Québec Urbain

L’Urbanisme de la ville de Québec en version carnet…


Archives pour la catégorie « Voyage dans le temps »

Le réaménagement de la rivière Saint-Charles

Par Envoyer un courriel à l’auteur le 20 mai 2011 3 commentaires

Cet article fait partie d’une série portant sur le premier plan d’urbanisme pour la Ville de Québec commandé par le maire Lucien Borne réalisé par Jacques Gréber, Edouard Fiset et Roland Bédard entre 1949 et 1956.

Ce texte est une contribution de Réjean Lemoine, historien, chroniqueur urbain à la radio et à la télévision et conseiller municipal du quartier Saint-Roch à la ville de Québec de 1989 à 1997.

Pollution de la rivière St-Charles

La rivière Saint-Charles et ses abords font l’objet d’une attention particulière des urbanistes Gréber-Fiset. Les auteurs du plan d’aménagement souhaitent transformer « ce cloaque charroyant déchets et débris exposant un sol fangeux et ampuanti (sic) en une rivière agréable attrayante et utile ». La rivière Saint-Charles sert d’égout à ciel ouvert depuis le milieu du XIXe siècle, tant pour les déchets industriels que par ceux produits par les humains.

Dans un premier temps, les urbanistes souhaitent que l’on arrête toute navigation sur la Saint-Charles en amont du pont Samson. En effet dans les années 1950, la Saint-Charles était navigable jusqu’au pont Scott. Il propose alors un aménagement différent pour la rive nord et la rive sud de la rivière. Ils proposent donc sur la rive nord, après avoir nettoyé le lit de la rivière, d’aménager une promenade « qui suivra la berge du pont Samson jusqu’à la Petite Rivière » aujourd’hui Duberger.

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Voir aussi : Environnement, Histoire, Parc, Voyage dans le temps.

Améliorations au réseau des rues proposées par Gréber & Fiset

Par Envoyer un courriel à l’auteur le 19 mai 2011 8 commentaires

Cet article fait partie d’une série portant sur le premier plan d’urbanisme pour la Ville de Québec commandé par le maire Lucien Borne réalisé par Jacques Gréber, Edouard Fiset et Roland Bédard entre 1949 et 1956.

Pour faire suite aux recommandations d’améliorations routières, le rapport Gréber propose une section spécifique pour le réseau des rues de la Cité de Québec.

Classification des rues

On recommande de créer des rues de pénétration (ou de dégagement ou d’échange interurbain) qui se distingueront des artères commerciales (ex. : Charest, St-Vallier, etc.). Ces nouveaux boulevards et rues se connecteront aux routes nationales et permettent une vitesse plus grande. On doit limiter le nombre d’accès aux propriétés qui les bordent. La Ville doit aussi respecter leur vocation au fur et à mesure que la Ville s’urbanise. On spécifie qu’elles doivent avoir 3 voies dans chaque sens au minimum.

On décrit aussi la largeur des rues dans les parcs industriels. On cite en exemple celles du nouveau parc industriel St-Malo qui ont 80 pieds de large pour faciliter la circulation des camions lourds.

Rues piétonnières

Le rapport propose aussi que certaines rues trop étroites et trop commerciales deviennent piétonnières. On prend en exemple la rue St-Joseph dans St-Roch. Les façades des magasins se sont déplacées vers le boulevard Charest et l’enlèvement des rails du tramway a considérablement réduit l’achalandage sur cette rue. L’idée est restée, car elle s’est finalement réalisée légèrement différemment avec la construction d’un toit sur cette rue et le Mail Centre-Ville.

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Voir aussi : Histoire, Québec La cité, Voyage dans le temps.

Le réseau routier de la capitale imaginé par Gréber & Fiset

Par Envoyer un courriel à l’auteur le 18 mai 2011 22 commentaires

Cet article fait partie d’une série portant sur le premier plan d’urbanisme pour la Ville de Québec commandé par le maire Lucien Borne réalisé par Jacques Gréber, Edouard Fiset et Roland Bédard entre 1949 et 1956.

Dans le dernier billet, nous avons exposé que la Ville de Québec dans les années 50 ne comprenait aucun grand axe routier. Seule la rue St-Vallier, la Grande-Allée/chemin St-Louis, le chemin Canardière et 1re avenue permettent de sortir de Québec.

