, là où passera le tramway
La capacité théorique de 1640 passagers, calculée sur le nombre d’autobus, les fréquences et les places disponibles par véhicule, était donc déjà dépassée.
En d’autres mots, ces autobus étaient déjà en «surcharge», ce qui a un impact sur le confort, sur le temps de montée et de descente des passagers et par ricochet, sur les temps de parcours.
2. Les temps de parcours sont aussi influencés par les conditions de circulation
Tempêtes, verglas, chaussées glissantes ralentissent les autobus. Même chose pour les incidents de circulation : voitures dans la voie réservée, camions de livraison, travaux routiers, etc.
Dans un corridor d’autobus à haute fréquence (ici 3 minutes en heure de pointe), les retards se répercutent rapidement sur le reste de la ligne et font dérailler la machine.
Incapable de tenir son horaire, un premier autobus arrive en retard, ce qui veut dire qu’il y a davantage de clients qui l’attendent.
Plus de clients, c’est plus de temps pour les faire monter, ce qui ajoute au retard et surcharge l’autobus.
Ce premier autobus sera rattrapé par celui qui suit, puis par d’autres derrière.
Le dernier au bout de la queue sera peut-être vide, car les autobus qui précèdent auront cueilli déjà tous les passagers aux arrêts, mais il ne pourra pas aller plus vite, car il est coincé derrière les autres.
Les autobus se retrouvent ainsi immobilisés ou ralentis, les uns derrière les autres. C’est pire sur la colline Parlementaire, mais on le constate aussi ailleurs sur le tronçon commun des Métrobus 800 et 801.
3. Ce phénomène de «train-bus» ou de «train-trou» se produit plusieurs fois par heure en période de pointe, rapporte le Réseau de transport de la Capitale (RTC)
Cela s’est amplifié depuis que la fréquence des Métrobus est passée de 4 à 3 minutes.
Insérer des autobus supplémentaires dans un tel contexte ajouterait de la pression.
Cela ferait aussi «exploser» les coûts de fonctionnement (il faudrait plus de chauffeurs et plus de bus), sans bénéfice de confort, réduction du temps d’attente et du temps de parcours pour les utilisateurs.
4. Pendant les années qui ont suivi l’implantation des premiers Métrobus en 1992, il était encore possible d’ajouter des véhicules et d’augmenter les fréquences
Ces nouveaux autobus ont cependant vite été remplis à leur tour. «On ne suffit pas à la demande avec les Métrobus», constate en 1998 Claude Larose, le président de la STCUQ (ancien nom du RTC).
Il demande au gouvernement de devancer l’achat d’autobus articulés. Cela prendra finalement 10 ans.
5. L’entrée en scène des Métrobus en 2008-2009 combinée à une hausse de fréquence (aux 3 minutes au lieu de 4) a permis d’améliorer légèrement la vitesse moyenne dans le corridor 800-801 (+ 0,4 km/h)
Un gain (très) modeste qui suggère que les corridors réservés ont atteint leur limite et que l’ajout d’autobus ou de fréquence ne change plus grand-chose.
Petite embellie aussi lors de l’ajout d’une «préemption» pour les autobus aux feux de circulation (2017-2018).
Sauf que ces bénéfices diminuent avec le temps, dit constater le RTC, principalement en raison de l’augmentation de la congestion.
Sa conclusion : il n’est plus possible d’ajouter des autobus ou autres mesures pour améliorer les temps de parcours et la fiabilité.
6. En quoi un tramway ferait-il mieux?
En transportant plus de passagers dans chaque véhicule. (capacité de 3200 passagers à l’heure).
En réduisant le temps de montée et de descente des passagers qui compte actuellement pour 20 % à 26 % du temps de parcours total. Avec ses portes de type «métro», un tramway peut réduire ces temps d’arrêt.
En espaçant les arrêts pour gagner en vitesse. Cela signifie plus de passagers à faire monter à chaque arrêt. Pas besoin d’un tramway pour cela, direz-vous. À la différence qu’on monte plus vite dans un tramway aux larges portes que dans un autobus.
En faisant rouler le transport commun sur une voie exclusive, à l’abri du trafic, des aléas des chantiers routiers et des arrêts aux feux de circulation.
