Catherine Lachaussée
Radio-Canada
Le tramway électrique est resté longtemps sur les rails à Québec avant d’en être éjecté. Entré en fonction en juillet 1897, il est retiré de la circulation en mai 1948, après 50 ans de loyaux services. Pourquoi a-t-il disparu des rues? Pour plusieurs bonnes raisons, explique l’un des spécialistes du sujet à Québec, l’historien amateur Jean Breton.
Des économies de bouts de chandelle
La rentabilité des compagnies de tramway est un vrai défi au début du 20e siècle. Leurs finances étaient souvent précaires. En 1919, elles ont été 26 en Amérique du Nord à se retrouver en faillite précise Jean Breton.
Elles ne profitent d’aucune subvention publique et reposent entièrement sur les investissements de leurs actionnaires. Aussi, par souci d’économie, la Quebec Railway Light and Power Company s’est souvent tournée vers le marché des véhicules usagés pour renflouer sa flotte, au grand dam de sa clientèle.
À partir de 1916, le réseau de la capitale s’est rempli de vieux wagons dépareillés, souvent inconfortables, achetés d’abord à Philadelphie, puis à Montréal, New York, Boston et Toronto. Cette série d’achats malheureux va culminer pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que les bonnes affaires étaient devenues rares.
Une crise économique qui fait mal
En 1929, le krach boursier de Wall Street vient bouleverser l’économie du monde entier, et la Quebec Railway n’est pas épargnée. En un an, l’affluence dans ses véhicules a baissé de moitié, explique Jean Breton. Ses revenus provenant essentiellement de la billetterie, la compagnie s’est retrouvée dans une situation difficile quand elle s’est vue forcée de geler ses tarifs pour ménager sa clientèle appauvrie.
Elle avait pourtant un atout important dans son jeu : elle détenait le monopole de la vente d’électricité pour toute la ville! Mais à cause de la crise, ses tarifs d’électricité aussi avaient dû être revus à la baisse.
Cette disette tombait mal. Elle venait d’investir une fortune pour refaire son réseau de rails de 42 kilomètres, acheter de nouvelles voitures et remplacer 200 poteaux pourris, qui menaçaient de tomber avec leur filage électrique.
Le tramway sur les rails dès 1865
Québec a eu son tramway dès 1865, mais il s’agissait de voitures tirées par des chevaux, sur rails, mais sans filage électrique. Cette première version de notre transport en commun est demeurée en service jusqu’à l’arrivée du tramway électrique. Plusieurs des circuits du temps ont d’ailleurs servi de point de départ au réseau plus moderne qui a pris la relève, mais la porte Saint-Jean a dû être démolie pour laisser passer les nouveaux tramways et leur encombrant système de poteaux et de fils.
Des détours à n’en plus finir
L’un des problèmes qu’affronte le tramway électrique dès ses débuts, en 1897, c’est l’étroitesse de nombreuses rues de la ville. Plusieurs n’ont qu’une seule voie. Cette contrainte va entraîner la création de longs circuits en forme de boucles, où les tramways ne circulent que dans un sens. En basse-ville, les circuits du Vieux-Limoilou, de Saint-François d’Assise-Stadacona et de Saint-Sauveur-Saint-Malo s’avèrent particulièrement pénibles pour les usagers, qui perdent un temps fou à aller d’un point A au point B.
Les automobilistes et les camionneurs, de plus en plus nombreux dans les rues, amplifient le problème, reprochant aux tramways de leur bloquer la voie, alors que les tramways, de leur côté, subissent les inconvénients d’une circulation qui s’alourdit d’année en année.
La banlieue négligée
Au fil du temps, la Quebec Railway semble s’être déconnectée des besoins de certains usagers, installés de plus en plus loin du centre-ville. Alors que l’administration des débuts avait su se servir du réseau pour développer la banlieue, celle qui suit dans les années 1920 semble plus soucieuse de faire des profits que de jouer les promoteurs.
En 1930, alors que la ville connaît une croissance considérable, la compagnie fait face à une série de plaintes d’usagers insatisfaits de Charlesbourg, Saint-Sacrement et Limoilou, qui réclament tous qu’on améliore le service. Les transformations demandées s’avèrent coûteuses, et le manque d’écoute de la compagnie envers sa clientèle en périphérie contribue à ternir sa réputation.
L’autobus fait son numéro
L’autobus cohabite avec le tramway dès 1916 dans la banlieue de Québec, et gagne vite en popularité. N’ayant pas besoin de rails pour rouler, il nécessite peu d’investissements, et s’avère très flexible.
En 1938, la compagnie Ford profite de la tenue à Québec du congrès annuel de l’American Transit Association pour présenter au maire Lucien Borne et à tous ses conseillers un petit bus carré de 25 pieds et de 27 sièges, dans lequel on les amène en tournée à travers la ville.
La visite se conclut chez Champoux, un concessionnaire en vue de la capitale, qui se fait un plaisir de vanter les multiples avantages du bus Ford par rapport au tramway. Ces premiers bus étaient tout petits, encore plus qu’un Midibus. On les appelait des boîtes à lunch, illustre Jean Breton.
Mais le maire est conquis.
La Ville est fatiguée d’entendre ses citoyens se plaindre du tramway. Il faut qu’on enlève ces tas de ferraille qui traînent dans le milieu de nos rues aurait déclaré un conseiller excédé. En 1938, la Ville décide que tous les tramways sur son territoire devront être remplacés par des bus avant le 31 août 1941. Et elle commence progressivement à retirer les rails des rues.
Un scénario condamné à se répéter?
En 1938, Sillery devient la première ville de la région à rouler exclusivement en bus. Les plans de Québec sont cependant retardés par l’arrivée de la guerre. L’accès restreint au carburant ainsi qu’aux pneus, à partir de 1942, l’oblige à se rabattre sur ses tramways pour plusieurs années encore. Elle doit même en acheter de nouveaux pour réussir à maintenir son service, alors que les rares autobus acquis jusque là roulent à pleine capacité.
Mais la transition n’est que partie remise. En mai 1948, les derniers tramways de la capitale sont retirés des rues. Ils connaissent une triste fin. La plupart sont brûlés. Seuls quelques-uns prennent le chemin de musées nord-américains.
Le mouvement de transition vers l’autobus est alors international, rappelle Jean Breton. Au début des années 1960, les villes qui ont choisi de conserver leur réseau de tramway — comme Toronto — font figure d’exceptions. Aux États-Unis, le cartel Esso/Goodyear/GM a joué un rôle majeur en encourageant les villes à se débarrasser de leurs tramways au profit du bus, rappelle Breton. Mais à Québec, le problème semble avoir été surtout économique. Remplacer les voitures coûtait une fortune. Pour une compagnie privée, c’était insoutenable à long terme.
En 2020, le portrait semble assez différent. D’une part, les réseaux de transport en commun peuvent compter sur les fonds publics, mais une nouvelle équation a aussi fait son apparition : la question environnementale.
« On n’avait aucun souci écologique, en 1938. C’est probablement ce qui est le plus fort aujourd’hui pour motiver un retour du tramway, en plus du fait que la technologie a bien changé. À l’époque, quand un tramway passait dans la rue, c’était un véritable tremblement de terre. Aujourd’hui, avec les wagons de dernière génération, les choses risquent d’être bien différentes », conclut-il.
L’article avec plusieurs photos d’époque.