Ce que Gréber appelle le réseau de routes est devenu très urbain de nos jours. Sachez, la Ville de Québec comprenait les quartiers Montcalm, le Vieux-Québec, St-Roch, St-Sauveur et Limoilou. Le reste c’était les voisins ou ce qu’on nommait le Québec métropolitain. On admirait de grands pâturages avant de se rendre à prochaine municipalité (Ste-Foy, Charlesbourg, Beauport, les Saules, Loretteville, etc.).

Dans le rapport Gréber déposé en 1956, on propose des solutions novatrices et visionnaires. La plupart ont été réalisées ou récupérées dans des plans successifs comme ceux de Talbot (1959) et Vandry (1968). On dessine un plan régional qui est inclus dans le rapport (excusez la qualité) :

Plan régional avec recommandations du rapport Gréber & Fiset

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Voir aussi : Histoire, Voyage dans le temps.

Planifier le développement de Québec

Par Envoyer un courriel à l’auteur le 17 mai 2011 3 commentaires

Cet article fait partie d’une série portant sur le premier plan d’urbanisme pour la Ville de Québec commandé par le maire Lucien Borne réalisé par Jacques Gréber, Edouard Fiset et Roland Bédard entre 1949 et 1956.

Ce texte est une contribution de Réjean Lemoine, historien, chroniqueur urbain à la radio et à la télévision et conseiller municipal du quartier Saint-Roch à la ville de Québec de 1989 à 1997.

Le rapport des urbanistes Jacques Gréber et Édouard Fiset est rendu public à la fin du mois de mai 1956. Le journal L’Action catholique titre en page éditoriale « Les urbanistes ont foi en l’avenir de Québec ». Le journal se réjouit de constater que le plan directeur n’est pas rigide et qu’il peut se plier au changement. Son application va dépendre de la bonne volonté de la municipalité et de l’opinion publique. L’éditorialiste fait le constat de la pauvreté de la législation en matière d’urbanisme au Québec.

Avec le rapport Gréber-Fiset débute le règne des spécialistes à Québec au détriment de l’expertise des citoyens. Le journal L’Action Catholique souligne que ce rapport est : « une solution objective, basée sur des études conduites scientifiquement pendant plusieurs années par des hommes d’une compétence reconnue ». (suite…)

Voir aussi : Histoire, Patrimoine et lieux historiques, Voyage dans le temps.

Voyage dans le temps: Place Laurier 1971

Par Envoyer un courriel à l’auteur le 16 mai 2011 13 commentaires

* Merci à un fidèle lecteur (Jean-Pierre Duval) pour cette photo de la construction du stationnement Sears, à Place Laurier (maintenant Laurier) en 1971. D’autres photos suivront dans un avenir rapproché.

Voir aussi : Arrondissement Ste-Foy / Sillery / Cap-Rouge, Commercial, Histoire, Voyage dans le temps.

Québec avant les boulevards et les autoroutes

Par Envoyer un courriel à l’auteur le 16 mai 2011 30 commentaires

Cet article fait partie d’une série portant sur le premier plan d’urbanisme pour la Ville de Québec commandé par le maire Lucien Borne réalisé par Jacques Gréber, Edouard Fiset et Roland Bédard entre 1949 et 1956.

Intensité de la circulation à Québec en 1949

L’augmentation de la popularité de l’automobile au début du siècle a apporté bon nombre de problématiques à notre vieille ville mal adaptée à ces nouveaux et nombreux chars d’acier. En 1950, on dénombre 10 000 voitures dans la région métropolitaine de Québec. Ce nombre grimpe à 60 000 vers 1960. Les bouchons de circulation et les difficultés de se rendre à bon port font partie des préoccupations des citoyens de l’époque. En 1950, il n’existe aucun lien routier périphérique. Si un voyageur interurbain provient du Saguenay ou la côte de Beaupré, il doit emprunter les rues municipales pour se rendre au Pont de Québec. On rapporte de nombreux accidents puisque toute la circulation de transit devait emprunter les rues étroites de Québec. Ces mêmes rues étaient souvent des artères commerciales très achalandées. Dans le rapport Gréber, on explique qu’il n’existe aucun réseau logique et fonctionnel de voies de circulation dans la région.
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Voir aussi : Histoire, Voyage dans le temps.