C’est ce que propose le tramway avec la plateforme «sécurisée» dont le sous-sol aura été vidé de toutes les infrastructures municipales susceptibles de se briser. Et avec pleine priorité aux feux, sauf pour les véhicules d’urgence.
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REVUE DES ARGUMENTS
Les arguments qui militent aujourd’hui pour un tramway à Québec sont les mêmes que ceux qui avaient allumé l’idée il y a plus de 20 ans.
Ce qui a changé, c’est l’ampleur de la congestion routière, l’urgence de s’attaquer aux changements climatiques et l’appétit pour la qualité de vie en ville. Trois réalités qui ajoutent à la pertinence d’un tramway. Télétravail ou pas.
Revue des principaux arguments à l’appui du tramway.
Les arguments de mobilité
1. Capter le nouveau trafic
Québec s’attend à 57 000 nouveaux résidents et 100 000 déplacements supplémentaires par jour d’ici 15-20 ans.
Si la Ville ne fait rien, les conditions de circulation vont se dégrader pour tout le monde, y compris pour les automobilistes.
L’objectif du tramway est de «capter» la moitié des nouveaux déplacements et d’éliminer 9500 autos par heure de pointe.
2. Échapper au trafic
Il faudrait 11 nouvelles voies de circulation pour «gérer» le nouveau trafic anticipé, ce qui est physiquement impossible en ville.
De toute façon, ajouter des routes ne permet pas de soulager la congestion, ont bien expliqué les auteurs de la Loi fondamentale de la congestion.1
Ajouter du transport en commun non plus d’ailleurs. L’espace libéré par les gens qui délaissent l’auto pour le transport en commun est vite utilisé par d’autres automobilistes.
Un tramway ne fera donc pas disparaître la congestion. Il peut cependant permettre d’y échapper.
3. Les corridors d’autobus saturés
Il est impossible d’espérer une meilleure mobilité et un meilleur service de transport en commun confortable en ajoutant simplement des d’autobus (voir texte précédent).
4. Aussi pour la périphérie
Un tramway ne servira pas seulement les citoyens des quartiers où il passe, mais aussi ceux de la périphérie.
Comment? Par les nouvelles voies réservées d’autobus express sur les autoroutes et par le nouveau service d’autobus à demande Flexibus du RTC.
Il sera possible de commander un transport qui vient vous chercher et vous dépose au terminus des express qui mènent ensuite au tramway ou directement à destination.
Cette «concurrence» à l’auto n’est pas possible actuellement, mais le deviendra.
Les arguments économiques
1. L’argent «neuf»
Un tramway signifie une injection de plusieurs milliards de $ d’argent «neuf» dans l’économie locale. On parle en outre de 19 000 emplois directs et indirects pendant la construction.
2. Toucher sa juste part
Si Québec ne reçoit pas sa part des budgets gouvernementaux dédiés au transport en commun, l’argent de ces programmes sera investi dans d’autres villes.
3. Améliorer l’attractivité de Québec
Un tramway peut contribuer à rendre la ville plus attrayante pour des travailleurs, des immigrants et des investisseurs privés pour qui un transport en commun performant est une condition pour venir à Québec.
Une partie de la main-d’œuvre dont Québec a besoin viendra de gens peu formés et qui, le plus souvent, n’auront pas de voiture. Du moins pas à leur arrivée.
4. Les bénéfices individuels
Un tramway peut être un incitatif à abandonner la deuxième (ou la première) voiture. Une économie possible de 9500 $ en moyenne par année selon le CAA (avant l’explosion des coûts de l’essence). Sans parler des économies de stationnement en ville.
Un gain de productivité est aussi possible en travaillant dans le tram, ce qui est plus difficile en auto ou dans un autobus bondé.
5. La plus-value foncière
Un tramway donnera une valeur supplémentaire aux immeubles du corridor qu’il va desservir, ce qui représente des revenus de taxes additionnels pour la Ville.
La Ville rapporte que des projets totalisant plus de 1,5 milliard $ s’annoncent déjà dans le corridor du tramway. Je ne conteste pas, mais je suis ici plus sceptique.
Le tramway ne crée pas de besoins d’espaces nouveaux, sauf les siens. Les projets d’immeubles qui vont se construire près du tramway auraient été construits ailleurs en ville où ils auraient aussi rapporté des taxes.
