François Bourque
Le Soleil
Depuis les premières promesses de troisième lien, on avait attendu en vain les avis scientifiques, études ou données probantes pouvant justifier un projet d’une telle ampleur.
D’une annonce à l’autre, on se disait que ça allait finir par venir.
Qu’on ne pouvait pas s’engager dans une aventure aussi importante sans des bases solides.
Mais chaque fois, y compris lors de l’annonce que ce serait un tunnel, puis que ce tunnel irait de centre-ville à centre-ville, on est resté sur notre appétit.
Nous voici aujourd’hui à parler de la forme du tunnel, de ses accès, du coût préliminaire et de l’emplacement probable de la première pelletée de terre, mais toujours pas de chiffres, d’études ou d’arguments étoffés.
À part peut-être celui de la sécurité publique. S’il arrivait malheur à un des ponts actuels, on voudrait avoir avoir une solution de rechange. Ne serait-ce que pour la circulation des véhicules d’urgence.
Pour le reste, il ne suffit pas de marteler que le projet est nécessaire. Il faut pouvoir en convaincre avec un minimum de science.
L’argument du tout premier jour, celui voulant qu’un nouveau lien va soulager la congestion sur les ponts, repose toujours sur une base statistique fragile.
Le Ministère des transports a mené ses propres «modélisations» sur l’achalandage. Je me promets d’examiner ces projections dès que je mets la main dessus, mais il reste une réalité incontournable : la grande majorité des utilisateurs actuels des ponts à l’heure de pointe du matin habitent dans l’ouest de Lévis et leur lieu de destination (études, travail, magasinage) est dans l’ouest du territoire de Québec.
Ceux-là n’ont pas d’intérêt à un détour par un tunnel centre-ville à centre-ville, que ce soit en en voiture ou en transport en commun.
Cela dit, il est évident qu’une trajectoire centre-ville à centre-ville a de meilleures chances d’attirer qu’un lien excentrique à l’Est comme il fut d’abord envisagé.
Pas de chiffres sur le nombre de véhicules ou de camions en transit du Saguenay ou de la Côte-Nord à destination du Bas-Saint-Laurent. On continue pourtant de faire valoir cet argument pour justifier le troisième lien.
Le gouvernement n’a pas tenu compte dans ses simulations de la hausse du télétravail induit par la pandémie. Il fait le pari que la circulation va vite revenir à son niveau d’avant et rappelle que la tendance lourde est à l’augmentation du parc de voitures.
C’est vraisemblable, mais il aurait été utile d’étoffer cette intuition avec des chiffres.
Le premier ministre Legault a sans doute raison de croire que le tunnel Québec-Lévis va «transformer le visage de la Capitale-Nationale», mais est-on si certain que ce sera pour le mieux?
Une des grandes appréhensions soulevée par le projet de tunnel est celui de l’étalement urbain.
Tous les gouvernements et partis politiques disent vouloir le contrer, mais dans les faits, les rouleaux compresseurs continuent d’écraser de l’asphalte de plus en plus loin des pôles d’emplois et des services publics.
L’entrée du tunnel est prévue à la lisière des terres agricoles de Lévis.
Pas question de développer en dehors du «périmètre d’urbanisation» assure le maire de Lévis, Gilles Lehouillier.
«On va travailler avec les différents acteurs pour s’assurer qu’il n’y a pas d’étalement urbain», de renchérir le ministre des Transports François Bonnardel.
Québec a un «grand territoire» et «il y a encore beaucoup de place pour du développement», de se réjouir le premier ministre François Legault.
On prend note, mais on sait aussi l’effet qu’a eu le pont Pierre-Laporte sur le développement de la rive Sud et de la Beauce.
Un tunnel va nécessairement accroître la pression sur les terres agricoles au cours des décennies à venir. Ceux qui promettent aujourd’hui que ça n’arrivera pas ne seront plus là demain et le jour d’après pour tenir le fort.
Le gouvernement de la CAQ ne s’en cache d’ailleurs pas. Un des objectifs de ce tunnel est de stimuler le développement économique dans l’est du territoire.
On veut ainsi corriger «l’erreur» d’avoir placé le pont Laporte à côté du pont de Québec, plutôt que dans l’est.
J’ai compris qu’il n’y a pas eu d’étude pour mesurer l’impact possible du tunnel sur l’étalement urbain.
Pas d’étude non plus sur le développement économique dans l’Est-du-Québec qu’on continue d’associer à un tunnel Québec-Lévis.