L’avenue du tramway – Chapitre 6: Le temps de l’Expo

Par Envoyer un courriel à l’auteur le 12 mai 2011 5 commentaires

Enfant, Gilles Néron déménage sur la première Avenue et découvre le tramway, qui sera le fil conducteur de ce récit de sa jeunesse. Un incroyable témoignage.

Épisodes précédents:
L’avenue du tramway – Chapitre 1: Le déménagement
L’avenue du tramway – Chapitre 2: la machine à perche et la 1ere avenue
L’avenue du tramway – Chapitre 3: Jean Béliveau au Petit Colisée
L’avenue du tramway – Chapitre 4: L’Hôpital et le magasin de jouet
L’avenue du tramway – Chapitre 5: La politique et la religion

La Fête du Travail, le premier lundi de septembre, mettait un terme à l’Exposition provinciale qui se tenait juste à côté du terminus de la ligne de tramway. Nous ne manquions jamais cette journée spéciale de la foire malgré notre peu d’argent. Il est vrai que même si nous ne pouvions pas nous payer les jeux mécaniques et les attractions sous les tentes colorées, nous aimions l’ambiance de cet événement. Pour nous décourager mes parents disaient que le show était un attrape-nigaud en citant Bailey qui claironnait que les cirques vivaient des idiots qui naissaient tous les jours. Mais cela ne nous consolait pas vraiment.

Or, il fut une année où Alain et moi avions fait des économies pour l’Expo en épargnant les petits gains réalisés durant les vacances d’été à aider les cultivateurs du marché et les marchands ambulants ou à faire des courses pour les vieilles personnes du voisinage. Nous avions une fortune, quelque chose comme 2 dollars chacun. Fiers d’avoir trouvé un trou dans la clôture du site, ce qui voulait dire une économie importante, nous nous promettions des expériences excitantes. Notre premier choix tomba sur une tente qui présentait un spectacle de rodéo. À un moment donné, un clown amène un âne et demande s’il y a un enfant qui accepte de venir au centre pour faire une démonstration. Alain se lève et court vers la piste sans m’avertir. On le fait monter sur l’animal qui sans hésiter l’envoie valser dans les airs au grand amusement de la foule. Il revient penaud en se lamentant de sa chute sur le sol. Nous sortons après le spectacle pour constater que toute la monnaie qu’il avait dans sa poche arrière est restée sur la piste. Nous revenons réclamer notre dû. Inutile de dire qu’il n’y a pas eu de remboursement, pas même la volonté de recherche à l’endroit de la chute, seulement une menace de nous botter le cul si nous ne déguerpissions pas. Heureusement j’étais resté assis dans l’estrade, ce qui nous a permis de continuer notre virée dans la foire, mais en éliminant les shows dans les tentes et en nous restreignant sur la nourriture. Il nous restait les jeux mécaniques à 5 cents le tour.

Quand je pense à la 1ère Avenue, il me revient ces transports à chaque automne des légumes achetés au marché à l’aide de la petite express pour les réserves de la saison froide. Il fallait plusieurs voyages pour transporter les 10 sacs de patates et les sacs de navets, de carottes et de choux, que nous mettions dans des carrés de sable à la cave.

Qu’importe les tâches familiales, nous trouvions toujours des moments pour nous amuser, mon frère et moi. C’est ainsi qu’un soir d’hiver nous nous retrouvons à la grande épicerie Miville, juste à l’endroit où le tramway tourne une fois passé le pont pour s’engager dans la longue avenue. Mon frère remarque le givre sur la poignée de cuivre et pendant que je fais l’achat de ce que m’avait commandé maman il lui prend la fantaisie de lécher la large poignée de la porte du magasin. Une tentation qui semble-t-il a tenaillé plus d’un enfant. Il faut croire que le frimas sur la dorure de l’objet promettait une sensation particulière. En ressortant, j’entends mon frère crier tout en restant agenouillé au pied de la porte. Je lui dis de cesser de faire l’idiot et je pars dans la direction du retour. Celui-ci hurle de plus belle et reste accroupi contre la porte. C’est alors que je constate que sa langue est collée à la poignée au point où la peau risque de se déchirer. Des clients qui arrivent se rendent à l’évidence qu’Alain a commis l’imprudence de mettre une langue chaude sur du métal froid. Le commerçant surgit en disant : Encore une langue collée. Je vais changer cette poignée qui attrape les enfants.