6. Refiler des factures aux gouvernements
Des infrastructures souterraines que la Ville aurait dû refaire de toute façon (ex. : boulevard Laurier) seront payées par les gouvernements à même le budget du tramway.
7. Réduire la facture de la congestion
Nombre d’études ont montré qu’il y a un coût économique à la congestion à cause des retards qui en résultent. À Québec on parle de 85 heures perdues par habitant.2
Un tramway peut aider à limiter la hausse de congestion, mais ne pourra pas l’éliminer. Cela limite le poids de l’argument.
Les arguments d’aménagement du territoire
1. Refaire des rues, de façade à façade
Le tramway est l’occasion d’embellir la ville en refaisant des artères de façade à façade sur 19 km. Trottoirs, pistes cyclables, plantations, mobilier, nouveaux espaces publics, façades privées rénovées, etc.
2. Densifier et orienter le développement
Le pouvoir attractif du tramway permettra de densifier le corridor où il passe et de créer un nouveau quartier à son extrémité ouest (secteur IKEA). C’est préférable à des projets immobiliers excentriques où l’auto est la seule option de mobilité.
3. Le revers de la médaille
Paradoxalement, ce qui est un des arguments forts du tramway, l’aménagement, est aussi celui qui suscite le plus de critiques.
Il faudra couper des arbres et des portions de boisés, modifier des habitudes de circulation, exproprier des bouts de terrains, empiéter sur des milieux humides, etc.
Les arguments d’environnement
1. Réduire les gaz effets de serre
Le pari du tramway est d’attirer des automobilistes, ce qui va réduire les émissions de gaz à effet de serre.
L’étude d’impact parle de 151 000 tonnes de CO2 en moins d’ici 2041, même en tenant compte des émissions additionnelles causées par la construction.
2. Le leurre des autos électriques
Le passage aux voitures électriques va neutraliser l’avantage environnemental d’un tramway, pourrait-on croire. Faux.
Produire des voitures électriques prend plus d’énergie et dégage plus de gaz à effet de serre que le transport en commun, plaide le directeur général du Conseil régional de l’environnement Capitale-Nationale, Alexandre Turgeon.
Sans parler de l’électricité pour les faire rouler ensuite, électricité qui risque un jour d’être insuffisante pour répondre à la nouvelle demande.
3. Lutte à l’étalement urbain
En favorisant la densification autour des infrastructures existantes, le tramway est un outil de lutte à l’étalement urbain et à l’empiétement sur des terres agricoles.
4. Baisse du bruit
Le promoteur estime que le tramway va permettre une réduction du bruit sur 95 % du trajet. Sauf pendant la construction.
5. Maintien de la canopée
Le BAPE du tramway a cité des études qui suggèrent qu’il faudrait replanter 20 jeunes arbres pour compenser les bienfaits de chaque arbre mature abattu. L’administration Marchand s’y est engagée. À terme, le solde deviendra positif.
Les intangibles
Une image de modernité pour la ville. À l’opposé de la caricature qu’en font ceux qui exhibent des images des vieilles voitures d’époque pour prédire ce qui s’en vient.
Une meilleure conformité avec les valeurs des prochaines générations pour lesquelles l’auto n’a pas toujours la même importance que pour les générations qui les précèdent. C’est-à-dire, les nôtres.
Un sentiment de «fierté» et un «élément fédérateur régional».
C’était un des arguments lorsque l’idée du tramway a pris son envol en 1999 au lendemain du colloque international «Vers des collectivités viables» tenu à Québec.
Disons que nous n’y sommes pas encore! Pour l’heure, le projet divise plus qu’il ne rassemble.
Le BAPE a parlé «d’impacts psychosociaux potentiellement exacerbés par la communication déficiente» avec les résidents à proximité du tracé. Il reste à l’évidence du travail. Mais il reste aussi du temps.
Notes
(1) Duranton, G. et Turner, M.A. (2011). The Fundamental Law of Road Congestion: Evidence from US Cities. American Economic Review, 101, 2616-2652.
(2) INRIX 2018 Global Traffic Scoreboard. http://inrix.com/scorecard/
Voir aussi : Projet - Tramway, Transport, Transport en commun.