J’avais cité dans une précédente chronique une étude du chercheur Mario Polèse de l’INRS. Il y démontrait que de nouvelles autoroutes vers de petites localités favorisent la décentralisation d’industries qui iront s’installer là où le terrain est le moins cher.
Inversement, l’autoroute favorisait la centralisation des commerces. Des citoyens de la lointaine périphérie préféraient alors venir faire leurs achats en ville, là où il y a plus de choix, plutôt que dans leur voisinage.
Si on souhaite encourager le développement vers Bellechasse, Montmagny et vers l’Est, ce serait bien de préciser ce qu’on veut au juste. Et ce qu’on ne veut pas. Cela suggère un minimum d’analyses qui n’ont pas été menées.
Le gouvernement Legault a choisi pour sa présentation publique d’amalgamer le projet de tunnel à trois autres projets de transport en commun : tramway, voies réservées vers les couronnes de Québec et lien avec la Rive-Sud.
Le résultat est plutôt impressionnant. Il faut saluer ici la cohérence et la vision d’ensemble.
Tous les citoyens de la grande région de Québec auront accès à une meilleure offre de transport en commun.
Cela jette aussi les bases d’une éventuelle intégration complète des réseaux de transport des deux rives. Ce serait logique, non?
Beaucoup de détails restent cependant à attacher. Sur les sorties de tunnel côté nord, notamment.
Le gouvernement a été à l’écoute de la ville et a accepté de repousser la sortie de tunnel jusqu’à ExpoCité plutôt qu’au coeur de St-Roch. C’est heureux. Cela va permettre de transformer la portion sud de l’autoroute actuelle en boulevard urbain et la qualité de vie au centre-ville y gagnera.
C’est une bonification importante et essentielle du projet.
Le MTQ vient cependant de sortir un lapin du chapeau en ajoutant une connexion entre le tunnel et l’autoroute Dufferin-Montmorency.
Des automobilistes s’en serviront pour revenir ensuite vers le centre-ville, ce qui ajoutera une circulation de transit et de nouveaux bouchons peut-être.
Si l’objectif est vraiment de convaincre les citoyens de prendre le transport en commun, pourquoi cet accès?
Cela va à contre-courant de la tendance qui veut qu’on fasse disparaître les infrastructures autoroutières des centre-ville plutôt qu’en ajouter.
En fait c’est toute l’autoroute sous-fluviale que les groupes environnementaux contestent. Ils estiment qu’elle va favoriser l’étalement urbain et à terme, ajouter aux problèmes de congestion plutôt que les résoudre. Ces groupes s’appuient sur des recherches et analyses scientifiques.
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Pendant ce temps, le même MTQ chipote avec la connexion de transport en commun à Lévis pour sauver un peu l’argent.
La logique voudrait qu’il y ait une une station de correspondance au campus de Desjardins. Les voyageurs arrivant par autobus sur le boulevard Guillaume-Couture pourraient y faire une connexion directe avec la ligne d’autobus du tunnel.
Cela impliquerait de creuser un puits d’accès sous la station et d’y installer un ascenseur.
Trop cher, a-t-on jugé. On va à la place imposer aux voyageurs de Guillaume-Couture un détour jusqu’à l’autoroute 20 pour pouvoir accéder au lien sous-fluvial.
Ce n’est pas en compliquant la vie au transport en commun qu’on va convaincre les citoyens de le prendre.
Je sais qu’il faut une limite quelque part, mais on parle ici d’un projet qui va coûter certainement 10 milliards$ et qu’on veut pour 100 ans. Pourquoi niaiser pour une station?
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La CAQ tient pour acquis que les citoyens de la région de Québec ont voté pour elle à cause de sa promesse d’un troisième lien.
Elle semble croire que cela la dispense de démontrer en quoi ce lien est si nécessaire à l’essor économique de la région et à la lutte à la congestion des heures de pointe sur les ponts.
On comprend que la CAQ souhaite tenir sa promesse électorale.
Mais il y a aussi des citoyens qui ont voté CAQ malgré la promesse du troisième lien. Ils voulaient se débarrasser des libéraux et ont fait le pari que le projet ne résisterait pas à l’analyse des coûts, des impacts et du gros bon sens. Ceux-là et d’autres, aimeraient une meilleure démonstration du «pourquoi» d’arriver au «quoi», au «comment» et aux dessins d’artistes.
L’article
La pétition contre le troisième lien