Il demande à son commis de l’eau chaude et en attendant il commande à Alain de rester tranquille et de ne pas tirer sur sa langue pour éviter que ça saigne. L’eau dégage mon frère qui ne trouve pas autre chose à dire que cette sorte de poignée ne goûtait pas bon. C’est même amer, vos poignées!

Je dis merci et je me prépare à filer tandis que le bonhomme de l’épicerie me dit de prendre mieux soin de mon petit frère. Nous ne nous sommes pas vantés de cette aventure à nos parents.

Je n’étais pas tous les jours dans la rue. J’avais des obligations domestiques comme de garder mes frères, le dimanche, jour de sortie au cinéma de mes parents. Durant les quatre heures que durait le programme double, je devenais un père qui avait une drôle d’idée de son rôle de surveillant. Alors nous nous permettions des jeux que mon père nous aurait interdit comme de sauter sur les fauteuils du salon au point de les défoncer. C’est justement cela qui est arrivé. Après un saut particulièrement réussi le beau divan de velours rouge a fait entendre un bruit de bois cassé qui a refroidi nos ardeurs. Nous avons bien vu que quelque chose de grave s’était produite parce que le coussin du cendre frôlait le plancher. Comment dissimuler la chose? On a remis tant bien que mal le coussin à sa hauteur normale, mais dans la même soirée mon père s’est écrasé à terre sur ce même coussin. J’en ai été quitte pour quelques taloches même si papa a reçu une petite compensation de la part du magasin pour la mauvaise qualité de son Crewler qui lui avait tant coûté.

Il nous arrivait aussi de remplir les heures d’absence de nos parents en jouant aux cuisiniers. C’était des mélanges de tout ce qui nous tombait sous la main. C’est lors de ces temps d’initiatives personnelles que nous nous sommes signalés dans des jeux de rôle principalement quand nous avons peinturé les vitres de la cave en vert pour nous simuler le donjon d’un château du Moyen-Âge. Encore heureux que nous n’ayons pas pensé à faire un feu sur le plancher pour jouer aux pompiers ou que nous n’ayons pas eu l’idée de nous fabriquer un costume de Surhomme dans les combinaison en véritable cachemire de mon père. Parfois je regrette de ne pas avoir osé.

Ah les belles années du 854, 1ère Avenue, celles de la rue du tramway!

Voir aussi : Témoignage, Voyage dans le temps.

L’avenue du tramway – Chapitre 5: La politique et la religion

Par Envoyer un courriel à l’auteur le 11 mai 2011 2 commentaires

Enfant, Gilles Néron déménage sur la première Avenue et découvre le tramway, qui sera le fil conducteur de ce récit de sa jeunesse. Un incroyable témoignage.

Épisodes précédents:
L’avenue du tramway – Chapitre 1: Le déménagement
L’avenue du tramway – Chapitre 2: la machine à perche et la 1ere avenue
L’avenue du tramway – Chapitre 3: Jean Béliveau au Petit Colisée
L’avenue du tramway – Chapitre 4: L’Hôpital et le magasin de jouet

Quand mon oncle Wilfrid venait chez nous il ne prenait jamais le tramway, car il trouvait le taxi plus conforme à son niveau social et à ses moyens. Le frère aîné de mon père nous rendait souvent visite le dimanche. Il venait seul, car tante Adèle n’aimait pas descendre dans la basse-ville, c’était trop commun. Elle préférait dormir. Mon père avait l’habitude de dire que pour une fille de Charlevoix qui avait fait des choses à Détroit c’était péter plus haut que le trou. Je riais à chaque fois qu’il répétait cette expression parce que j’essayais d’imaginer l’odeur sous ses jupes qui descendaient jusqu’à terre.

Mon oncle gérait en ce temps-là le Club Renaissance situé sur la Grande-Allée. Il s’agissait d’un véritable club, car les femmes n’y étaient pas admises. Il réunissait les Bleus, soit les membres de l’Union Nationale, parti politique dirigé par Maurice Duplessis. Dans ces années de guerre où ce parti formait l’Opposition, le grand frère de papa, qui ne manquait pas de gueule, cherchait un auditeur à ses diatribes contre le parti au pouvoir, celui des Libéraux d’Adélard Godbout. Mon père était l’interlocuteur tout désigné, car il ne pouvait être que favorable au Parti libéral, il devait sa job d’employé civil aux Rouges. D’où des obstinations à ne plus finir. Afin d’avoir tout le champ libre pour leurs discussions, l’oncle nous gratifiait, Alain et moi, d’un 10 cents chacun avec l’ordre d’aller nous sucrer le bec. C’était un bon montant en ces jours où on pouvait acheter un cornet de crème à la glace et en plus une barre de chocolat pour cette somme. Bien entendu nous filions vers le petit magasin Poitras avant que notre père ne songe à nous confisquer l’argent.

C’est à cet oncle que mon frère Alain avait un jour coupé l’appétit d’un seul mot. Mon père était allé à la chasse au chalet du grand-père à Lizotte et avait rapporté des lièvres qu’il avait laissés dehors une nuit de grand froid. Comme il voulait offrir à son frère un repas de gibier il a fait dégeler les bêtes derrière le poêle avant de les faire cuire. Or, ces dernières avaient dégagé une odeur pas tellement agréable avant d’être mises au four, probablement dû au fait qu’elles n’avaient pas été vidées complètement avant d’être gelées. Mon frère, qui n’avait pas aimé cette odeur, avertit notre oncle avec toute la naïveté dont il était capable en lançant un tonitruant: Mon oncle Wilfrid, mange pas le lièvre, il est pourri pourri!

Tout le monde est resté interloqué. Mon père n’en croyait pas ses oreilles et avant qu’il ne lève une main punisseuse, l’oncle Wilfrid avait tassé son assiette. Explication rapide de mes parents sur le gelage et le dégelage du gibier en cause et déclarations abondantes de garantie de fraîcheur. Mais rien n’y fit. Personne, y compris mes parents, n’a plus touché au mets préparé pour ce dimanche. Le « Pourrie, Pourrie, mon oncle »! est resté longtemps dans la famille pour signifier qu’une chose était dégoûtante.

Nos observations sur les gens qui montaient ou descendaient du tramway, dont l’arrêt était dans notre champ de vision, n’étaient jamais aussi soutenues que les jours où nous manquions l’école pour une raison de soins préventifs. En effet, ces soins s’imposaient deux fois par année, à l’automne et au printemps. Mon père entreprenait alors l’opération purge pour nous vider le corps des mauvaises humeurs de la saison précédente. C’était une sorte de tradition dans sa famille, disait-il. Il s’agissait d’ingurgiter à jeun un grand verre d’huile de castor (huile de ricin) ou de sel à médecine (sel d’Epson), mêlé à du jus d’orange, une fleur pour l’occasion. Il nous laissait le choix du médicament, car il gardait en permanence les deux produits. Comme l’un était aussi mauvais que l’autre, cela ne nous conférait pas un grand avantage.

Chaque fois l’opération était une réussite. Pour nous vider, ça nous vidait. Une journée complète à marcher de la toilette à notre fenêtre d’observation. Un remède de cheval dirait-on aujourd’hui, mais à cause de notre occupation favorite je dirais plutôt un remède de tramway. Quand mon frère se précipitait dans la salle de bain avant moi, le mal de ventre prenait le dessus sur le mal de coeur. Je me demande encore la logique qui soutenait cette intervention brutale, d’autant plus que cela ne m’empêchait pas d’être bronchite. Une fois le traitement accompli, nous allions au lit pour suer, une autre des lubies du Dr Néron. Il s’agissait de nous couvrir de confortables après un bain chaud au point de risquer d’y mourir étouffés.

Deux mots sur les bains chauds et les confortables. Nous avions bien un bain mais pas d’eau chaude au robinet. Il fallait d’abord faire chauffer de l’eau avec un élément à nu sur une simple porcelaine qu’on appelait heater. Mais attention à ne pas mettre les mains dans l’eau durant le chauffage, il y avait danger d’électrocution pour le moindrement qu’un contact pouvait s’établir avec un conducteur. Des histoires à faire dresser les cheveux sur la tête couraient sur de tels accidents, un tel s’était fait griller dans son bain parce qu’il avait oublié de tirer la fiche avant de pénétrer dans l’eau, un autre s’était brûlé au trois-quarts au moment de mettre la main dans l’eau pour vérifier sa température. Inutile de dire qu’on manipulait l’appareil avec précaution, pas nous parce qu’on n’aurait jamais osé, seulement mes parents, et encore plus mon père que ma mère.

Quant aux confortables, c’était d’épaisses couvertures que maman confectionnait avec des échantillons de tissu. Mon père qui travaillait les fins de semaine chez Pollack comme vendeur dans le Gent, département des vêtements pour homme, rapportait à la maison les échantillons des tissus non renouvelés. Le prêt-à-porter était peu répandu à l’époque et papa qui savait prendre les mesures, fruit de ses années dans les magasins de son paternel, avait droit aux échantillons fin de tissus. Les petites pièces de tweed étaient cousues ensemble pour faire le dessus d’une couverture remplie d’une bourre de coton. Cela donnait une couverte très chaude d’un bel aspect à la manière d’une catalogne avec des motifs carrés de couleurs variées. Cependant, la couverture était si lourde qu’elle nous empêchait de respirer lorsque nous étions couchés sur le dos. C’est pourquoi j’ai appris à me prémunir de ce risque en dormant sur le côté, chose que je fais encore.

Notre avenue était souvent choisie pour le déroulement des manifestations religieuses ou civiques du type procession ou parade à cause de sa largeur et de son importance. La Fête-Dieu était de ces événements qui empruntaient notre rue à cause de ses maisons cossues propres à recevoir le reposoir. Cependant, pour cette procession seuls nos parents s’assoyaient sur la galerie parce que nous, les enfants, nous devions mettre nos bérets blancs et rejoindre les Croisés de l’école dans le défilé. Il arrivait aussi à la parade de la Saint-Jean de se dérouler sur la 1ère Avenue. C’est immanquable, à chaque fois que je pense à cet événement je me remémore ce jour de grande chaleur où ma mère tenait à nous parer d’un pantalon de flanelle blanche et d’un veston de tweed du plus bel effet, mais plus approprié pour le 25 décembre que pour le 24 juin. Le problème venait qu’elle venait tout juste de confectionner ces vêtements dans des tissus achetés à rabais et voulait nous les voir porter. En quelques minutes d’exposition au soleil du solstice d’été, nous étions, Alain et moi, tout en sueur. Nous insistions pour enlever le veston, mais nous n’arrivions pas à faire accepter par nos parents que leurs petits anges puissent être moins beaux pour la parade. J’enviais le petit Saint Jean-Baptiste vêtu d’un simple pagne qui saluait la foule de sa houlette en caressant le cou de son mouton. On ne peut pas dire que nous avons apprécié les fanfares et les chars allégoriques, ce jour de canicule. Aussitôt revenus à la maison, le beau costume avait cédé la place aux culottes courtes et aux espadrilles qu’on appelait chouclaques. Quel soulagement! Et vive la fête du Canada qui se déroulait sur la Terrasse parce que nous n’y allions pas!.

Peu de temps avant cette parade, il y avait eu à Québec la grande soirée de la Fête du Sacré-Cœur au stade municipal officiée par les Oblats. Tout le monde allait entendre le sermon du Père Lelièvre, un Français qui n’avait pas la langue dans sa poche, surtout quand il promettait l’Enfer aux amateurs des péchés en vogue à Québec, soit la soulure, la sacrure et…la créature. Tous ces vices n’ont pas d’allure disait le prêtre avec un oeil malicieux et le sourire aux lèvres. Tout le monde riait de bon cœur et consentait à confesser ces trois péchés. Bon an, mal an, tous les hommes sur place faisaient le serment de fuir ces habitudes qui compromettaient leur salut éternel. Puis, flambeaux à la main, les gens entamaient des cantiques à la gloire de Dieu et de l’Église. C’était marquant cette foule, principalement composée d’ouvriers, qui manifestait une si foi si naïve. Cette dévotion se terminait tard dans la nuit! J’aimais cela.

À mes 11 ans, mon père m’a trouvé un emploi de vendeur de flambeaux, sorte de cierge encadré dans une boîte de carton à cellophane de couleur rouge vendu à l’occasion de cette fête.

Flambeaux du Père Lelièvre pour seulement 25 cents! Je criais cette phrase à m’étourdir. Et, ma foi, j’en vendais beaucoup quand arrive une femme, les deux bras enveloppés dans des bandages suite probablement à un incendie. Elle m’écoute et lance : Tu ne trouves pas que j’ai assez flambé comme ça? Je suis resté saisi puis quand j’ai vu que tous les gens d’alentour riaient à gorge déployée, j’ai fait de même. Satisfaite de son effet, la dame a quand même acheté un flambeau. Cette répartie est restée dans le répertoire familial.

Voir aussi : Témoignage, Voyage dans le temps.